Texte 2 du concours "Disparitions/Fantômes du passé"

Publié le par christine brunet /aloys

 

Et si ça ne s’arrêtait pas ? Noah ne répond pas, il est aussi démuni que moi.

Mes cauchemars sont de plus en plus fréquents, de plus en plus violents.  Je suis épuisée et je ne comprends pas.

Je me traîne vers la salle de bain et je cherche dans ma mémoire embrumée depuis quand mes nuits sont devenue aussi pénibles.  Dans le miroir je vois un visage exsangue, un regard terne souligné de poches sombres, deux plis marqués aux coins de la bouche et je serre les dents, les faisant grincer les unes contre les autres dans un mouvement de colère, ou de stress, ou les deux.

En cherchant bien, je me rends compte que cela fait à peine quinze jours que mes insomnies ont commencé.  Il me semble pourtant que cela fait une éternité.  Tout en m’habillant, je continue à triturer cette mémoire que le manque de sommeil rend hermétique.  Avant de sortir, Noah me rappelle que je dois emmener tante Emma chez le médecin.  Je ne l’aime pas la tante Emma, mais j’ai promis à maman de l’accompagner, c’est sa grande sœur, c’est aussi une horrible pimbêche doublée d’une bigote.  Je crois qu’elle ne m’aime pas beaucoup non plus, surtout depuis que vis avec un métis, mais contrairement à maman, elle ne me fait pas peur.

Le médecin est en retard, comme d’habitude.  J’en profite pour aller me chercher un café et une barre chocolatée.  La présence de ma tante met mes nerfs à rude épreuve, comme si j’avais besoin de ça ! Le café n’est pas très bon, mais il est chaud, c’est déjà ça.  L’emballage du chocolat résiste, m’obligeant à poser mon gobelet pour lui régler son compte de mes dix doigts.  Il se révolte, puis se déchire ; tout comme ma mémoire, qui me ramène chez maman le jour ou j’ai accepté de conduire Emma chez le médecin, le jour ayant précédé la première d’une longue suite de nuits de cauchemars et d’insomnie.  J’engloutis café et chocolat sans lâcher ce mince fil mémoriel, espérant qu’il me mène au monstre tapi dans mes rêves.

Lorsque je reviens dans la salle d’attente, Emma n’est pas là.  Je m’assieds, attendant qu’elle sorte du cabinet médical et cherche ce qui, ce jour-là, a pu déclencher mon anxiété.  Je me revois dans la cuisine familiale, puis dans le salon au décor vieillot, avec ses meubles de style ancien.  Je frôle le fauteuil où papa s’asseyait pour lire son journal ou regarder la télé.  Je baisse les yeux sur le panier où dort Lustucru, le cocker de maman.  Je souris devant l’adorable petit éléphant bleu, qui trône sur le bahut à côté des photos de famille et qui, bien qu’il ait été acheté au profit d’une œuvre, subit les foudres de ma chère tante…  Mais est-ce bien de lui dont se plaint la vieille punaise ? Occupée à trier et ranger les factures de maman, je ne fait pas très attention.  Je me concentre, cherche à rassembler les mots, les bribes de phrases entendues ; quelque chose sur le bahut déplaît à Emma.  Je ferme les yeux, imagine la surface de chêne ciré et me souviens qu’une nouvelle photo y est apparue depuis peu.  Une vieille photo un peu jaunie représentant une jeune fille au visage souriant.  C’est la jeune sœur de maman, Eloïse.  Celle dont on ne parle pas.

Je me remémore ses traits, ses cheveux flamboyants, comme les miens et, soudain, une douleur fulgurante me plie en deux sur ma chaise.  Le monstre de mes cauchemars surgit en pleine lumière.  Des petits bouts de conversations surprises lorsque j’étais enfant, puis adolescente, sortent de sa bouche en une longue litanie, racontant une histoire qui me brise avant de me reconstruire, les ombres enfin chassées.  Je vois Eloïse enceinte, puis Eloïse rejetée par Emma devant maman en pleur et papa qui me tient dans ses bras.

Alors, je me lève et quitte la clinique sans un regard en arrière.  Le cimetière n’est pas loin, Eloïse non plus.

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C
Des cauchemars qui finissent par clarifier des souvenirs enfouis et une tante qu'on préfère oublier... Beau texte (
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S
A chacun sa conscience... Bien mené !
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E
Oh voici donc pourquoi la tante Emma a cette aura lugubre... et se dirige vers le cimetière...
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P
Une histoire bien menée et bien écrite!
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M
Une histoire qui nous tient en haleine.
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C
Comme quoi les fantômes peuvent être très présents !
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A
Je ne l'aime pas beaucoup non plus, la tante Emma !
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P
Pas mal non plus. Le choix sera encore bien difficile !
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