Texte 3 concours "Disparitions/fantômes du passé"
Lily
« Devant la mort qui nous menace,
Chats et gens, ton flair, plus subtil
Que notre savoir, te dit-il
Où va la beauté qui s’efface,
Où va la pensée, où s’en vont
Les défuntes splendeurs charnelles ?
Chatte, détourne tes prunelles ;
J’y trouve trop de noir au fond. » *
Quand on parle de fantômes, ou de signes de l’au-delà, il s’agit presque toujours de la manifestation post mortem d’un proche décédé. Sachez toutefois que cette petite histoire personnelle, dont - n’en déplaise aux sceptiques - je garantis l’authenticité, prouve que la perte d’un animal auquel on est très attaché peut également être à l’origine de ce genre de phénomène.
J’avais une chatte, une splendide Main coon avec laquelle j’avais petit à petit tissé des liens quasiment passionnels, chose que ne peuvent comprendre que ceux qui ont déjà partagé une partie de leur vie avec un animal.
Je dois mentionner tout de suite que c’est elle qui nous avait choisis, ma femme et moi, en débarquant un beau jour chez nous sans tambour ni trompette. Notre surprise passée, il ne nous fut pas difficile de découvrir qu’elle appartenait en fait à de proches voisins dont elle venait de déserter le domicile. Il nous fut toutefois impossible de la leur restituer, Lily se sauvant dès qu’elle en avait l’opportunité pour se retrouver, nous lorgnant à travers les vitres, sur le rebord de notre fenêtre. De guerre lasse, les voisins nous l’abandonnèrent…
Lily comprit que c’était gagné et prit tranquillement ses quartiers. Et notre vie commença à s’organiser à trois, nous adaptant très vite à elle et elle à nous. Avec de charmantes attentions de part et d’autre, des friandises variées contre des «cadeaux » que n’appréciait pas franchement mon épouse... Car il arrivait assez souvent que Lily nous gâta avec des souris ou des mulots qu’elle capturait dans le jardin.
Elle connaissait nos habitudes « sur le bout de sa patte », et savait par exemple toujours très exactement où me trouver, quelle que soit l’heure de la journée ou mes activités du moment. Ou quand elle devinait de façon mystérieuse que nous nous apprêtions à nous absenter en la laissant provisoirement aux bons soins d’une voisine de confiance. Je suis persuadé qu’elle lisait dans mon âme, et tout dans son regard me montrait qu’elle me comprenait et savait que je la comprenais, et que les mots auraient été superflus.
Un bonheur de quelques années seulement, jusqu’à ce qu’une visite chez le vétérinaire nous révèle un grave problème cardiaque. Dès lors, notre objectif fut de la soulager au maximum tout en prolongeant sa vie, me chargeant moi-même de lui administrer ses quatre pilules quotidiennes, ce qu’avec une totale confiance elle acceptait de bon gré.
M’étonnant, au soir d’une journée pluvieuse, de ne pas la voir rentrer de ballade à l’heure habituelle, je la trouvais morte, allongée sur le flanc contre la porte d’entrée, dans une attitude paisible donnant à penser qu’elle dormait. Une mort douce en apparence qui atténua un tout petit peu mon chagrin. Un vide soudain auquel il ne nous serait pas facile de nous habituer.
Le lendemain, débarrassés du corps et le cœur lourd, nous avons tout rangé et nettoyé dans la maison, puis remisé à regret ce qui lui avait appartenu (litière, vaisselle, couvertures,…). Et le surlendemain, au matin, quelle ne fut pas ma surprise de découvrir une belle souris, morte mais absolument intacte, posée bien en évidence devant la porte de la pièce où j’avais l’habitude de me retirer pour lire et où elle m’avait si souvent rejoint.
Plutôt étrange, non ? Le genre de chose qui nous amène tout d’un coup à douter de notre compréhension profonde de la réalité, une réalité que l’on croit d’ordinaire maîtriser mais dont on devine parfois confusément qu’elle pourrait bien cacher quelque mystère qui nous échappera toujours. Plus de chat dans la maison, comment diable expliquer la soudaine présence de cette souris, et par quel miracle elle avait bien pu arriver là, et mourir là ! À moins que…
Un « cadeau » post mortem comme ultime adieu ?
Oui, force est bien d’admettre qu’il peut exister des liens inter-espèces, des liens très forts, s’établissant dans la vie et, pourquoi pas, persistant même au-delà…