Kate Milie avec un article dans "Bruxelles Culture" signé Bob Boutique
« le Mystère Spilliaert » un des meilleurs romans de Kate Milie. Mais est-ce bien un roman ?
Kate Milie parle comme une mitraillette, mais réfléchit longuement avant de s’exprimer, elle a un débit ultra rapide mais tout est pensé dix fois, documenté avec sérieux et le résultat d’un long travail de réflexion… bref, elle est exactement le contraire de ce qu’elle parait être. Si vous avez pigé la manière dont elle fonctionne vous avez tout compris, sinon tant pis pour vous et repassez un autre jour.
Car depuis 2009, où elle a fait paraître son premier bouquin, cette autrice (ben oui, on est désormais obligé de nommer les écrivains avec le féminin correspondant si on ne veut pas courir le risque d’être désavoué publiquement) cette autrice a réussi à prendre une véritable place parmi les noms qui comptent dans la littérature belge. Depuis son premier polar (« Une Belle Epoque ») où elle s’est positionnée comme une écrivaine particulière, ses livres étant autant des descriptions de l’Art Nouveau que des histoires haletantes avec des assassins et des enquêtes compliquées, elle est apparue différente et originale.
Pas de problème du coté de l’écriture où on s’est rapidement rendu compte qu’elle savait écrire mais c’est surtout du côté de l’ambiance qu’elle se fit remarquer, avec des histoires qui toutes sans exceptions tournaient autour de Bruxelles et s’attardaient sur les courbes et arabesques de l’Art Nouveau qui fit le must des architectes entre 1890 et le début de la première guerre mondiale.
On peut dire sans lui lancer de fleurs (parce que c’est vrai), que Kate Milie est devenue une sorte de spécialiste de ce style et tous ses romans édités depuis, qu’il s’agisse de « l’Assassin Aime l’Art Déco », de « Noire Jonction » ou de « Peur sur les Boulevards » (tous édités chez 180 degrés) ne sont en définitive que des variations sur ce thème de l’Art Nouveau, avec en toile de fond, Marie une jeune guide touristique, qu’épaulent un journaliste et un flic qui connaissent bien les lieux interlopes ou parfois peu connus de la capitale, mais toujours attrayants sinon remarquables (l’adjectif étant considéré ici comme « curieux » ou « à marquer d’une pierre blanche ou… noire ».
Mais si je vous en parle ce mois-ci, c’est pour vous présenter un ouvrage vraiment très original qu’elle vient de publier et qui mérite dix fois être lu : « Le Mystère Spilliaert » et pour une fois il ne s’agit pas d’une enquête policière, encore que ce bouquin soit rédigé de la même façon. Car le sieur Leon Spilliaert a existé (1881– 1946). C’était un artiste dans tous les sens du terme et qui a laissé derrière lui des tableaux remarquables, pas toujours appréciés à leur juste valeur, relativement peu connus comme ils devraient l’être, mais témoins d’une époque où le symbolisme, l’expressionisme et même le surréalisme se confondaient. On ne peut d’ailleurs l’associer à aucune école sinon toutes à la fois. "Jusqu’à présent ma vie s’est passée, seule et triste, avec un immense froid autour de moi" écrivait-il en 1909, il n’avait pas trente ans ! Tout est dit, solitaire et très seul !
Peu de gens le connaissent, hormis les spécialistes, et sa fin de vie fut à l’image du personnage, discrète et retirée, encore que sur le plan pécuniaire il ait toujours vécu à l’aise, appartenant à une famille aisée d’Ostende (son père était parfumeur de la Cour). Il a connu et fréquenté des poètes comme Maeterlinck et Verhaeren, correspondait avec Nietzsche et Lautréamont et fut un proche de James Ensor qui ne le tenait cependant pas en très grande estime … Bref, il n’a pas vécu la vie difficile et bouleversée d’un poète maudit, mais celle d’un fils de famille qui n’a jamais du compter ses sous à la fin du mois, ce qui n’est pas très romantique. Il avait une santé fragile (il souffrait d’ulcères sévères à l’estomac et d’insomnies) et ses dernières toiles moins connues l’amenèrent même à dessiner encore et toujours des arbres ! Bref, qu’avait t-il de si particulier que Kate Milie lui ait consacré un livre ? Et surtout l’ait intitulé le « le Mystère Spilliaert » ?
Tout part d’un tableau exposé au musée d’Ixelles « l’Homme Chancelant ». « Un homme, vu de dos, vêtu d’une redingote, coiffé d’un haut-de-forme, erre la nuit, en bord de mer, le long des majestueuses Galeries royales d’Ostende. Il semble tituber, tend une main hagarde vers les imposantes colonnes. Qui est cet homme ? Un noctambule égaré sur la digue après la fermeture des cabarets ? Un promeneur perdu ? Un être dévasté venu confier une douleur intenable à la mer ? ». Une toile de jeunesse de Spilliaert qui toucha Kate Milie en plein cœur.
Et Kate elle est comma ça. Quand quelque chose la touche, elle y va à fond. Elle veut comprendre. Ce tableau lui a parlé et désormais elle va consacrer une année complète de sa vie de romancière à cet artiste méconnu ou presque et lui dédier un atelier d’écriture qui deviendra en même temps un livre (là on retrouve l’auteur de roman policier). Et quel livre !
Deux lecteurs et participants à ce atelier, Adrienne et William, la quarantaine, vont devenir ses cobayes, donner leurs impressions, leur ressenti et en même temps participer à la confection du livre, séduits par le spleen troublant et la personnalité sombre de Spilliaert (surtout durant sa période « jeunesse ») où il créa ses toiles les plus marquantes, souvent dessinées à l’encre de Chine et à la craie pastel. En fait, ils vont d’une certaine façon co-écrire ce livre et visiter de chapitre en chapitre les différents lieux où l’artiste a laissé, cent ans plus tôt, les traces de son passage. A Ostende bien sur, l’Hôtel Métropole à Bruxelles, Paris le long des quais de la Seine… partout où son génie la trimballé.
Un livre qui n’en est pas un, mais qu’il a fallu écrire quand même, sur un peintre qui n’appartient à aucune école mais a fréquenté les plus grands au début du siècle passé et dont on commence seulement avec pas mal de retard à reconnaître le talent, une autrice qui n’hésite pas à sortir des sentiers battus et se lance à corps perdu dans une œuvre méconnue qui va peut-être revoir le jour… L’exemple de Van Gogh est là pour nous ramener à plus de modestie et nous rappeler que la notoriété ou le succès ne sont pas toujours le résultat du génie, mais plus souvent de l’art de se vendre.
Qu’il s’agisse de « l’Homme Chancelant », de la « Baigneuse », de la « femme sur la Digue », de « la Porteuse d’eau » ou plus simplement du portrait de son ami « Emile Verhaeren », tous ces tableaux commencent désormais à faire parler d’eux et Léon Spilliaert sort de l’ombre. Il n’en demandait pas tant. Tout comme le livre que Kate Milie lui a consacré à une époque où les gens se demandaient le pourquoi et le comment d’un tel intérêt ? Certains appellent cela de la prémonition, d’autres du flair… Demandez lui, à mon avis c’est tout simplement l’intérêt pour le beau.
Ainsi un peintre sort de l’anonymat où il se complaisait, pour devenir soudain un « Nom » et (je me trompe peut-être, mais je ne crois pas) un talent très original où une certaine discrétion voulue risquait de l’enfermer ! Ce n’est pas la première fois que des artistes se révèlent après leur mort et souvent cela arrive parce qu’ils sont redécouverts à leur corps défendant par des amateurs d’art, parfois des galeristes ou des gens plus visionnaires, plus affutés que d’autres.
Avec « le Mystère Spillaert » Kate Milie a donc réussi à sortir des limbes un peintre d’une grande originalité tout en écrivant un roman (mais est-ce bien le terme exact) de toute beauté qu’elle considère d’ailleurs comme un de ses écrits les mieux pensés.
BOB BOUTIQUE