Extrait II de Meurtres Surnaturels, volume II : La Chute de Julian Kolovos Par Joe Valeska
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Avant d’en rencontrer un moi-même et de devoir me rendre à l’évidence, je n’aurais jamais cru à l’existence des loups-garous. Ou du surnaturel en général. Je n’avais nullement l’esprit obtus, mais j’étais, ma foi, tout simplement rationnel. Au final, le monde routinier dans lequel je croyais vivre dissimulait bien des mystères et autant de zones d’ombres…
C’était le mois de mai de l’année 2014, le 14, et la lune, ce jour-là, était pleine…
Il n’était pas vingt-deux heures quand je décidai de rentrer chez moi, à Cambridge. Plus de trois heures de route m’attendaient encore. Le temps d’arriver et de me déshabiller, de me brosser les dents, je n’allais pas être au lit avant une heure trente du matin. Au minimum.
Sans même avoir attendu de manger une part de gâteau, cela faisait une dizaine de minutes, si mes souvenirs sont bons, que je venais de quitter la fête d’anniversaire d’un cousin issu de germain, lequel habitait dans la ville où l’écrivain J. R. R. Tolkien vécut durant les toutes dernières années de son existence, à Bournemouth, dans le Dorset, sur la côte sud de l’Angleterre. Un endroit on ne peut plus charmant et où il fait bon vivre, il est vrai.
La maison de ce cousin, Carrington, pour le nommer, se situait à proximité de la belle plage de Boscombe – une plage avec une longue et très large jetée, entièrement restaurée, où l’on trouve, parmi d’autres loisirs, un minigolf, une passerelle musicale ou encore un club de pêche. Sans oublier les nombreuses animations, quand vient l’été, dont des concerts variés.
Cet anniversaire avait été si barbant que j’avais bu, moi qui ne connaissais même pas le goût du vin, à cette époque, trois mojitos et un Cuba libre. Il m’avait fallu au moins ça, pour retrouver mes couilles et laisser tout le monde en plan. Y compris mes parents qui m’avaient quelque peu forcé à faire le déplacement.
J’avais peut-être bu deux Cuba libre, en réalité, en plus de ces mojitos.
La route était mal éclairée et, bordel de merde, ça tournait grave…
Trente-cinq minutes plus tard, en longeant la forêt vierge du parc national New Forest, source d’inspiration de Lewis Carroll pour son Alice au pays des merveilles, je crus ma dernière heure arrivée quand tout l’avant du véhicule se retrouva non pas enfoncé, mais défoncé, au moment de l’impact inopiné et brutal. Sans sac gonflable, j’aurais été vraisemblablement réduit en purée.
La première chose dont je me souviens, c’est ce sac gonflable en plein dans la tête, justement. Tout se passa tellement vite, et je ne roulais même pas à quarante miles à l’heure. Une forme noire surgie de la forêt bordant la route, sur la droite, dans la lumière des phares, le choc, puis l’airbag… Tout cela presque en même temps. Je crus avoir percuté un cerf, une biche ou un poney, éventuellement. Pour être franc, je n’eus pas le temps d’y réfléchir… Je fus rapidement agrippé par les épaules, à travers la vitre brisée, et arraché à ma voiture. Quelque chose me traîna sur la route, me tenant par la cheville gauche comme si je ne pesais guère plus qu’une vulgaire poupée de chiffon.
J’étais sur le point de perdre connaissance. Ce qui se produisit en une poignée de secondes, au final.
Quand je pus rouvrir les yeux, il y avait un homme à califourchon sur mon thorax. Il était entièrement nu et recouvert de sang encore frais. Ses yeux, rivés sur mon visage, étaient orange. Ils étincelaient. Sa sclérotique était noire. De ce fait, on ne pouvait distinguer aucun lacis veineux à l’intérieur. Quand il ouvrit la bouche, se penchant un peu plus, je vis des dents et de très impressionnantes canines pointues.
– Tu as beaucoup de chance de ne pas m’avoir tué, me murmura-t-il à l’oreille, en me mettant ensuite mon portefeuille sous le nez. Est-ce que tu as peur ? Tu devrais avoir peur, sac à viande, et tu aurais raison. Car, maintenant que je sais où tu vis, Monsieur Max Carr, tu vas vivre dans la terreur de me voir débarquer dans ta vie à n’importe quel moment. Je vais beaucoup m’amuser. Toi, en revanche, je n’en suis pas sûr. Mais moi, oui.
Et il disparut aussi sec dans la forêt.
J’avais pissé dans mon pantalon… C’était un loup-garou. Un vrai de vrai. J’avais bu, mais quand même… Il avait mes papiers. Et il savait où j’habitais.
Le lendemain, après une nuit blanche à prier pour ne pas voir surgir le monstre, je passai la journée entière recroquevillé sur moi-même, sur le canapé, la carabine semi-automatique que mon père m’avait offerte à côté de moi – c’était une Browning Bar –, me demandant si je devais aller voir la police ou non. Mais je décidai finalement que non.
Max Carr passait à la télévision et était apprécié. J’allais passer pour quoi, moi ? Un fou ? Un fumeur de joints de plus ? Un halluciné ? Un con ? Je préférais encore mourir déchiqueté… En outre, je ne répondis à strictement aucun appel.
Les jours passèrent, identiques pour tout un chacun… Mais mon quotidien à moi avait définitivement basculé. Je le voyais absolument partout, lui et ses maudits yeux orange cerclés de noir. Ses yeux cruels.
Je le voyais en me rendant au boulot. Je le voyais au coin de la rue, en train de m’observer quand je sortais récupérer un paquet… Partout, partout, partout. Absolument partout.
Un soir – je dus devenir blanc comme un linge –, je le trouvai assis dans mon salon, les talons de ses rangers posés sur le contour en bois massif de la table basse avec plateau en verre.
– Bonsoir, Max, dit-il à mi-voix, sans même me jeter un regard. Il faisait sombre, mais tu dois te rappeler de moi, je présume. New Forest… Ça te revient ? demanda-t-il en me regardant enfin.
– Alors, nous y sommes. Tu t’es décidé à venir me tuer. Ça ne fait rien… Je suis épuisé à force de ne plus pouvoir fermer l’œil. Je n’ai même plus la force de me battre pour ma vie, je crois.
L’homme se leva – il était très grand, chose que je n’avais pas remarquée, la nuit de l’accident. Il se gratta le menton tout en ricanant. Ses yeux étaient parfaitement humains. Il était vêtu d’un blouson noir, d’un tee-shirt blanc immaculé et d’un jean déchiré aux genoux, comme j’en porte moi-même assez souvent, aujourd’hui.
Pour coller à l’image que l’on pourrait se faire du loup-garou, c’était un homme on ne peut plus viril : cheveux noirs coupés courts, mais pas trop non plus, et barbe de trois jours. Il devait avoir moins de trente-cinq ans. Il avait l’air d’un voyou, d’un chef de gang, mais rien, en lui, n’exprimait réellement la malfaisance. Il y avait même une certaine douceur qui se dégageait de son visage, et ce, malgré les poils de sa barbe.
– Tu m’as fait très mal, répondit-il en s’approchant de moi, sans se presser. Vraiment très mal.
– Je ne l’ai pas fait exprès… Je revenais d’une fête complètement nulle et j’avais bu quelques verres, me justifiai-je.
– Et tu me l’avoues comme ça, sans honte… Es-tu inconscient, dis-moi, ou es-tu simplement un imbécile, Monsieur le journaliste ?
– Si tu dois me tuer, fais-le vite. Qu’on n’en parle plus. Mais ne me dévore pas, par pitié… Je ne veux pas mourir de cette façon.
– Max, Max, Max… répéta-t-il. Tu crois réellement être en position de pouvoir exiger quoi que ce soit ? Tu ne l’es pas. En aucune façon. Si j’ai envie de te dévorer, je le ferai, et si j’ai envie de t’éventrer, je le ferai aussi.
Toujours aussi nonchalant, il m’accula dans un angle du salon et posa ses deux mains, l’une après l’autre, sur le mur lambrissé, formant ainsi une enceinte destinée à m’immobiliser. Je me rendis alors compte, à ce moment-là, à quel point il était naturellement intimidant, grand et musculeux. Quasiment deux mètres. J’étais moi-même correctement bâti, mais, face à ce Goliath, je n’avais aucune chance.
– Tu empestes la peur, dit-il en humant ma nuque. Tu savais bien que j’allais revenir… Ne t’avais-je pas prévenu ? L’autre nuit, tu m’as fait très mal. Maintenant, c’est à mon tour… C’est assez fair-play, me semble-t-il. « Je ne l’ai pas fait exprès… » J’ai entendu ce que tu as dit, mais je ne crois pas avoir entendu le principal, à savoir : excuse-moi.
– Des excuses ? Tu veux des excuses ? Très bien ! Je m’excuse ! Tu es content ?
– Je n’obtiendrai pas mieux, on dirait, mais change de ton avec moi, Max, ou je pourrais me montrer beaucoup moins gentil. Tu peux me croire, je suis un mec plutôt gentil, en principe, mais… fais gaffe à tes fesses. Je peux être très gentil comme je peux l’être… beaucoup moins.