Philippe Desterbecq nous propose un exte sur l'automne
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Automne
Il attend. Avec patience. Il a toujours aimé l’automne et il attend sa proie paisiblement, comme un chasseur à l’affut. Il regarde tomber les premières feuilles.
Il aime cette légère brume qui enveloppe les arbres de son écharpe vaporeuse. Il aime l’or qui, petit à petit, colore les feuilles qui finiront par mourir comme tout un chacun. Il aime l’écureuil qui voltige de branche en branche, vole une noisette, une châtaigne qu’il s’empresse de cacher dans un endroit qu’il finira par oublier, plantant ainsi, sans le savoir, les futurs arbres qui peupleront la forêt.
Il aime la forêt, le calme qui y règne, le chant des oiseaux qui saluent le lever du jour. Il aime l’attente. Il sait qu’un corps à moitié dénudé finira par faire son apparition. Le plus souvent, ce sont des hommes qui courent dans le bois. Les femmes se méfient. Des prédateurs pourraient rôder dans les environs, des mâles alpha prêts à les dévorer. C’est comme ça qu’il se nomme : Alpha. Ce n’est évidemment pas son nom de baptême. C’est comme un pseudonyme, une appellation qu’il s’est donnée à lui-même. Il est le dominant, le leader, celui à qui personne ne résiste.
Chez certaines espèces animales comme le loup, l’alpha jouit d’un accès privilégié aux femelles. Parfois, il se réserve même leur exclusivité.
Que se passe-t-il si une femelle fait de la résistance ? Lui le sait. Il prend et que celle qu’il a choisie soit d’accord ou pas ne change rien à l’affaire. D’ailleurs, si elle lui résiste, elle n’en est que plus attirante.
Chaque année, c’est en automne que ses sens se réveillent. La sève qui descend dans le tronc jusqu’aux racines de l’arbre monte en lui et il devient chasseur, braconnier, traqueur, prédateur.
Il fait une seule victime par an, toujours en automne, au moment où la nature la met en veilleuse, s’endort sous un épais tapis de feuilles multicolores.
Il sait qu’elle va arriver. Il la guette depuis des jours. Elle est réglée comme une horloge. Chaque matin, à la même heure, elle apparait dans ses vêtements collés à son corps perlé de gouttes de sueur. Elle est belle comme l’aube. Il a retardé sa mise à mort pour pouvoir continuer à l’observer, jour après jour, dans la fraicheur matinale, sous les premiers rayons faiblards du soleil d’octobre.
Elle ne le sait pas encore, mais aujourd’hui, elle va rencontrer l’alpha, le mâle suprême : lui ! Tout le monde n’a pas cette chance. Il entend déjà le bruit de ses pas sur les feuilles mortes, sa respiration un peu haletante. Il sent déjà son parfum d’automne, doux et capiteux.
Ses sens à lui sont aiguisés. Il est prêt. Le loup va sortir de sa tanière pour son repas annuel. Il sort ses griffes en même temps qu’il sort des fourrés.
La proie a compris. Elle s’arrête, mais c’est trop tard, le fauve a déjà bondi…