Secrets de famille, une nouvelle de Micheline Boland

Publié le par christine brunet /aloys

 

boland photo

 

SECRETS DE FAMILLE

 

 

Chaque mercredi après-midi, Lina gardait Théo, son petit-fils. Elle mettait à profit ce temps pour aller se promener dans les campagnes avec lui et lui apprendre les noms des arbres, des oiseaux et des fleurs sauvages ainsi que pour ramasser l'un ou l'autre plume, l'une ou l'autre feuille dont ils feraient des bricolages, les jours de mauvais temps.

 

Ce mercredi-là, alors qu'ils avaient, comme à leur habitude, emprunté un chemin de traverse, ils virent une bête blanche de forme allongée se diriger vers une fermette isolée au milieu des prés. Depuis le décès de son dernier occupant, Jules Martin, elle était à vendre et personne n'en voulait. Qui, en effet, aurait voulu de cette bâtisse qui nécessitait un sérieux travail de restauration et n'était accessible que par un sentier ?

 

D'un regard, la femme et l'enfant se comprirent… Ils suivirent l'animal. Celui-ci avançait vite, bien trop vite pour que Théo et Lina puissent le suivre. Mais ils l'avaient suivie des yeux et ce qui était sûr, c'est que la bête était allée jusque la fermette. Lina se contenta d'expliquer : "On dirait une sorte de belette si ce n'était cette longue queue et ce pelage tellement blanc… Vraiment, Théo, il faudra qu'on regarde dans mon gros livre."

 

Lorsqu'ils atteignirent le seuil de la maison, la femme et l'enfant constatèrent que la porte d'entrée était entrebâillée. Lina la poussa un peu… Théo qui serrait la main de sa grand-mère, laissa échapper un cri d'admiration lorsqu'une bête blanche s'approcha de lui et le regarda de ses petits yeux bruns. Des voix se faisaient entendre. Pas de doute, Lina reconnut celle de Jules et de Mariette, son épouse. Animée par la curiosité et au mépris de toute prudence, elle poussa plus encore la porte et vit. Il n'y avait aucun être humain mais quantité de bêtes blanches installées sur le manteau de la cheminée, les vieux bancs et la vieille table et qui parlaient entre elles.

 

Dans le rocking-chair, il n'y avait qu'une seule bête. Et cette bête dont la voix ressemblait tellement à celle de Jules, c'était elle qui tenait le crachoir. Elle parlait du passé, racontait des secrets de famille, détaillant qui parmi ses ancêtres avait fait de la résistance, qui avait joué aux dés, qui s'était amouraché d'une servante. Et la bête installée sur le coin de feu, celle qui avait la voix de Mariette se contentait d'approuver d'un sempiternel : "C'est bien vrai…".

 

Théo lâcha la main de sa grand-mère et fit un pas vers la bête la plus proche mais Lina le retint. Elle l'entraîna vers le dehors, repoussa la porte et l'emmena sur le sentier. Théo ne cessait de dire : "Oh les jolies bêtes. On aurait pu en ramener une chez toi, Mamy…" 

 

Lina répondit : "C'est impossible, mon trésor, ce sont des bêtes sauvages. Dis, tu les as entendues ?"

 

"Oui, Mamy, on aurait dit qu'elles ronronnaient comme Minou, chez Tatie…"

 

Lina n'en demanda pas davantage. Sans doute, le long monologue entendu n'était-il que l'œuvre de son imagination. En rentrant chez elle, elle sortit l'album de photos et le parcourut avec l'enfant. Elle commenta qui était vraiment tonton Henri parti un jour tenter sa chance à Paris et détailla aussi qui était telle et telle personne  qui avait fait de mauvaises affaires, était morte au combat ou avait eu une passion secrète.

Des mois plus tard, la fermette fut vendue, puis rasée. On construisit un chemin menant du terrain à la grand-route. On bâtit une villa. Plus jamais, Lina et Théo ne rencontrèrent de bêtes à la fourrure blanche dans la campagne avoisinante. 

 

 

 

Micheline Boland

Son site : http://homeusers.brutele.be/bolandecrits/
Son blog : http://micheline-ecrit.blogspot.com/

 

http://www.bandbsa.be/contes3/jamourrecto.jpg

Publié dans Nouvelle

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P
<br /> Une nouvelle toute gentille pour commencer la journée.<br /> <br /> <br /> Merci Micheline.<br />
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M
<br /> Merci à Carine-Laure, Claude, Pierre et Jean-Michel pour leurs commentaires. Il m'est toujours bien agréable d'en recevoir.  <br />
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J
<br /> Les autres commentateurs parlent beaucoup du fond, mais je voudrais préciser que la forme est ele aussi très heureuse. Un joli texte bien écrit, sans fioritures inutiles - Classique certes, mais<br /> agréable à suivre. Bravo !<br />
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P
<br /> Merci de m'avoir fait rêver un court instant. Bonne journée. @+<br />
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C
<br /> Que voilà un texte qui m'a intrigué et entraîné jusqu'à la fin, une fin qui ne donne pas de réponse: au lecteur de gamberger... J'aime.<br />
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C
<br /> Et bien j'ai encore été surprise par la fin ...<br />
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