Concours 2 - Amour à mort - Texte 2
DOMINIQUE ET MARIE-LOUISE
Dans leur jardin, Dominique et Marie-Louise aimaient à la belle saison, passer de longues heures à bavarder chacun allongé dans un transat sous un grand parasol. Ils n'étaient jamais à court de sujets de conversation. Ils ne s'ennuyaient jamais quand ils étaient ensemble. Dominique trouvait toujours les sourires de Marie-Louise aussi charmants que durant leur jeunesse. Il la trouvait toujours aussi jolie même si elle avait un peu grossi et avait le visage un peu ridé. Marie-Louise appréciait toujours autant la belle voix grave de son époux.
Tous deux, adoraient danser des slows sur une musique douce qui datait de leur jeunesse. Enlacés, ils tanguaient pareils à de jeunes amoureux à l'occasion de fêtes familiales, de mariages, de réveillons. Les mains de Dominique posées tendrement sur ses épaules, Marie-Louise ne s'en lassait jamais. Les balades dominicales main dans la main le long du chemin de halage, tous deux en raffolaient. Leurs journées se dépliaient dans une suite de clins d'œil, de sourires, de caresses, d'effleurements, de corvées partagées, de loisirs communs. Quand ils étaient deux, ils redevenaient un peu des adolescents.
Cela faisait près de cinquante ans qu'ils s'étaient mariés. Ils avaient un fils, une belle-fille, deux petits-fils, beaucoup d'amis. Tous deux avaient fait carrière dans l'enseignement, c'était d'ailleurs lors d'un intérim dans une école de la ville que Dominique avait vu Marie-Louise pour la première.
Soudain, la mort vint de manière inattendue et brutale. À soixante-quinze ans, Marie-Louise, qui était apparemment en bonne santé, décéda subitement d'un arrêt cardiaque. Dominique fut beaucoup entouré par sa petite famille, ses voisins et ses amis. Il commença néanmoins à s'abandonner de plus en plus au chagrin et à la mélancolie. Lorsqu'un oncle et une tante de Marie-Louise, tous deux octogénaires étaient décédés à deux heures d'intervalle dans un accident à leur retour de vacances passées au bord du Lac de Garde, Dominique et Marie-Louise avaient tous deux jugé que c'était une mort idéale pour un couple tellement uni même si la tristesse de leurs enfants, beaux-enfants et petits-enfants avait été immense et que cela restait pour eux un réel traumatisme.
Quelques mois après la disparition de Marie-Louise, Dominique fit, m'avoua-t-il, un rêve étrange. Dans ce rêve Marie-Louise tout de blanc vêtue lui tendait la main et l'invitait à la rejoindre pour danser. Ils tournoyaient lentement, elle chuchotait des paroles inaudibles… Ils étaient collés l'un à l'autre, elle disait "reste", c'était là le seul mot qu'il saisissait parfaitement.
Ce rêve revint les deux nuits suivantes et poursuivit ensuite Dominique du matin jusqu'au soir une semaine durant. Un dimanche après-midi alors que sa belle-fille et son fils venaient lui apporter deux sacs de course, ils découvrirent Dominique allongé sur le canapé du salon. Il avait revêtu son costume bleu foncé, une chemise blanche, une cravate bordeaux. Il avait chaussé ses mocassins noirs. Il avait rendu son dernier souffle, laissé une lettre dans laquelle il faisait part de son désespoir et avouait avoir eu recours à un surdosage d'antidépresseurs pour mettre fin à ses jours. Il avait obéi à la supplication de Marie-Louise, il était resté avec elle dans un rêve interminable…