Christian Eychloma a lu "Le Camaret d'Achille" de Marie-Noëlle Fargier

« Le Camaret d’Achille » de Marie-Noëlle Fargier
lu par Christian Eychloma
« Et pendant ce temps-là, Loire ignorante et douce,
Tu couleras toujours, passante accoutumée,
Dans la vallée heureuse où l’herbe vive pousse,
Ô Loire inépuisable et que j’avais aimée...
…
Loire qui ne sait rien de la souffrance humaine,
Ô Loire inaltérable et douce à toute enfance,
Ô toi qui ne sais pas l’émoi de la partance… »
Je devine votre réaction… Ces vers vous rappellent quelque chose mais avec un petit truc quelque part. Puis vous sursautez en réalisant qu’en remplaçant le nom du fleuve par le nom original (la Meuse), on retrouve bien un extrait d’un poème de Charles Péguy. Gagné !
En lisant « Le Camaret d’Achille », certains vers me sont en effet revenus en mémoire, car ils illustrent de façon si poétique le fait évident que, génération après génération, nous passons, alors que les paysages qui nous ont vu naître, grandir, aimer, mourir, demeurent par endroits presque inchangés. Les « chibottes », par exemple…
On réalise que l’univers ne nous est ni bienveillant ni hostile, mais simplement indifférent. Et qu’il nous appartient par conséquent, à nous, humains, lors de notre court passage, de nous efforcer de créer du sens dans un monde qui, considéré de façon purement objective, en est dépourvu. En commençant par nous respecter et nous aimer. Bon, ça s’appelle l’Humanisme.
Souvenons-nous un instant de « La Bukinê d’Anna ».
Sur les lieux-mêmes où s’érigeaient, il y a bien longtemps, la cité d’Hélios du peuple sédentaire aux cheveux couleur de soleil et le campement précaire de la tribu nomade aux toisons couleur de nuit, Noëlle Fargier nous entraîne cette fois dans l’histoire d’une famille s’étalant sur une période incluant les deux dernières guerres.
Peut-être pour montrer que les siècles s’écoulent mais que l’espèce humaine ne change pas dans sa nature profonde, on retrouve les trois sœurs du premier roman avec leur nom comme unique changement. Trois personnalités identiques à ce qu’elles étaient trois mille ans auparavant, jetées dans le tourbillon d’une nouvelle vie, dans un autre temps, avec ses joies et ses peines. Et l’on ne peut tout d’un coup s’empêcher de se demander : « pourquoi moi, ici et maintenant ? Qu’aurais-je fait à cette époque, dans les mêmes circonstances ? »
L’histoire d’une famille, disais-je. Une histoire qui, observée depuis quelque distance, pourrait en rappeler beaucoup d’autres. La première guerre, d’abord. Vous savez : « la der des der » ! Entre les deux, les difficultés de la vie, et l’influence d’un clergé abusant de son pouvoir sur les âmes simples. Intolérant, exerçant sa tyrannie sur la population des campagnes, avec le terrible destin du jeune Achille. Et la seconde, dix-neuf ans après. Mobilisation, séparations, enfermement interminable des prisonniers de guerre, occupation, résistance, arrestations, tortures, libération, exactions perpétrées par les résistants « de la dernière heure »…
Une histoire humaine, trop humaine.
CHRISTIAN EYCHLOMA
