Texte 3 concours "La passion détruite se transforme en passion de détruire"
Clics et Whisky
Dans une pièce sans fenêtre, dans un appartement au trente-troisième étage de la Tour Avant-Seine à Paris, règne le bruit des touches. Un clavier Azerty sur lequel il ne cesse de pianoter. Nous appellerons Bernard ce fameux “Il” dont l’identité doit rester secrète jusqu’à la fin de cette histoire. Bernard, donc, est un homme discret. Certains diraient étrange, inquiétant, voire malaisant. Toujours est-il que personne dans le gratte-ciel n’a jamais entendu le son de sa voix. On le croise, toujours dans le même ascenseur, mais rien de plus. D’ailleurs, il ne sort jamais. Il commande. Des petits paquets et des grands cartons qu’il récupère auprès du concierge en échange d’un clignement agité de la paupière gauche et d’un sourire compulsif. Ses mains moites tremblent. Sa chemise est mal boutonnée. Toujours.
En ce mardi pluvieux dégoulinant sur les immenses baies vitrées de la Tour, c’est un petit colis qui l’attend dans la loge du rez-de-chaussée. Petit, mais non moins lourd. Sans dire merci, Bernard tourne les talons et rejoint son appartement qu’il ferme à double tour. Dans le carton : Jack Daniel, Clan Campbell, Johnnie Walker et Ballantine’s. Il dévore des yeux les bouteilles avec l'œil lubrique du client impatient devant les vitrines d'Amsterdam. Il transpire et, rapidement, jette son dévolu sur le degré le plus élevé. Un verre. Deux. Trois. Quatre. Le cinquième pour plus tard. Les veines pulsatiles, il pénètre dans la pièce sans fenêtre qu’il verrouille d’un regard écarquillé à l’attention du système de reconnaissance de l’iris. Dans la pénombre, il titube telle une brebis égarée jusqu’à s’asseoir au centre, sur la chaise à roulettes. Le jeu peut commencer. Frénétiquement, il tape sur les touches. Et le compteur du jour démarre, s’affole, en quelques minutes il avoisine déjà le millier de personnes. Bernard se frotte les mains. Ça le grise, l’électrise. A Tokyo, Milan, Berlin, Liège, Aix-en-Provence et partout ailleurs, les gens tombent comme des mouches. Crise cardiaque. Le dada du jour. En quelques clics, Bernard choisit ses victimes et pousse sur entrée. La douleur est immédiate, l’issue fatale.
C’est tellement plus simple avec l’informatique.
Même s’il les hait foncièrement ces êtres qu'il a créés à son image, si médiocres, cupides, égotiques, épouvantablement décevants, il se réjouit de ce bel outil inventé par leurs soins.
A présent, vous savez tout : le Bon Dieu existe, il habite la Tour Avant-Seine à Paris et il est alcoolique.