FLORIAN HOUDARD: "Créer, c'est crier !"
« Créer, c’est crier. »
Un crayon à la main, je relis ma « Petite femme aux cigarettes ». Je ne peux laisser aucune longueur, les phrases doivent toutes virevolter comme des plumes emportées par le vent. Déjà, j'approche de la fin et les larmes me noient progressivement les yeux. Je pense qu'il n'y a rien de plus cruel que l'irruption du merveilleux dans un monde aussi désenchanté que le nôtre. Quoi qu'il en soit, je suis vraiment très heureux que Chloé des Lys ait également décidé de publier ce roman-là. Peut-être encore plus que pour le premier.
Celui-là, je le voulais aussi personnel qu'universel, plus accessible mais tout aussi profond. J'ignore si j'y suis arrivé mais je suis satisfait en tout cas d'avoir eu de telles ambitions. Je voulais de la poésie en images planant sur une forêt de symboles. Avec Black-out, j'avais souhaité toucher à tout : l'humour et la mélancolie, la terreur et les jeux de langue, l'héritage surréaliste et les clins d'oeil aux films de science-fiction. « La Petite femme aux cigarettes » plonge quant à lui dans l'univers des contes de fées pour mieux nous narrer la honte des vies défaites.
A priori, les deux récits ne se ressemblent guère mais à y regarder de plus près, c'est toujours le même plaidoyer pour la dignité humaine qui en ressort.
Après les mots viennent les sons. Les baffles de mon ordinateur crachent les nouvelles compos des Rotten Apples, mon groupe de punk hardcore humoristique, et j'ai du mal à croire que je suis capable de hurler si fort. Notre évolution est assez nette : toujours plus de cynisme et d'expérimentations sonores. On sent l'enthousiasme avant la technique et même si le chemin reste long, je pense que c'est le bon.
J'en suis certain maintenant : créer c'est crier. Parce qu'il y a trop de vides à combler.
Revenant sur mon adolescence, j'écrivais en mars un dernier slam, sentant à raison que j'allais devoir arrêter les scènes à Mons. Dans ce texte, il y avait ces phrases :
« On manquait tellement de com qu’on avait tous notre cam.
C’est comme ça qu’on avance quand rien a plus de sens :
J’pense qu'il faut se soigner seul et sans ordonnance.
Moi, ma taff, mon shoot, c’était déjà d’écrire.
Matérialiser sur papier tous les cris et les délires.
Et imaginer cet ailleurs que je pourrais jamais visiter.
Pas d’avenir pour moi, donc je me pemettais de l’inventer. »
(Flaw, « Ma dernière scène »)
Un mois plus tard, après m'être qualifié pour le Grand Slam de Bobigny, j'apprenais que j'étais désormais persona non grata à la Maison Folie où se déroulent les scènes montoise. Au moins, en écrivant ce dernier slam, j'avais été honnête avec moi-même, contrairement aux adeptes du One Man Show pour la middle class.
Même si j'ai aimé concevoir des histoires abracadabrantes depuis mon plus jeune âge, j'ai commencé à écrire plus sérieusement à l'adolescence, comme beaucoup de jeunes auteurs d'ailleurs. Et, en cela pas différent pour un sou des blogueurs actuels, j'écrivais alors pour combler un vide intérieur, imaginer des autres moi dans des autres mondes. D'années en années, j'ai compris que le vide était surtout extérieur avec les arts qui dépérissent, écrasés par la culture du masse, et les gens qui dépriment, étouffés par la société de consommation et « sa loi du toujours plus ». Les germes de « Black-out » sont donc apparus avec l'éveil de ma conscience sociale.
Créer c'était toujours crier, mais différemment.
Face aux abominations de la culture de masse, ses clichés, ses histoires pré-scénarisées écoulées massivement grâce à l'implication de médias omniprésents, j'étais convaincu qu'il me fallait écrire pour faire ce qui n'avait pas encore été fait, sinon cela n'en valait pas la peine. Je n'entends pas par là quelque chose de parfaitement original, cela est impossible, on a tous nos influences, mais quelque chose qui me serait propre et en rien formaté et frelaté par le système.
Comme le dit si bien le groupe de metal industriel Nine Inch Nails : Art is resistance.
Il n'y a pas de création pure mais il y a en revanche une création vraie, celle qui déforme tous les moules et qui ne se laisse pas manipuler par les faiseurs d'opinion.
Créer, c'est aller contre les normes, secouer les convenances.
Il ne s'agit bien évidemment pas de faire de la provocation inutile, non, mais plutôt de se forger son cadre de création propre à partir de tout ce qui nous a particulièrement ému et inspiré.
Je sais que j'ai fait très peu de chemin encore mais j'ai trouvé à ma démarche un nom qui me plaît: post-surréalisme.
Dans Black-out comme dans la Petite femme aux cigarettes se développait silencieusement un second univers, à l'intérieur même du récit, permettant aux personnages d'échapper à la brutalité de la vie. Ce lieu serait peut-être le surréel, un endroit où l'on peut fuir tous les conditionnements et la dictature des instants. Un endroit qui transforme la souffrance personnelle engendrée par la société de consommation en une création qui permet aussi de se recréer. Ainsi mes personnages sont eux-mêmes comme des auteurs de leur propre histoire, même l'issue fatale est là, dans le temps du récit, ils peuvent goûter à l'ivresse de la liberté.
Post-surréalisme donc parce que nous ne pouvons hélas exister que dans l'après. En attendant peut-être que le présent devienne un passé riche en enseignements...
Florian HOUDART
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Publié sur le blog Passion créatrice le 19/09...