Edmée De Xhavée – Extrait de la nouvelle Louve Story, Recueil « La rinascente* »

Publié le par christine brunet /aloys

 

 

« Les loups ! Octavie les avait aperçus de temps à autre. Furtifs, le trot rapide et souple. Parfois même, elle en avait croisé le regard jaune, et en avait été enivrée. Ils s’approchaient rarement du petit manoir, et surtout des étables d’où il leur arrivait certains jours d’audace d’enlever un agneau dans le cœur de la nuit. Ils quittaient peu la forêt, et chantaient leur complainte qui montait dans le ciel de velours sombre.

Une nuit elle était sortie dans le fond du jardin, foulant de ses pieds nus l’herbe humide, soulevant d’une main l’excès de longueur de sa chemise de nuit, brodée et luisante de rubans de soie et, se hissant sur le mur, avait échangé avec un loup invisible ses modulations tendres.

Le lendemain on l’avait réprimandée : elle avait les avant-bras égratignés, ce qui se verrait au bal de la fin de semaine, ou elle avait sali le bas de sa chemise de nuit avec la grosse terre noire. Elle allait attirer les loups. Et enfin, les servantes ne manqueraient pas de répandre la rumeur de ses bizarreries aux servantes des autres demeures, par l’entremise de l’un ou l’autre livreur ou amoureux ».


 


 

Elle comprend bien Octavie la frémissante. Oh si elle la comprend ! Elle n’a pas connu l’appel du loup en liberté mais a tant aimé monter à cru. Elle sent encore les flancs chauds de Pépita, la jument de ces gens venus de la ville, qui la lui laissaient monter et caresser dans la grande prairie qui entourait leur ferme redynamisée, comme ils disaient. Elle la montait en short, sans selle ni étriers, se fiant à la force de ses genoux et talons pour rester en place, tandis que Pépita se laissait conduire par une bride sommaire dans un petit trot léger qui lui détendait les jambes. Quand elle redescendait de sa monture, l’intérieur de ses genoux et cuisses était un peu opaque, patiné de la graisse à l’odeur délicieusement sauvage.

Octavie avait semé en elle…

Elle aimait aussi partir aux champignons, que ce soit ceux de prairie à la fragile blancheur, qu’il fallait déplacer avec doigté pour ne pas les faire noircir, ou les champignons des bois aux teintes, formes et peaux délicates. Pourquoi n’accompagnes-tu pas Janou à la kermesse ? demandait sa mère, inquiète de la solitude que sa fille recherchait, à un âge où au contraire il fallait se faire voir pour être choisie… Mais elle aimait abandonner derrière elle le gai vacarme coloré de la kermesse, sachant que les sentiers, prairies et bois seraient déserts, et qu’elle y serait reine des lieux.

Elle était partie étudier dans une ville éloignée, ne revenant que lors des vacances ou évènements familiaux : le mariage de Bastien, la mort de mémé, l’opération de papa… Elle avait trouvé du travail dans cette ville, un travail que personne ne comprenait dans le village. Àquoi donc peut servir une documentaliste ? Et pourquoi ne se mariait-elle pas ? Elle n’aurait pas besoin de travailler, elle élèverait ses enfants.

Elle souriait à sa mère, amusée de l’abîme qui les séparait, et qu’elle avait renoncé à tenter de combler.


 

 

Publié dans Textes

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C
I like reading and these novels are very close to me! thanks for sharing some episodes!
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E
Merci à tous pour votre curiosité à l'égard de ce livre que Marcelle a déjà dévoré, craignant d'être dévorée par les loups de Louvise...
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P
Marcelle a raison : il faut que je découvre ce livre.
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P
Justement c'est ma dernière lecture !<br /> J'aime toujours le style d'Edmée, j'ai adoré ce livre, à découvrir absolument :-)
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M
J'adore l'approche sensorielle d'Edmée ainsi que son style tellement "classe". Belle mise en bouche !
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