Un extrait de Galinda la Forêt des Ombres de Laurent FEMENIAS
Un extrait de
Galinda la Forêt des Ombres
de Laurent FEMENIAS
C’était la nuit, froide et humide. Dans l’été finissant, le souffle glacial du vent semblait engourdir toute vie. Le ciel, souvent d’un beau bleu profond en cette saison, était ce soir gris, bas et ténébreux. Le brouillard s’étendait à perte de vue et enveloppait le paysage de sa tristesse. Un silence pesant, angoissant, régnait sur la Forêt des Ombres. Nulle créature nocturne ne venait troubler par sa présence le calme environnant. Seules quelques gouttes de pluie s’écrasaient parfois mollement sur les feuilles ternes et craquantes des arbres. Soudain, un cri… Un homme, haletant, se tenait appuyé contre une grande épée plantée dans la terre mouillée. Quelqu’un gisait à ses pieds, inanimé. Étendu sur les feuilles mortes qui tapissaient le sol tout au long de l’année, le corps semblait dans un linceul d’ocre. Un mince filet de sang coulait lentement de sa bouche et rendait la terre plus rouge encore. Le silence revint aussi rapidement qu’il avait disparu.
De mémoire d’homme, la vaste et sauvage forêt avait toujours suscité crainte et méfiance auprès des habitants de la région. L’épaisse nappe de brouillard qui recouvrait presque en permanence ces lieux immenses et reculés contribuait sans aucun doute à les nimber d’une aura mystérieuse. Ainsi drapés de silence et de brume, les arbres sombres et tortueux semblaient véritablement émerger d’un autre monde, étrange et inquiétant. Personne n’habitait plus depuis bien longtemps à proximité immédiate de ces obscures frondaisons tant était forte la crainte d’en subir l’influence néfaste. Et dès la tombée de la nuit, la plupart des villageois avaient pris l’habitude de se terrer dans leur chaumière, suppliant fébrilement les puissances célestes de les protéger de la forêt maléfique. Parfois, par-delà le bruit sourd des orages, certains croyaient distinguer des cris qui leur glaçaient le sang, des chants qui ne semblaient pouvoir sortir de la bouche d’êtres humains. Ils restaient alors prostrés chez eux de longues heures durant, saisis par la terreur. Lorsque le vent soufflait le soir, en direction des villages, il n’était pas rare d’entendre retentir au loin des cliquetis inquiétants. On racontait que ces bruits étaient les obscurs échos de batailles s’étant déroulées dans un passé bien plus reculé que celui évoqué par les dernières images floues et presque effacées des plus vieux souvenirs.
Durant les veillées, les anciens affirmaient ainsi que les esprits des combattants continuaient depuis des siècles à hanter les lieux où ils périrent, condamnés à revivre éternellement leur violente et cruelle agonie. Cependant, si les histoires les plus variées circulaient à ce sujet, la plupart étaient remplies d’incohérences et de contradictions. Les annales royales ne faisaient d’ailleurs état, depuis leur création, de nulle guerre dans la région. Cela n’empêchait pas la majorité des fermiers des environs d’être prêts à jurer que la forêt était habitée par des esprits démoniaques, ou des êtres pires encore.
Même après le lever du jour, lorsque l’on osait enfin s’approcher de la lisière maudite, c’était toujours avec une forte appréhension, et jamais plus près que nécessaire. À ces occasions, quelques uns assuraient avoir entendu des cris abominables provenant du plus profond des arbres noirs et difformes. Il arrivait de temps à autres qu’un paysan perdu dans la brume se trouve soudain face aux premiers chênes sortant de l’ombre alors même qu’il s’en croyait pourtant à distance raisonnable. Le malheureux rebroussait alors généralement chemin en toute hâte afin de rejoindre au plus vite les terres civilisées, cherchant à tout prix à éviter le sort des pauvres hères un peu moins prudents qui furent jadis retrouvés morts – de frayeur probablement ! – la face tournée en direction des bois, après s’être égarés dans le brouillard. Cette forêt avait vraiment une bien triste réputation…
Laurent Femenias