Texte 13 Concours "Disparitions/Fantômes du passé"
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À chacun sa ligne (de temps)
Lundi dernier, je me lève tôt. Je sors de la chambre et me dirige vers le coin cuisine. Je stoppe net à mi-chemin. Je suis sans allure, d’accord, mais jamais je n’ai oublié un mec quelque part dans mon appart. Et là, bien installé devant la télé éteinte, un type engoncé dans un costume du dix-neuvième, roupille d’allure. Je l’observe, sa tronche ne m’est pas inconnue. Un gars échappé d’un théâtre ? D’une fête ? Je vérifie, aucune trace d’effraction. J’allume l’ordi, la télé et augmente le volume de celle-ci à fond la caisse. Le type sursaute et me demande ce que je fais là, dans cette tenue ridicule. Je lui réponds du tac au tac que j’allais lui poser la même question. Il prend un air étonné et pousse un cri. La télé et l’ordinateur l’effrayent. Il se lève et inspecte tout dans l’appart. Il s’extasie devant la machine à café, le grille-pain, les radiateurs. Le gars est très grand et pas trop moche … Il n’a rien d’un ectoplasme, il est bien réel. Tout à coup, une espèce de vieux moine tout racrapoté sort de la chambre d’ami et les deux hommes tombent dans les bras l’un de l’autre. Je deviens une étrangère. Chez moi ! L’homme de prière ne semble pas trop déconnecté. Je demande, Et si on se présentait, non ? Je suis Edmond Dantès, le comte de Monte-Cristo s’exclame le beau mec, surpris que je ne le connaisse pas. Et moi je suis l’abbé Faria ajoute tout de go le vieux moine. Durant quelques secondes, je reste muette, bouche bée, bras ballants le long de mon pyjama. J’ingurgite une longue rasade de café bien chaud. Mais comment et pourquoi êtes-vous ici ? je questionne. Vous êtes des fantômes ou quoi ? Aucun mot ne sort de la bouche de Dantès. Par contre l’abbé Faria réfléchit. Pour en rajouter, je dis que tous les deux ne sont que des personnages fictifs d’une œuvre d’Alexandre Dumas, et que dès lors c’est quand même fort de café d’être présents chez moi. Faria prend alors la parole et explique : Il s’agit d’une glissade d’une ligne de temps vers une autre chère demoiselle. Le temps n’existe pas. Le passé, le futur et le présent se confondent. Il y a certainement un vortex, une porte d’entrée si vous voulez, près d’ici. Je reste stupéfaite en écoutant tout ça mais cependant je me souviens que l’abbé Faria était un puits de science et qu’il avait enseigné à Dantès les mathématiques, les langues, l’histoire, tout quoi. Les deux hommes commencent alors à papoter : Et je te croyais mort, et je suis fier de ta vengeance et patati et patata. Oh stop vous deux ! Je suis chez moi et j’ai droit au chapitre ! Que le temps glisse, je veux bien le croire. Pour le vortex, il y a un passage du côté de la place Vauban, passage qui donne accès à des souterrains et je crois savoir que vous deux, question tunnels et souterrains, vous en connaissez un bout. Pour rappel, même au dix-neuvième, vous n’existiez pas, vous n’êtes que deux personnages d’une histoire inventée par Alexandre Dumas. Là, on reste sans réponse, pas vrai l’abbé ? Celui-ci se gratte le ciboulot et lance, Il s’agit de tulpas, c’est ça, des tulpas. Nous existons parce que des milliers de gens ont pensé à nous et nous ont donné vie. Ah, tout simplement, je réplique. Et je continue, C’est bien joli tout ça mais je refuse que deux mecs glandouillent chez moi, fussent-ils le comte de Monte-Cristo et l’abbé Faria, c’est compris ? Alors je vous suggère de vous diriger vers la place Vauban située à cinquante mètres d’ici, de descendre dans ce souterrain et de retourner dans votre époque. Après avoir recraché leur tasse de café Nespresso, les deux hommes évacuent les lieux via l’escalier vu leur refus d’utiliser l’ascenseur. Atterris dans la rue du Gouvernement, ils sursautent à la vue des voitures, des panneaux de circulation, et illico s’engouffrent dans le souterrain dont l’entrée se situe place Vauban.
Une fois rentrée chez moi ces histoires de tulpas, vortex et glissades de temps s’entrechoquent encore entre mes neurones. Je me dirige vers la salle de bains. Là, sur la manne à linges, je découvre … un parchemin. Je scrute tout ça. Une carte de Charleroi, des noms de rue … Le trésor des Templiers ! Le trésor des Templiers ! À deux pas de la place Vauban !