Concours : Catastrophe ! "Mes désirs deviennent/sont devenus réalité" Texte 2

Publié le par christine brunet /aloys

JEUNE PLUME

 

Depuis ses quinze ans, Dorothée rêvait de remporter un concours littéraire. Ce qui lui importait ce n'était pas de gagner la belle somme d'argent ou l'œuvre d'art promise au vainqueur. Non, ce qui lui importait plutôt était de voir son talent reconnu et d'être un modèle pour d'autres. Elle ne se voyait pas bien sûr devenir une sorte de Madame de La Fayette ou de Georges Sand, mais elle aspirait à s'imposer à un concours de portée nationale. 

 

Chaque année, les parents de Dorothée achetaient les livres qui avaient remportés les plus grands prix comme le Goncourt ou le Renaudot. Chaque année, ils suivaient aussi les grands tournois de tennis sur leur petit écran. C'est sans doute pour cela qu'elle en était venue à suivre des cours de tennis et accordait beaucoup d'importance à la littérature. Rapidement, elle avait remarqué qu'elle n'était guère douée pour le tennis et s'était contentée de jouer simplement pour le plaisir sans viser de participer au moindre tournoi. Quant à ses aspirations littéraires, c'était tout autre chose !  

 

Dorothée participait aussi bien aux concours de poésie, de dissertations que de nouvelles ou de contes. Elle consacrait de nombreuses heures à peaufiner ses écrits. Elle lisait beaucoup pour s'imprégner du style d'auteurs réputés, mais aussi pour analyser les stratégies employées par des gagnants de concours. Elle notait les conseils donnés ici et là lors d'interviews accordées par des écrivains.

 

Elle s'imaginait recevoir un jour ou l'autre un prix important. Ce qui alimentait son espoir c'est d'avoir reçu à douze ans le prix "jeunes plumes" d'un journal local. Faire rêver ses lecteurs et être une auteure mise en valeur dans la presse faisaient partie de ses objectifs.  

 

Adieu le six sur dix attribué l'autre jour par un jeune professeur de français intérimaire tout juste bon à savoir comment s'y prendre pour qu'on ne le chahute pas durant son cours, pensait-elle. Adieu les remarques telles que "beaucoup de stéréotypes", "trop d'adverbes", "images trop plates", venues d'autres profs, se disait-elle aussi. Quel bonheur cela devait constituer d'être peut-être reçue dans des classes pour présenter ses écrits et d'y parler de ses sources d'inspiration !  

 

Dorothée avait lu dans la presse que certains auteurs buvaient et se droguaient. Alors, un soir où ses parents s'étaient absentés elle eut recours à un petit fond de cognac pour attiser son inspiration. Grisée, elle écrivit d'une seule traite une longue nouvelle fantastique pleine de rebondissements. La qualité d'écriture n'y était peut-être pas, mais tout à l'euphorie de cette expérience elle s'était sentie pousser des ailes. Elle corrigea sa nouvelle des jours durant avant de se décider à l'envoyer. Elle participa ainsi au premier concours de récits courts organisé par le plus important éditeur du pays. 

 

Dorothée remporta le grand prix dans la catégorie des moins de vingt ans. Elle fit la une d'un journal et on lui promit qu'elle ferait celle du périodique communal. Elle fut interviewée par un présentateur vedette de la télévision et par des journalistes. Sa nouvelle était publiée dans un recueil où figuraient aussi celle du gagnant de la catégorie des plus de vingt ans  et celle de l'auteur vedette de la maison d'édition. On lui promettait un bel avenir. Une étoile était née. On parla d'elle lors des journaux télévisés du  week-end. On parla d'elle sur diverses stations de radio. Il faut dire que le vendredi soir pour la remise des prix, Dorothée n'avait pas lésiné sur la mise en scène : tout de rouge vêtue, maquillée par une esthéticienne de renom, elle avait consacré des heures à peaufiner des remerciements originaux écrits en vers. Il faut ajouter que Dorothée fit étalage de son bonheur sur divers réseaux sociaux.  

 

Le lundi, de retour au lycée, elle fut injuriée et tournée en ridicule par des élèves probablement jaloux de son succès. En fin d'après-midi, des ados se mirent à la siffler quand ils la virent marcher dans la rue pour gagner l'arrêt du bus. Des garçons et des filles s'en moquèrent sur les réseaux sociaux et lui attribuèrent des surnoms bizarres. Les commentaires désagréables affluaient. La bienveillance des deux amies qui la soutenaient et de ses parents ne faisait pas le poids face à cet acharnement. 

 

On lui faisait payer le prix de sa réussite littéraire. Désormais, la récompense reçue lui importait peu. Dorothée aspirait à changer d'école et de quartier. Elle pensait par moment au suicide. 

 

La direction de son établissement scolaire intervint rapidement, mais Dorothée était brisée et il lui resta longtemps au fond du cœur des vagues de tristesse.  

 

 

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article
P
Vu le thème, la chute, je m'y attendais et je ne suis pas surpris que ça se passe comme ça...
Répondre
H
Mon cœur a eu un pincecement de tristesse en découvrant la chute de ce texte que j'ai vraiment apprécié. Pauvre Dorothée qui n'était pas préparée à affronter la dure réalité imposée par la réussite. Les réactions de certains êtres humains vis à vis du bonheur et du succès d'un pair sont parfois... et même plus que parfois dépourvues d'humanité.
Répondre
E
Oh quelle chute. Ca fait mal, hein! Pauvre Dorothée...
Répondre
S
Moi, j'attends mes 70 ans pour devenir célèbre. Avant, je le sens pas.
Répondre
C
Ah devenir célèbre c'est compliqué à assumer.
Répondre