Bob Boutique a lu "ma chère folie" de Céline Gierts
Elle m’énerve, elle m’énerve ! C’est le deuxième bouquin que je lis d’elle et ça poisse les mains ! L’émotion suinte par toutes les pages, ça coule à mes pieds… moi qui ai horreur d’étaler mes sentiments et pourtant… hé bien je lis, je lis d’une traite, sans m’arrêter, en gribouillant fiévreusement des commentaires et des signes cabalistiques sur les 200 pages du livre. Comme d’habitude chez Céline, l’ histoire tient en quelques mots. C’est pas ça l’important. Comme d’habitude les personnages n’ont quasi pas de nom ni de passé. Seuls importent les sentiments, les émois, les vibrations et soupirs qu’elle décortique minute après minute, heure après heure… en démontant les ressorts psychologiques de son héroïne avec une telle minutie de détails qu’on se demande si en fin de compte, elle ne raconte pas sa propre vie. C’est pas possible d’être si juste ! Elle s’appelle Chloe, elle a vingt ans et tient un journal pour passer le temps qui s’étire et s’étire dans la clinque psychiatrique où on l’a placée. Pourquoi, comment, suite à quoi ? Peu importe. |
Elle habite un placard de 4 m² avec une fenêtre qui ne s’ouvre pas et donne sur une grande route où elle peut suivre les allées et venues des petites boites de métal qui vont quelque part. Car elle, elle reste immobile. Tous les jours se ressemblent. Elle n’a pas de futur.
Tout est blanc, les murs, le plafond, le lit et les fourmis qui font claquer leurs sabots sur l’autoroute du couloir et apparaissent deux fois par jour pour déposer sur un meuble blanc un plateau qu’elle ne mangera pas, car elle est anorexique et pèse trente ou trente-cinq kilos toute mouillée. Aucun contact. Ces infirmières lui font peur et sont trop occupées…
Il y a Clochette (parce qu’elle sourit et frappe à la porte avant d’entrer), Bulldog, Sœur Soupir et le docteur Caramel (rapport au parfum de son thé) qu’elle va consulter de temps à autre (attention, toujours sauter un carrelage sur deux pour conjurer le sort) pour s’entendre poser la même question… « Et alors, Chloe, comment ça se passe aujourd’hui ? »
Il y a aussi Nestor, une peluche de son enfance qu’elle a perdue en cours de vie, mais qu’elle remplace par un bout de drap de lit ou d’oreiller et serre très fort contre son cœur.
Il y a enfin quelques autres patients aussi silencieux et enfermés dans leur tête qu’elle, mais avec qui elle échange des regards. Que soit dans la partie du parc où les plantes ne sont pas politiquement correctes ou à l’atelier de mosaïques : Thomas qui compose de grands tableaux représentant des volcans et des galaxies. Paula au sourire troué, qui est déjà passé sur l’autre rive, trimballe un grand sac dans lequel elle enfourne toutes sortes d’objets hétéroclites et occupe une bonne partie de sa journée à regarder Sisyphe, un hamster, tourner à toute vitesse dans la roue en bois de sa cage.
Ah j’oubliais… Van Gogh, un chat pouilleux couvert de cicatrices qui traîne dans les buissons…
C’est tout ? Oui.
Mais alors il ne se passe rien ?
Si, tout le temps. Mais ça se déroule à l’intérieur de leurs têtes, il faut fermer les yeux pour le voir ou avoir une sensibilité exacerbée, au delà des normes, pour s’en apercevoir.
Parfois ça débouche quand même sur le monde des fourmis. Lorsque Chloe enlève les lamelles du store de sa fenêtre pour fabriquer un grand oiseau (qu’elle retrouvera dans le container derrière l’hôpital), ou se coupe les cheveux pour attirer l’attention du docteur Caramel qui ne s’en rendra même pas compte… « Et alors, Chloe, comment ça se passe aujourd’hui ? »
Et enfin, deux ou trois évènements dérangeants que je ne vous révèlerai pas, pour ménager le suspense…
Et ça se termine, comme toujours chez Céline, sans vraiment clore la boucle. Parce que la vie continue et se fiche de nos petites personnes.
« Autrefois j’ai vu un film qui s’appelait ‘un jour sans fin’. Ce jour était le 2 février, jour de la Chandeleur où l’on fête la marmotte en Amérique du Nord. Selon la tradition, ce jour-là, on doit observer l’entrée du terrier d’une marmotte. Si elle émerge et ne voit pas son ombre parce que le temps est nuageux, l’hiver finira bientôt. Par contre si elle voit son ombre parce que le temps est lumineux et clair, elle sera effrayée et se réfugiera de nouveau dans son trou et l’hiver continuera pendant six semaines supplémentaires. »
C’est très très fort. Poignant. Ecrit avec des phrases courtes et choquantes, d’autant plus dures qu’on sent l’infinie, que dis-je, l’infinitésimale besoin de tendresse qui sourd de ce troupeau d’aveugles volontaires qu’on enferme dans des boîtes blanches parce qu’on ne sait pas quoi en faire.
Je vous le dis comme je le pense. Céline est une des auteurs les plus originales que j’aie lus depuis que je suis chez Chloe des Lys. C’est une grande… et j’attends déjà son troisième roman avec gourmandise et un peu d’angoisse.
Bob Boutique
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