« FANTINE » de M-Noëlle Fargier
« FANTINE » de M-Noëlle Fargier
J'aime "les seconds rôles"...Il en est un qui m'a toujours interpellée, touchée. Celui de Fantine, la mère de Cosette dans "Les Misérables" de Victor Hugo. Cette femme si forte et pourtant si fragile....
Fantine
On ne sait pas grand-chose d'elle, enfant. On peut l’imaginer lorsqu’elle vivait à Montreuil. On peut l'imaginer courant dans une prairie, les cheveux au vent. On peut l'imaginer tremper les pieds dans la rivière qui coule près de sa vieille maison, avant de rejoindre la grande bleue. On peut l'entendre rire quand les petits vairons chatouillent ses orteils. On peut la voir s'asperger le visage de ses mains fines et sales. On peut la contempler sous le soleil qui lance des reflets dorés sur sa longue chevelure. Et puis, cueillir un fruit du pommier centenaire et y croquer à pleines dents. Et puis, s'asseoir à son ombre bénéfique et rêver...
Faire de sa robe jaunie, un habit lumineux de papillons colorés. Remplacer ses sabots usés par de fiers souliers argentés. Transformer sa vieille maison en un château. Oui, elle partira. Oui, elle s'enfuira. Oui, elle ira dans cette ville lumière qu'on appelle la capitale. Oui, elle découvrira les cathédrales et leurs dorures, bien plus divines que la petite église de son village. Oui, elle s'enfuira. Puis, elle travaillera, elle aime tout faire, et puis elle sait si bien coudre. Elle se promènera sur les beaux faubourgs fleuris, vêtue d'une robe blanche. Elle rencontrera un bel homme qui l'aimera dès leur premier regard. Il lui dira les mots qu'elle n'a jamais entendus, des mots d'amour, d'amour éternel. Ils se marieront, auront une magnifique demeure avec un grand jardin d'herbe douce, de fleurs multicolores où l'air se déguisera de mille senteurs. Elle lui donnera un enfant, une fille qui lui ressemblera. Comme sa maman, elle sera habillée d'une jolie robe...rose. Elle portera une magnifique poupée en porcelaine, blonde comme elle. Lui, dans un costume sobre et élégant, elle, dans sa robe blanche, tiendront la main de leur fillette. Et tous trois riront tant de leur vie facile, si légère sous le ciel bleu de Paris. Oui, elle partira....
Paris est majestueuse, comme dans ses rêves ! Belle Fantine, son rire résonne encore de ses espoirs infaillibles, de ses projets, de ses rêves, sur les pavés de la cité. La lourdeur de sa blondeur échevelée respire ses belles années. Insouciance. Elle marche, tête haute, intrépide. Ses yeux bleus dévorent ses lendemains qu'elle sait beaux, qu'elle sait heureux, qu'elle sait sereins. Oh belle Fantine ! Ses perles blanches, elle sait les montrer, elle rit si fort à son présent, à son destin. Sûre d'elle, comme de chaque être qu'elle aime. Chaque homme, chaque femme qu'elle croise semble voué à illuminer sa vie, à la faire rayonner. Belle Fantine ! Elle mord la vie, la savoure, la partage. Parfois, ses moments de pudeur calment son air enjoué, et elle devient grave. Elle commence à apercevoir les ombres données par celle qu’elle nomme « la dame de Paris » derrière laquelle se cache la misère, la tristesse. Ces moments lui donnent un air qu'on pourrait croire dédaigneux : objet d'attirance pour cet homme, Tholomyès. Il est là, son prince. Plus vieux, chauve, édenté, certes. Mais le regard et les mots tels qu'elle les avait rêvés. Passionnée de lui, elle devient. Petit oiseau téméraire se posant sur cet épouvantail d'oracle. Passionnée de lui, elle se donne. Passionnée de lui, elle enfante. Oh belle Fantine ! Cet être en qui elle croyait, cet être qui lui a promis le soleil éternel... brûle sa chair. Et chaque être qu'elle croise sur son chemin calcine ses plus sincères croyances.
Mais sa fille, sa Cosette est bien réelle et si fidèle à celle de son rêve ! Pourtant, elle n'est pas vêtue de la jolie robe, elle ne porte pas la ravissante poupée. Elle a seulement faim. Et elle, elle doit la confier pour la sauver. Qu'elles sont belles les paroles de cette famille adoptive avec leurs sourires si sincères, leurs enfants si aimants ! Cosette sera heureuse ! Bien sûr, il faudra donner quelques sous à ces braves gens. Mais elle travaillera. Le monde est tellement bon, toujours là pour l'aider ! Malheureusement, sa belle Cosette tombe malade. Ces pauvres gens, si dévoués au bien-être de Cosette, réclament de plus en plus de sous à Fantine. Il ne lui reste rien. Que son corps. Comme il a donné la vie à son enfant, il va devenir la source de sa survie. Elle le vend. Ses cheveux saccagés, sa bouche cloisonnée sur son rire amputé, édentée, pour nourrir son enfant, la soigner, et lui offrir ce beau jouet. Cette foi, offerte pour quelques mots, un peu de poésie, un petit sourire, aujourd’hui ne se dessine que d'un seul nom "Cosette", sa fille. Elle s’oublie. Et pour cause ! Qu'ont-ils fait d’elle et de ses rêves ?
- De la chair meurtrie, des espoirs brisés.
Ses yeux si bleus, violés de cernes creusées par des mains obscènes. Sa bouche qui ne rit plus et se tait. Son corps assassiné par son âme trop pure. Un homme regarde Fantine, vestiges de la main humaine.
Il ne reste d'elle que cette chose : un corps mourant et des rêves...Le seul que sa vie terrestre ait exaucé et qu'elle doit quitter, sa fille Cosette. Elle le confie à ce Monsieur, si digne, si aimant qui la regarde mourir, Monsieur Madeleine. Cet homme ignoblement accusé, ignoblement enchaîné pour un morceau de pain. Cet homme défenseur du plus faible, et coupable lui-aussi, sans le vouloir, du destin de cette femme.
Cet homme qui va porter le seau, rempli de cet eau limpide et si lourd pour cette petite fille.
Si lourd des chimères de sa mère, peut-être......