Si j'étais la vie, je serais... une nouvelle de Marie-Noëlle Fargier
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Si j'étais la vie, je serais...
En écrivant ce texte, je pensais à ces hommes, ces femmes, ces enfants, dont la seule option pour vivre, est de quitter leur terre. Je pensais aux autres, hommes, femmes, enfants, bien enracinés dans leur terre riche ou moins riche et ayant le privilège de pouvoir y vivre...
Si j'étais la VIE, je serais une grande roue. Oui, une grande roue ! Comme celle qu'on voit dans les grandes villes du monde, qui tourne lentement sur elle-même, avant de vous faire approcher le ciel.
Chacun de nous ( bébé noir, bébé blanc, bébé bien portant, bébé moins bien portant, bébé...) se trouve expulsé sur une nacelle. Comment ? Pourquoi ? Qu'importe ! Chacun de nous, a de multiples réponses, mais pas LA réponse. Et puis, pourquoi cette nacelle et pas une autre ? C'est vrai, certaines sont belles, colorées, très douillettes, d'autres un peu moins, et d'autres carrément moches et inconfortables.
Dans ce dernier cas : celui qui se trouve dans la nacelle sans couleur, sans coussin, attend. Il attend que ses muscles soient assez forts pour sauter et qu'importe la nacelle sur laquelle il tombera. De toute façon ça ne peut pas être pire ! Alors il prend son élan...et saute ! Et pourtant c'est risqué : Imaginez, il doit faire un sacré saut et sans filet ! Mais là, ce n'est même plus une question de choix : il saute et il a une chance de vivre, ou il reste et il meurt à petit feu. Alors au diable les questions !!!
Puis, il y a celui qui a atterri dans la nacelle confortable, certes, mais aux couleurs ternes. Alors celui-là regarde d'un œil envieux, celle qui est plus colorée. Il hésite. Il se demande comment construire un pont entre la nacelle qu'il occupe, et celle qu'il convoite, au cas où il serait déçu et souhaiterait revenir. Oui, après tout, les couleurs sont ternes mais sa nacelle est tout de même confortable, et puis elle est assez stable, elle est protégée du vent et son tangage est acceptable. Que faire ? Pourtant ces couleurs l'attirent, des effluves de senteurs agréables lui parviennent quelquefois, et l'enivrent. Mais aura t-il le courage ? S'il tombait....Bon, vaut peut-être mieux rester où il est, et puis il lui reste les parfums pour rêver...
Enfin, il y a celui de la nacelle pleine de couleurs et tellement confortable. D'ailleurs elle est si confortable que celui-là s'y ennuie. Il ne perçoit même pas le balancement, la roue continue à tourner mais il ne s'en rend pas compte. Les couleurs commencent à l'obséder, il aurait envie de noir et blanc, ou carrément de couleurs extraordinaires, des couleurs qui rassembleraient toutes celles des autres nacelles. Comme le premier, il attend que ses muscles soient forts pour partir à la conquête des autres nacelles. Le moment venu, grâce aux multiples coussins dont sa nacelle est dotée, il parvient à créer une passerelle et lorsqu'il est trop désœuvré, il va jeter un œil sur les autres nacelles et se complimente du confort de la sienne....
Puis, la roue tourne...lentement...Soudain, elle arrive, en fin de tour : ALLEZ TOUT LE MONDE DESCEND !!! et chacun descend.
L'homme de la nacelle inconfortable regarde la roue, regarde le soleil, sourit. Celui de la nacelle aux couleurs ternes, regarde une dernière fois celle qu'il désirait et celle qu'il quitte... Celui de la nacelle confortable, remarque, pour la première fois, la couleur du ciel : couleur, qui n'habillait aucune des nacelles, une larme roule sur sa joue.
Marie-Noëlle Fargier