Concours pour le hors-série de la Revue, Les petits papiers de Chloé dans le thème "Catastrophe !" : "vous vous réveillez dans la peau d'un autre"... Texte 3
Réveil sans retour !
Tap ! Tap ! Tatatap…
Des coups sourds résonnent dans mes oreilles, m’obligeant à entrouvrir les paupières. A travers les tentures, le jour filtre à peine et je me rends compte qu’on frappe à la porte.
─ Qui essaie de m’extirper de mon sommeil à cette heure matinale ?
Pieds nus et chancelante, je me précipite pour ouvrir à l’impatient qui tambourine à présent avec fracas. Inutile de réveiller toute la maisonnée !
D’étranges soldats m’empoignent aussitôt en m’intimant l’ordre de les suivre. Un curé en soutane se tient en retrait et me tend une bible, en se signant.
─ C’est aujourd’hui, Madame, que vous devez expier vos fautes et Dieu vous accompagne dans cette épreuve.
Je balbutie, hébétée et mon regard affolé balaie les hommes qui me menottent. Leur uniforme me semble incongru avec leurs tricornes, leurs bottes hautes et leurs vestes à queue de pie bleues et blanches.
Des hurlements montent en crescendo de la rue, des mots chargés de haine et de colère :
─ A mort l’Autrichienne ! Bon voyage avec le diable, madame Déficit !
Je marche en titubant entre mes kidnappeurs, éberluée de me voir attifée d’une longue chemise de nuit en coton blanc.
─ Ne m’étais-je pas endormie dans une tenue plus sexy : nuisette de satin rose coquin ?
Des bras puissants me hissent sur une charrette et les cahotements me donnent le vertige.
Des bouches hideuses m’invectivent tout au long du trajet. Des femmes, les cheveux enserrés par une coiffe blanche me dévisagent avec mépris, des hommes vêtus de pantalons moulants et chaussés de sabots crachent sur mon passage.
Et puis, je la vois !... Une horrible machine à tuer sortie de l’histoire ! Une guillotine trônant sur un échafaud !
Aucun son ne sort de mes lèvres mais le bourreau cagoulé de noir me prend la main en murmurant :
─ Ce sera rapide, votre Majesté !
Une image me gifle soudain en explosant dans ma mémoire.
Ne me suis-je pas endormie dans une chambre d’hôtel consacrée à Marie-Antoinette, la dernière reine de France, épouse du roi Louis XVI ?
En quête d’originalité, mon mari m’avait offert un week-end dans un ancien château décoré selon les critères du 18ème siècle. Notre chambre « l’autrichienne » était dédiée à cette malheureuse monarque au destin tragique et je me revois un verre de champagne à la main… un verre de trop… narguer le portrait emprunté de cette gente dame.
Déjà détestée par ses sujets à cause de ses origines germaniques et de ses excès financiers, elle n’a pas apprécié ma fanfaronnade.
Avant de m’abandonner à l’étreinte du sommeil, j’ai lancé un dernier clin d’œil à la royale silhouette. Ses lèvres affichaient un rictus moqueur et ses yeux me fixaient sournoisement.
Mes paupières engourdies se sont fermées jusqu’à ce martèlement sur ma porte.
Marie-Antoinette s’est bel et bien vengée en m’aspirant dans son époque.