Edmée de Xhavée nous propose un texte inspirant : Le crime parfait...

Publié le par christine brunet /aloys

 

C’est qu’elle y a consacré du temps, Suzette, à se débarrasser de son mari Gégé. Non pas qu’il y ait eu une fortune à la clé, mais la liberté, chers amis, la liberté n’a pas de prix. Il fallait surtout découvrir comment ne pas se faire prendre, et elle y avait réfléchi pendant deux ans, deux ans de préparation méticuleuse.

Suzette l’institutrice, la grosse Suzette comme on l’appelait en douce – mais elle le savait ! – avait vite découvert comment exploiter son amitié avec deux collègues qui avaient eu le transfert de leurs rêves, une en Martinique et l’autre à la Réunion, enfin réunies avec famille, akras et soleil. Elles s’écrivaient régulièrement et évoquaient le merveilleux voyage que Suzette pourrait bientôt faire pour revoir l’une et puis l’autre, « avec ton mari bien sûr ». Avec mon mari, jamais, avait décidé Suzette, il va encore parler recettes et épices tout le temps et ne pas me laisser la parole… Peut-être même draguer Mireille, la jolie petite Créole aux fesses d’acier comme il l’appelait. J’irai seule, mais vous m’y aiderez, les copines, même si vous ne le saurez pas.

C’est ainsi qu’elle leur avait suggéré une dictée pour leurs petits élèves, qu’elle trouvait tellement intéressante.

C’est ton dernier jour d’école, prépare-toi à franchir la porte vers l’inconnu. Sais-tu ce qui t’attend ? Prépare-toi, l’heure a sonné. Elle a sonné à la cloche de la cour de récré, voici les vacances. Bientôt tu fermeras les yeux sur la plage pour entendre le bruit des vagues. Il n’y a pas d’échappatoire au bonheur. Je suis le bonheur, et tu ne pourras pas te cacher de moi.

Envoyez-moi leur travail, les filles, je verrai si vous les éduquez bien. Car elle avait assuré la formation de Mireille et Marie-Dominique, et elles en plaisantaient souvent avec affection. Surveillante Suzette, riaient-elles.

Le directeur de la grosse société ECOPRASINO, fabriquant d’horribles tongs vertes soi-disant écologiques en détritus recyclés, se mit à recevoir d’étranges messages menaçants, glissés dans des enveloppes et sans aucune empreinte ni ADN sur les timbres qui avaient été humidifiés avec de la vodka Eristoff. Tous d’une écriture enfantine différente, parfois même corrigés en rouge. C’est ton dernier jour. Tu ne pourras pas te cacher. L’heure a sonné. Bientôt tu fermeras les yeux. Pas d’échappatoire… Les gardes de l’entrée étaient sur les dents, la secrétaire semblait avoir grossi car elle portait un gilet pare-balles sous sa veste, et Monsieur Lenfant, le directeur, avait avisé la police qui avait mis sur l’affaire Boule et Bill, deux agents assez inutiles ailleurs qu’en patrouille, qui tournicotaient autour du square en mangeant des kebabs et discutant football.

Gégé lui en parlait, trouvant l’affaire amusante, qui pouvait en vouloir à Mr Lenfant qui n’avait même pas une mauvaise action à son actif, sauf bien sûr ses actions en bourse, ha ha ha ha, elle était trop bonne, celle-là ! Peut-être que sa femme voulait s’en débarrasser, ha ha ha ha ! Il préparait lui-même à la maison, depuis des années, le mélange exclusif d’épices pour le riz pilaf de son patron le jeudi, car le brave homme n’avait qu’un seul caprice : un curry fait à la carte et servi exclusivement pour lui à la cantine, préparé par son chef Gégé. Je ne te cache pas, ma grosse Suzette, que j’y puise aussi, rien que des épices bio et triées à la main, et la dose exacte. J’en prépare juste un rabiot en plus pour moi et le mange discrétos quand il ne me voit pas, assis derrière la colonne à miroirs.

C’est ainsi que le curry de ce jeudi-là contenait la dose ad hoc de cyanure. C’est ainsi aussi que Mr Lenfant eut encore le temps de s’indigner de l’horrible goût amer de ce pilaf de merde, qu’il allait tirer les oreilles de cet idiot de Gégé, et que Gégé en eut assez, du temps, pour essayer de cracher mais pas assez vite.

C’est ainsi donc que personne ne s’étonna que le patron, après toutes ces menaces anonymes, ait fini aussi brutalement, emportant avec lui ce pauvre Gégé. Mais bon, voyons, enquêtons, tâtons un peu : qui pouvait vouloir éliminer le patron d’ECOPRASINO ? Dommage, vraiment, que ce brave Gégé soit un dommage collatéral à toute l’affaire, pauvre veuve…

Et Surveillante Suzette eut enfin tout loisir de préparer ses vacances sur les îles avec ses complices involontaires.

 

Edmée de Xhavée

 

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article
C
Tout s'arrange :D Une histoire vraiment délicieuse.
Répondre
C
Toujours se méfier de l'eau qui dort !!!
Répondre
J
Je crois qu'il faudra se méfier d'Edmée hé hé ! Super histoire !
Répondre
S
La fin justifie les moyens.....un train peut en cacher un autre.... hi hi
Répondre
E
A votre service pour d'autres idées de crimes parfaits :D
Répondre
P
Hihi, ... bonnes vacances, Suzette !!!!
Répondre
M
Je me suis régalée !
Répondre
J
Subtil mélange d'épices gourmand qui vient enrichir le livre des recettes d'Edmée
Répondre
J
Subtil mélange d'épices gourmand qui vient enrichir le livre des recettes d'Edmée
Répondre
A
Elle est délicieusement impitoyable cette Suzette. Veuve d'un dommage collatéral, hein ! Ouh la grosse rusée... 😄
Répondre
P
Toujours content de retrouver la plume de notre Edmée légendaire !
Répondre