Une chronique pour l'ouvrage de Mickaël Auffray dans Nouvelle Donne
https://www.nouvelle-donne.net/chroniques/critiques-de-recueils-de-nouvelles/article/vous-etes-ici-mickael-auffray
Mickaël Auffray, auteur de Makina et autres boucheries, chroniqué l’an dernier ici‑même sur le site de Nouvelle Donne, récidive, armé de la pointe acérée de sa meilleure plume, qui nous déconcerte et nous divertit inlassablement. D’un détail bien observé, d’un commentaire acidulé placé au bon moment, l’humour afflue à tous les coins de page avec une aisance confondante, comme coulant de source. Le fleurettiste fait mouche et tient la distance !
Nos préférences (oui, au pluriel !) vont à Démission, qui oppose la sèche logique du profit (« Plus on fait d’amiable moins on fait de pognon ») incarnée par la société de recouvrement de créances Remboucred à la lassitude désabusée de Monsieur Delval, employé au bout du rouleau, qui parfois « brille par son absence » et, pour survivre au bureau, imagine sa boss en train de danser sur le jovial refrain de YMCA. Extrait de dialogue, surréaliste à force de réalisme :
«
— Alors, tu t’es fait virer ?
— Non, j’ai démissionné. Et toi, t’as démissionné ?
— Bah non, je me suis fait virer. »
Dans L’impasse, un mari usé par une vie conjugale insipide constate que « l’amour est une sucette à deux faces : arôme sucre d’un côté, amer de l’autre. Avec le temps, les saveurs finissent par se mélanger. » Époux revenu à la raison après des rêves de carnage, mais qui pourrait aussi bien être l’Andrew Tenerife de Tout doit disparaître (« le superflu est sans limite »), lequel dépassera justement ces limites que le mari resté dans L’impasse osera seulement taquiner en imagination. Quelle différence entre ces deux déçus de la conjugalité ? Le passage ou le non‑passage à l’acte pour une folie similaire, coriace pour l’un, passagère pour l’autre, et dont le seul degré permet soit d’impacter terriblement le réel visible, soit d’éviter l’impact. Entre les deux, la frontière est mince.
Et pour tenter d’en finir avec ce réel mal défini, mal clôturé, mal couturé en somme (tentative vouée bien entendu à l’échec), la nouvelle éponyme de la collection, Vous êtes ici, met en scène un protagoniste errant comme un mort‑vivant dans un non‑décor uniquement représenté par des panneaux lui indiquant où il se trouve, voire où il ne se trouve pas, voire où il n’a jamais été, voire où il ne sera jamais, à défaut de l’endroit (mais quel est‑il ?) qu’il aimerait trouver. Il en profite, car c’est – peut‑être – le moment, pour s’interroger sur la réalité de sa propre existence, avant de finalement constater que « la théorie de [son] décès potentiel [semblait] s’effondrer ». Est‑ce la bonne théorie ? Rien n’est, sans doute, aussi simple…
Le rôle de cette chronique n’est pas de dévoiler toutes les perles de ce nouvel opus de Mickaël Auffray – quand bien même, elle n’y suffirait pas ! – mais d’inciter les aficionados et les novices dans l’art de la nouvelle à déguster Vous êtes ici sans modération.
C’est un recueil qui plaide implacablement pour son genre, auprès de tout public !