Carine-Laure Desguin nous propose d'un de ses textes sélectionnés pour le recueil "Ne pas rester sur le carreau"
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"Ne pas rester sur le carreau", c'est un recueil collectif avec 48 textes et 17 illustrations (Editions NOVELAS, 2024)
Deux de mes textes sont publiés dans ce recueil et voici le premier:
Mot de passe : Conrad
Je regarde par la fenêtre de ma chambre et je les entends, ces manifestants qui défilent sous mes yeux, réclamant haut et fort plus de transparence, plus de vérité sur l’origine de la race humaine et de son avenir. Notre Terre, ils l’appellent Gaïa, tout comme les Anciens la surnommaient, afin de lui donner une personnalité voire même une conscience, un principe de vie.
Nous sommes en 2038, il serait temps que nous sachions enfin. La fonte des glaciers met à jour d’antiques cités d’origine inconnue, des pyramides plus gigantesques que celle de Khéops ou celle de Mykérinos. Les archéologues et les paléontologues sont désarçonnés, leurs connaissances sont dépassées. Les degrés qui augmentent d’année en année ne présagent rien de bien. Soudain je sens monter en moi cette angoisse paralysante qui m’étreint chaque matin depuis six mois déjà. Plus exactement depuis le discours anxiogène et noirissime de Piet Bossuyt, ex-astronaute et ministre européen des Sciences Evolutives à cette époque-là. Le soir même de ces révélations apocalyptiques au sujet de notre planète et de l’évolution de son climat, le corps sans vie de Piet Bossuyt fut découvert dans la chambre d’un hôtel bruxellois. Crise cardiaque avait-on déclaré dans les médias mainstream. Pour Tom, mon compagnon, il s’agissait d’un assassinat, Piet Bossuyt ne devait rien dévoiler ni des plans secrets du gouvernement mondial ni du dossier qui concernait toute l’historique de l’ufologie. Et surtout, il ne devait rien fuiter des communications ultra confidentielles entre les têtes pensantes de notre planète, Gaïa, et celles de ces êtres venus d’autres dimensions, les Xytiens. Lorsqu’il s’aperçut de mon étonnement à l’écoute de tout ça, Tom prétexta qu’il faisait de l’humour, qu’il avait dit ça juste pour voir ma réaction. J’étais habituée aux raisonnements hors normes de mon compagnon mais cette arrivée des Xytiens dans notre dialogue me provoqua des frissons tout le long de l’échine. Ce revirement de situation éveilla ma curiosité au plus haut point. Tom était un journaliste de renom. Tom Jorgenssen, ce nom apparaissait dans le plus grand nombre des revues scientifiques les plus pointues. Il donnait à présent des conférences aux quatre coins du globe. Et ses enquêtes le menaient loin, très loin parfois. Jusqu’aux mystérieuses expériences dans les dixièmes sous-sols du CERN, à Genève. Ou dans cette zone hyper-protégée par l’armée, la zone 51, aux States. Une relation entre lui et ce Piet Bossuyt me semblait plus qu’évidente. Tom avait d’ailleurs interviewé cet exastronaute, j’en suis certaine, je me le rappelle à présent. Que lui avait-il donc confié, à mon Tom ? Aussi, lorsqu’il me lâcha tous ces mots étranges, gouvernement mondial, portails énergétiques, plier et replier l’espace-temps, bulles quantiques, ufologie, hybridation de la race humaine, Xytiens, le puzzle commença à prendre forme tout au fond de moi. Et pour l’enfant qui verrait bientôt le jour, un petit garçon que nous prénommerions Conrad, je devais moi aussi éclaircir certaines choses afin de me rassurer. La semaine suivante, Tom s’envola vers Genève. Pour plusieurs jours. J’avais donc quartier libre, je pourrais fouiller ses dossiers et qui sait, peut-être découvrir et mettre à jour les réponses aux questions que je me posais. Le bureau, un véritable capharnaüm. Tom m’interdisait d’y mettre un pied et même la femme d’ouvrage ne pouvait ni ranger ni dépoussiérer quoi que ce soit. Le premier jour, rien de bizarre dans les documents parcourus. Même le mot de passe de son ordinateur était d’une mortelle banalité, TOM. J’en ai profité pour relire la plupart de ses conférences et des mails envoyés à d’autres scientifiques et journalistes indépendants. Je n’étais pas trop fière de moi, j’avais honte. Le deuxième jour, idem, rien de spécial. J’ai eu envie de capituler, j’ai même pensé que j’étais parano. Le troisième jour, derrière une pile de livres, un ordinateur assez vieillot attira mon attention. J’ai mis des heures à trouver le mot de passe quand tout à coup j’ai pensé à taper le prénom de notre fils, CONRAD. Eurêka ! Et là, après la lecture du document titré CONRAD XY et de ce mot, trois lignes plus bas, hybridation, un intense vertige me fit vaciller et puis m’évanouir. Comment Tom avait-t-il osé nous faire « ça », à son fils et à moi ? Son fils ?
Dans trois mois Conrad ouvrira les yeux et respirera sur Gaïa. Ou pas.
Carine-Laure Desguin
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