Micheline Boland nous propose un petit conte de Noël...

Publié le par christine brunet /aloys

FLOCON DE RÊVE POUR NOËL

 L'enfant s'use les yeux. Il est béat. Quoi de plus beau que cette crèche en sucre et massepain ? Tous ces sapins en chocolat sont pareils à des bijoux. Tous ces petits sujets en massepain sont plus attirants que les bûches de Noël. L'enfant retient son souffle. Jamais, il n'oserait goûter à ces choses, les croquer et les avaler. Mangerait-on une broche, un diadème ou une barrette finement ciselée ? Ce petit Jésus rose tout en sucre au creux de son humble berceau en chocolat, lui donne le tournis. Le bonheur est, à cet instant, à l'image de cette vitrine du pâtissier, un cocktail de lumières irréelles, de silhouettes suaves, de guirlandes chatoyantes, de boules colorées. L'enfant n'arrive pas à détacher son regard de toute cette brillance.

 Chez lui, les rayons du soleil ne sont jamais vraiment descendus. Les fées qui se sont penchées sur son berceau étaient si pauvres qu'elles n'ont pu lui offrir que la promesse de rêves fugaces. Les moments de joie sont si rares pour lui. Ce qu'il retient de la vie ce sont surtout les querelles entre ses parents, la nervosité de sa mère, la tristesse persistante de son père, l'inconfort du logis, les claques injustement reçues, les notes insuffisantes à l'école ou encore la pitié des voisins, des copains de classe et de sa maîtresse. Il n'a jamais vraiment connu le froid et la faim, mais il ignore ce qu'est l'abondance. L'opulence et les fastes sont bien éloignés de son univers.

 Il se met à neiger. Mais cela, pas plus que le vent glacial, ne distrait le gamin. Un flocon se pose sur son nez et se met à gonfler jusqu'à l'emprisonner dans la douceur de sa bulle immaculée. La blancheur est irisée d'une lueur dorée. Serait-il devenu sujet de sucre dans une vitrine de luxe ? Non, son cœur qui s'emballe lui indique qu'il est bien vivant. Le voilà donc au paradis.

 La bulle grossit, enfle comme un ballon, elle enveloppe tout un paysage, parfait jusque dans les moindres détails.

Soudain, l'enfant perçoit le souffle du bébé qui gazouille doucement sur sa modeste couche. Il entend une musique légère, comme celle issue parfois d'un des rêves si fugaces qu'il fait de temps à autre. Des effluves de vanille et de chocolat taquinent ses narines. Sur sa joue, se posent des lèvres aussi douces que devaient l'être celles de Marie. L'enfant tressaille. L'enfant se met à chanter.

La bulle s'élargit et finit par englober la maison familiale. Sa mère chante une berceuse pour le bébé. Elle a des gestes si tendres, elle pouponne comme elle ne l'a jamais fait. Elle reste là, auprès de la crèche, recueillie, patiente. Puis elle s'approche de lui, le serre contre son cœur, elle l'embrasse, elle lui chuchote des paroles d'amour. Sa grande sœur dresse la table pour des invités de marque. Ses gestes sont ceux d'une princesse retouchant un bouquet de fleurs pour y apporter sa touche personnelle. Son père alimente le foyer avec des bûches odorantes à souhait. Il est pareil à un milord, paré pour une fête. Il semble presque joyeux. Ici, tout a l'éclat du cristal, des pierres précieuses, de l'argent, de l'or ou des flammes dans l'âtre. La félicité est à portée de main.

 L'intérieur et l'extérieur se confondent. Les temps anciens et le présent s'emmêlent. Les mots sont inutiles. Tout est ravissement. Le bien-être se niche dans la tiédeur de l'endroit, dans les parfums qui exhalent des notes à la fois florales et fruitées, dans les nuances pastel du décor, dans les mélodies romantiques que l'on peut entendre en sourdine. L'enfant est si bien, si content. Sa main frôle la menotte du bébé.

Soudain, une flamme vient lécher la bulle… La bulle crève. La bulle n'est plus. Le flocon n'est plus qu'une goutte d'eau. Le visage de l'enfant est resté souriant. Sa joue porte encore l'empreinte du baiser de sa mère. Ses yeux brillent face à la vitrine. Sa respiration s'est faite lente et profonde.

 Le trottoir est tapissé d'un blanc manteau. Le jour décline. L'enfant s'en va. Il rentre chez lui. Il s'approche peu à peu de sa maison. Par la fenêtre, il distingue le sapin garni de gros nœuds jaunes en tissu. Il entre, il s'approche de la cheminée. La chaleur est douce. Au pied du sapin, quelques paquets emballés dans du papier cadeau, une crèche en carton bricolée par sa sœur. Sur la table, une nappe brodée jadis par sa grand-mère, des serviettes étoilées sur les assiettes ordinaires, des couverts dépareillés, des verres quelconques, une bougie parfumée et un tout petit bouquet de houx. Sa mère a mis du rouge à lèvres et du bleu sur ses paupières. Son père paraît détendu, il porte la cravate gris perle du mariage de son frère. Pareille à une fée, sa sœur tient en main une étoile dorée qu'elle va placer au sommet du sapin.

Dehors, les flocons s'amoncellent. L'un se pose sur un front, l'autre sur un menton, sur une épaule. Parfois, ils grossissent pour un enfant, pour un vieillard nostalgique ou pour un être en quête d'espoir. Alors, ils les emprisonnent un moment dans la douceur de leur bulle blanche, irisée d'une lumière dorée.

Micheline Boland

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E
Quel joli conte... il faut saisir son flocon, et le magnifier...
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M
Merci beaucoup pour ton commentaire, Edmée.
P
J'adore les contes de Noël ! 🎄 <br /> Et les rêves des enfants !
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M
Merci beaucoup pour ton commentaire, Pascalei.
A
Un conte aussi joli qu'un flocon de neige irisé d'une lumière dorée... Merci Micheline !
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M
Merci beaucoup pour ton commentaire, Ani.
C
Très poétique... Une histoire toute douce... Merci Micheline !
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M
Merci beaucoup pour ton commentaire, Christine.
C
Eh bien j'ai rarement lu une si belle histoire. Merci Micheline.
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M
Merci beaucoup pour ton commentaire, Carine-Laure.
P
Noël est une source d'inspiration pour beaucoup d'auteurs. Micheline ne fait pas exception à la règle...<br /> Bravo à toi !
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M
Merci beaucoup pour ton commentaire, Philippe..