L'interview de Jacques Degeye pour son nouvel ouvrage "« SALE TEMPS POUR LES HÉROS. Le prix de la liberté sous le règne de M. Poutine »

Publié le par christine brunet /aloys

L'interview de Jacques Degeye pour son nouvel ouvrage "« SALE TEMPS POUR LES HÉROS. Le prix de la liberté sous le règne de M. Poutine »

Le nouveau livre de Jacques Degeye est passé en "Collection". Je reçois le BAT et commence à le feuilleter avec curiosité et un vrai intérêt. Une évidence : je dois interroger Jacques au sujet de ce livre qui ne peut qu'interpeller le lecteur... d'autant que, je le rappelle, Jacques a publié aussi bien du roman que de la poésie !

Cette fois, je ne vous livre pas mes questions mais seulement ses réponses. Je pense que vous comprendrez pourquoi...

Je ne suis pas lié à un genre littéraire. Je suis attaché à la liberté d'écriture.

Délivrance (Chloé des Lys, 2010) est un recueil de nouvelles. Chaque nouvelle est un mini-roman. Certains personnages passent d'un récit à l'autre, donnant au texte une continuité analogue à celle d'un roman. Des personnages réels tels Romain Gary ou Nicolas de Staël, Marilyn Monroe ou Romy Schneider, Virginia Woolf ou Diane Arbus, Sylvia Plath ou Ernest Hemingway... Des personnages de fiction : Alban, Alexia, Stephen George, Michael Appelbaum...

Voilà une première analogie avec « SALE TEMPS POUR LES HÉROS... » : un récit et de nombreux personnages. Et aussi une différence : dans ce dernier cas, tous les personnages sont réels.

Délivrance a pour thème la mort volontaire. Ah, quel sujet rebutant ! Pouah, quelle noirceur !

‒ Assurément, la mort volontaire exprime une fracture, une grande douleur et du ressentiment quelquefois.

‒ Par contre, elle traduit une tentative désespérée de se soustraire aux affres du temps, aux avilissements ou aux humiliations, devenus insupportables et que l'on noie parfois dans l'alcool ou dans d'autres addictions.

Poèmes inédits (Chloé des Lys, 2015) : ses vingt-quatre poèmes permettent d'entrer dans l'univers intime du poète. Quelques thèmes :

    • l'enfant et la nature sauvage, l'enfant et l'attachement, l'enfant et la séparation ; la mémoire de l'enfance ; la beauté du monde ;

    • un monde défiguré par la violence, par la privation de nos libertés et par le non-respect de la dignité humaine ;

    • le courage de ceux qui résistent aux systèmes oppressifs. Voilà une deuxième analogie avec « SALE TEMPS POUR LES HÉROS... ».

Sale temps pour les héros. Le prix de la liberté sous le règne de M. Poutine

(Chloé des Lys, 2016 ).

Je reviens à mes premières amours : l'histoire. Impossible de le nier ! Mais en renouant avec l'histoire, est-ce que je tourne le dos à l'univers romanesque pour autant ? C'est le contraire. Ceux qui avaient cru sortir de l'histoire après la chute du mur de Berlin(1989) ont été sidérés de constater le retour de l'histoire et du caractère tragique de celle-ci : guerres, terrorisme, immigration massive... L'histoire est tragique, comme les romans et le théâtre universels sont tragiques.

Qu'est-ce que le tragique ? C'est prendre conscience de notre destin et des risques de mort ou de dislocation qui menacent nos sociétés.

Sont-ce « des thèmes compliqués » (voir le point 4 de ton mail du 22/3/2016) ? Je ne puis répondre à ta question. Au lecteur de le dire !

Ce gros livre m'a pris presque dix ans de ma vie.

Des années de bonheur... et de labeur : recherches, recoupements, construction du récit, écriture, remise sur le métier...

Jusqu'à la décision favorable du Comité de lecture de Chloé des Lys. Puis la publication dans Chloé des Lys Collection.

Le sujet de « SALE TEMPS POUR LES HÉROS. Le prix de la liberté sous le règne de M. Poutine » (Chloé des Lys, 2016) :

‒ Ce livre m'a été inspiré par l'assassinat de la journaliste Anna POLITKOVSKAÏA et par l'empoisonnement, en plein Londres, de « l'espion » Alexandre LITVINENKO, et ce à un mois de distance (octobre-novembre 2006). Deux « faits divers », pourrait-on dire.

‒ D'autres événements se sont ajoutés à ceux-ci : les assassinats d'hommes politiques, de défenseurs des droits de l'homme, de juristes, etc. : Natalia Estemirova, Sergueï Magnitski, Vassili Aleksanian...

‒ Puis l'arrestation, le jugement et l'emprisonnement du magnat du pétrole, Mikhaïl KHODORKOVSKI, et le démembrement de sa société, Ioukos.

Tous ces « faits divers » forment un puzzle qui a pour cadre la Russie de M. Poutine. Il me fallait donc démêler l'écheveau, voir ce qui se tramait derrière ces histoires dramatiques. J'ai découvert un homme, mais surtout un Système.

Ce livre résulte-t-il d'une envie ou d'un besoin ?

D'un besoin, évidemment. D'une exigence même.

  • Les acteurs de cette histoire : ils doivent sortir de l'oubli.
    • En Russie précisément, les origines du Système Poutine en disent long sur sa nature : les attentats sanglants de 1999 pour préparer le peuple à la guerre (Tchétchénie), la mise au pas des médias, la manipulation de l'opinion publique.

    • Attention ! Nous ne connaissons pas toujours ceux que nous élisons. Nos dirigeants se révèlent petit à petit, et nous sommes surpris de les découvrir autres que ce que nous les imaginions. Dans nos régimes démocratiques, l'alternance permet de changer de représentants et de dirigeants. Ce n'est pas le cas partout, notamment en Russie.

    • Ce livre nous invite à réfléchir sur l'avenir de nos propres sociétés. Nos libertés ne sont jamais acquises une fois pour toutes. Si nous ne sommes pas vigilants sur nos choix politiques, sur notre vote, sur la qualité de nos représentants politiques, si nous ne défendons pas chèrement notre peau d'hommes et de femmes libres, si nous ne résistons pas aux tentatives de réduire nos libertés, si nous n'essayons pas de comprendre les grands enjeux de notre monde, ALORS nous courons le risque d'être asservis un jour et de payer cher et pour longtemps nos étourderies et nos lâchetés.

    • J'explique que tout n'est pas perdu et qu'il existe des raisons d'espérer.

    • Je montre les blocages de la société russe.

    • Je montre comment le peuple russe a été réduit au silence en quelques années.

    • Je montre comment le Système Poutine a été mûrement réfléchi et comment il a été mis en place, bien avant que l'on « découvre » à la télévision le jeune et sémillant Vladimir Poutine, un jour de 1999.

​« SALE TEMPS... » appartient à L'HISTOIRE et à LA LITTÉRATURE.

Je livre au lecteur ce que j'ai trouvé : le fil conducteur des événements et les motivations des hommes. C'est de l'histoire totale, comme l'ont pratiquée les historiens Lucien Febvre, Marc Bloch, Jacques Le Goff, Georges Duby, Pierre Chaunu, etc., de l'École des Annales : axée sur les hommes, l'économie, la société, la politique, les mentalités...

L'histoire, c'est aussi de la littérature. C'est la raison pour laquelle j'ai choisi le titre « Sale temps pour les héros... » : un héros ne relève pas de l'histoire, mais de la littérature. Par ce titre et par tout le livre, je veux célébrer les retrouvailles ‒ mieux : les noces ‒ de l'histoire et de la littérature. Il n'est pas de plus grand roman ou de meilleure pièce de théâtre que l'histoire : tragédie, satire, comédie, amour, haine et mort.

« La froideur » de l'analyse (au scalpel, pourrait-on dire) est compensée par le récit vivant : celui de la vie des personnages (voir le point 3 de ton mail du 22/3/2016). Dans ce livre, qui est un livre d'histoire, j'ai voulu un équilibre entre les deux.

J'adopte un ordre chronologique général pour la facilité de la lecture. Mais avec des discontinuités dans le récit, comme dans un roman. Le point 2 de ton mail du 22/3/2016 : je compare simplement la façon dont j'écris l'histoire avec l'art du roman (voir 5.2 ci-dessus).

Mes sources ?

J'ai mobilisé toutes les sources disponibles. De très nombreuses sources russes (traduites en français). Beaucoup de dissidents et de journalistes. Les articles de l'ancienne correspondante du journal Le Monde à Moscou, Marie Jégo. La presse a été pour moi une source privilégiée.

Merci Jacques pour cet exposé très complet et précis de ta démarche : un livre que tu me donnes envie de découvrir !

Christine Brunet

www.christine-brunet.com

Publié dans Fiche de lecture

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H
Ayant travaillé sur Vladimir Poutine, président alternativement de la fédération de Russie (Rassiskaya) ou de la Russie (Rassiya) - et donc inévitablement sur la Russie post-2000 et les multiples points de vue sur celle-ci, souvent extrêment divergents en Russie et ailleurs (en France et aux USA en particulier) - le livre de M. Degeye m'intéressait. Je l'avais entendu en entrevue et n'avais pas alors pu déterminer clairement s'il avait une connaissance du russe suffisante pour accéder à des sources russes et pour évaluer le matériel traduit ou tiré de sources secondes qu'il a apparemment lues en grand nombre (il faut dire que le matériel ne manque pas, le président Poutine étant certainement la personnalité politique la plus marquante du début du 21è siècle). Il n'est pas besoin d'être historien pour se rendre compte que Poutine, qui aurait pu se satisfaire d'être un haut fonctionnaire fort compétent mais sans visibilité politique, a en deux décennies, avec une solide équipe autour de lui (il n'y a qu'à penser à la qualité d'un ministre comme Lavrov et au système de "roque" avec Dmitri Medvedev, actuellement président de la Russie, soit "premier ministre" pour les Occidentaux) littéralement opéré une résurrection de la fédération de Russie au plan national comme international, ce qui est d'autant plus marquant si l'on regarde le marasme de certains pays d'Europe occidentale. M. Degeye maintient une certaine ambiguité quant à sa connaissance de sources russes lorsqu'il dit "J'ai mobilisé toutes les sources disponibles. De très nombreuses sources russes (traduites en français). Beaucoup de dissidents et de journalistes. Les articles de l'ancienne correspondante du journal Le Monde à Moscou, Marie Jégo. La presse a été pour moi une source privilégiée." Or j'ai fini par apprendre de sa boiuche même quèil ne lit pas le russe, ne le parle pas, et se lon ce que j'ai compris n'a pas vraiment de connaissance vécue de la Russie. Or les slavistes savent que la quantité d'ouvrages qui furent écrits, par exemple, sur l'URSS au fil des ans répétaient tous un peu, sans les évaluer, les mêmes poncifs, les mêmes erreurs, les mêmes chansons. Je trouve dommage de passer 10 ans de sa vie à entreprendre une "recherche" qui est inévitablement limitée, mais qui peut surtout donner une image très fausse des réalités. Toutes les affaires sur lesquelles ces histoires sont appuyées sont des affaires ou les légendes de toutes sortes pullulent. La Russie de Poutine n'est pas l'URSS des années 1930 ni l'URSS de l'époque Brjenev. Les 'héros' dont il est question ici sont surtout des journalistes et des journalistes plutôt isolés ou ayant choisi de vivre aux USA ou en Antgleterre. Considérer Khodorkovsky comme un héros n'a pas grand sens. Et comment évaluer le style des auteurs quand on ne peut pas les lire dans l'original? Je comprends qwue M. Degeye considère son livre comme un roman avec une base historique. Il n'en reste pas moins que certains vont le lire en pensant y trouver, vu l'impressionnante recherche dans les sources secondaires, une "vérité" qui ne peut malheureusement pas y être. Rien n'empêche bien sûr un auteur qui ne lit pas le grec ancien d'écrire sur Aristote ou un non-latiniste d'écrire la vie de Cicéron. Mais cela limiterait singulièrement leur propos, et on ne parle pas comme ici d'un sujet qui est encore d'actualité à de nombreux niveaux. Le "héros" est porteur de la vision d'une collectivité. Je ne suis pas sûr qu'il y en ait ici.
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C
Respect pour cet auteur, pour tout le travail d'investigation que cela demande, pour avoir eu le courage d'aborder et d'approfondir un tel sujet... Je m'incline devant tant de travail.
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D
Un tout grand merci à Christina. En effet, plusieurs années de travail... heureusement entrecoupées par d'autres activités (d'écriture notamment).
J
J'aime bien l'avertissement de Jacques : se demander si nos propres sociétés se sont pas elles aussi menacées. La liberté, la démocratie doivent se défendre tous les jours, même chez nous. Benjamin Constant, dans son livre «De la liberté des Anciens comparée à celle des Modernes » ne disait pas autre chose. Comme il était impossible que chaque citoyen français prenne part aux décisions politiques, comme cela se faisait dans l'Athènes de l'Antiquité, il nous conseillait de déléguer notre pouvoir à des représentants légalement élus. Cela nous permettait de vaquer à nos occupations personnelles. Mais il insistait aussi sur le danger de dérive de certains dirigeants, qui pourraient avoir tendance à transformer la démocratie de tous en dictature profitable à un petit nombre seulement. Il nous demandait donc d'être toujours vigilants. <br /> <br /> On le voit bien avec le traité transatlantique, qui se négocie derrière notre dos dans le plus grand secret et qui pourrait bien profiter davantage aux grosses multinationales qu'aux citoyens. Et ce n’est qu’un exemple. <br /> <br /> Le système Poutine est ce qu’il est, mais ne croyons pas naïvement que nous sommes à l’abri de ce genre de dérive en Occident. Qui dirige vraiment en fait ? Qui prend les décisions ? Nos représentants disent que c’est l’Europe qui décide pour eux. Mais avons-nous élu les membres de la Commission ?
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C
Un livre dense qui propose une réflexion sur l'Histoire et l'Humain. Bientôt ma fiche de lecture sur notre blog !
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E
J'avais tout à fait "loupé" cet auteur de CDL mais je suis certainement intriguée maintenant... pas banal du tout!
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D
Très heureux de ton commentaire.
C
Un livre qui a demandé des heures et des heures de travail. Mais in fine, quelle analyse...Un livre qui ne démolit pas non plus puisqu'il est dit que tout n'est pas perdu...
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D
Ton commentaire me fait plaisir.
J
Je redis et amplifie ce que j'ai écrit hier : passionnant venant d'un homme passionné. Vif intérêt de ma part. Bravo Jacques. j'ai vraiment envie de commander Sale temps pour les héros, et le recueil ensuite. <br /> Mais ce sera en juin car les finances ... sont mises à rude épreuve ces deux mois-ci. En tout cas merci pour cet enthousiasme de l(écriture et de la réflexion, cette approche et le travail sur l'Histoire par la littérature " D'un besoin, évidemment. D'une exigence même." " le fil conducteur des événements et les motivations des hommes. C'est de l'histoire totale " " réfléchir sur l'avenir de nos propres sociétés ".« La froideur » de l'analyse (au scalpel, pourrait-on dire) est compensée par le récit vivant : celui de la vie des personnages " etc : je me réjouis de te lire, Jacques !
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D
Excuse-moi pour le retard mis à lire ton commentaire élogieux... et à te répondre.<br /> J'espère que tu pourras lire mon ouvrage prochainement et me donner ton verdict final.<br /> Une "histoire totale" : tel est bien l'objectif.<br /> MERCI à toi, Jean Louis.