Papy Nzili en interview pour notre blog : " j’ai toujours ce besoin (et cette liberté !) de dire tout haut ce que beaucoup peinent encore à exprimer."

Publié le par christine brunet /aloys

 

Tu te présentes pour ceux qui n'auraient pas encore lu les articles postés sur ce blog ?
Je suis le quatrième d’une famille de cinq enfants. Je suis né à Kinshasa en 1973, je vis en Belgique depuis 17 ans. J’ai deux garçons. En dehors de l’écriture, je suis contrôleur des impôts. Je sais qu’on ne se fait pas toujours des amis en disant ça (rires). Je me destinais à être médecin, mais j’ai quitté la fac de médecine en deuxième année pour faire les études d’économie appliquée. Je n’ai jamais étudié la littérature. J’étais plutôt dans les chiffres depuis l’école secondaire. Je me suis rattrapé avec les langues car je parle couramment l’anglais et l’espagnol, et j’ai quelques notions de néerlandais.

Depuis quand écris-tu ? Un déclencheur ?
Mon premier roman date de 2005. Je tenais à raconter quelque chose sur l’ambigüité sexuelle. Tout ce que j’écris d’ailleurs parle d’une sexualité différente. J’ai plusieurs raisons de le faire. D’abord à cause du contexte fort religieux dans lequel j’ai passé pratiquement toute ma vie. J’ai été scolarisé pendant douze ans dans un collège jésuite très strict.
Ensuite, mon éducation chrétienne fort conservatrice.
Est-il besoin de rajouter mes origines africaines qui diabolisent tous ceux qui aiment différemment ? 
Enfin, un besoin de rompre avec le mythe de « garçon modèle ». 
Ainsi, j’ai toujours ce besoin (et cette liberté !) de dire tout haut ce que beaucoup peinent encore à exprimer.

Donne-moi ta définition du mot "écriture"
L’écriture pour moi va au-delà de la rédaction des textes à soumettre à la critique du monde littéraire sous la forme de romans, essais, …
C’est un exercice qui consiste fondamentalement à véhiculer par les mots les plus corrects des sentiments précis. Croyez-moi, ce n’est pas un exercice facile. Chacun de nous est le seul à ressentir les choses comme il les ressent. C’est une démarche pratiquement condamnée à l’échec, lorsque nous tentons d’en faire part aux autres. C’est justement cela qui me plaît le plus : récolter les différentes émotions par lesquelles sont passés les lecteurs, parfois juste en un mot. On est parfois surpris de ces retours inattendus.

 

Parle-nous de "Mon histoire avec eux" : un roman ? 

Parler de pur roman serait une manière de tricher avec la vérité. Disons que ce sont des récits fortement romancés. De là à m’approprier toutes ces fabuleuses expériences que raconte Matt Princier, il n’y a qu’un pas que certaines personnes franchiront sans peine. Il reste la question fantasmagorique de savoir si une seule vie peut vraiment jouir d’autant d’expériences sentimentales aussi fortes. À croire que tous ceux qui croisent un jour la vie de Matt Princier revêtent une importance indescriptible qui, par ailleurs, semble ne jamais être la même. Qu’il ait onze ans ou qu’il ait la trentaine, il demeure invariablement amoureux, aussi bien des hommes que des femmes. 

 

Des nouvelles, donc ? 
 Absolument ! En première de couverture j’inscris d’ailleurs « Nouvelles ».
 

 

Papy Nzili en interview pour notre blog : " j’ai toujours ce besoin (et cette liberté !) de dire tout haut ce que beaucoup peinent encore à exprimer."

D'où sortent tes personnages ? Qui sont "eux" ? 
Je ne vous apprendrais rien en vous disant qu’on ne donne que ce qu’on a. Mes personnages sortent de mon vécu. Ils ne sont pas tous réels, même s’il est vrai que certaines personnes m’ont fortement inspiré au point de devenir « eux » (rires). Il y a d’épaisses couches de maquillage, de la caricature, et de l’enjolivement. C’est voulu. J’aime me savoir maître de mes personnages. Je les crée. Ils sont à moi. Ils sont mon monde. J’en dispose comme je le sens et rien ne me les arrachera. Voyez-vous, la vie nous enlève beaucoup de personnes, sans compter ceux qui choisissent eux-mêmes de nous tourner le dos. « Eux », j’ai le pouvoir de leur faire devenir à tout moment ce que je voudrais. 

Essaie de définir ton style
J’écris dans un style d’échange de correspondance. Je pense qu’en composant mes textes, je ne les vois pas comme une suite d’idées et de mots destinée à aboutir dans un roman. C’est comme des échanges de courriels que j’entretiens quotidiennement depuis quatre ans avec un ami Parisien, là où je laisse les sentiments, les émotions, s’exprimer librement. Vous savez, quand vous essayez de vous adresser verbalement à vos interlocuteurs, vous rencontrez deux types de problèmes :
1°) soit ils ne sont pas prêts ou pas en mesure d’entendre vos mots
2°) soit ils croient déjà savoir ce que vous aviez l’intention de leur dire
Dans les deux cas, ils ne vous laissent pas aller jusqu’au but de vos propos. On a moins ce problème à l’écrit. C’est ce qui me fait aimer l’écriture narrative. Elle me permet d’aller jusqu’au bout de ma pensée sans être interrompu. D’où les phrases simples inspirées du langage parlé que j’emploie dans mes écrits. Et avec le temps, je fais de plus en plus intervenir mes lecteurs en les interpellant par des interrogations et en demandant leur opinion. Même s’ils ne sont pas là pour me répondre, cela me procure néanmoins le sentiment d’avoir échangé. Je n’ai pas de grandes théories à livrer au monde. J’ai juste envie de partager. Et le seul moyen que j’ai trouvé c’est de faire ces longues correspondances destinées à un public inconnu sous la forme de romans. Comprenez que je suis de la génération qui a passé l’adolescence à entretenir des correspondances avec des personnes parfois lointaines et
totalement inconnues. Tout ça est désormais fini avec l’arrivée d’Internet et des SMS. Et je le dis avec regret.


Je ne comprends pas très bien ce que tu veux dire... Les mots sont là pour véhiculer le plus fidèlement possible les images que nous avons en tête... mais... mets-tu en scène les émotions de tes lecteurs ? Tu me donnes un exemple de ces "retours inattendus" ?

Il ne s’agit pas de mettre en scène les émotions de mes lecteurs, il s’agit toujours de celles de mon protagoniste (Matt Princier, qui est au centre de tous mes ouvrages). La difficulté de la communication réside déjà dans la conceptualisation des choses (que tu appelles « images »). Nous n’avons pas tous ces mêmes « images » concernant une chose précise. Ce qui me paraît un carré parfait peut être discuté comme un losange chez un autre ou comme un rectangle chez un autre encore. Pourtant c’est une évidence pour moi : c’est carré. D’où l’émerveillement de se rendre compte qu’il n’y a pas une seule manière de voir les choses. Tiens, dans le deuxième chapitre de « Mon histoire avec eux », j’aborde un sujet fort sensible et risqué de l’amour d’un petit garçon de 11 ans pour son professeur de 25 ans. J’ai dû mettre une double couche de gants pour ne pas choquer le lecteur, j’ai avancé dans
le récit avec la plus grande prudence. Je craignais qu’on m’oblige simplement de retirer ce chapitre. Pourtant, les personnes à qui je fais lire habituellement mes ouvrages quand je les termine ont été unanimes : c’est dans ce chapitre qu’on trouve un condensé de sentiments partagés par la plupart des lecteurs.
Il est clair que les mots sont là, mais il faut en prendre les bons pour amener les autres à s’aligner sur votre logique. Après, l’interprétation de ces mots c’est aspect qui échappe totalement à l’auteur.

Si j'ai bien compris, tes nouvelles ont toutes, comme fil conducteur "l'amour" ? 
Toutes mes histoires ne parlent que de l’amour, sous toutes ses formes, allant d’une amitié classique à des amitiés amoureuses, en traversant les amours charnels, passionnels, et platoniques. 

Dans la mesure où tu "engages un dialogue" avec tes lecteurs, tu te mets en scène, non ? Dans ce contexte, n'est-il pas compliqué d'être lu puisque tes textes peuvent s'apparenter à de l'autobiographie (certes fictive mais beaucoup de lecteurs les prendront au premier degré...) 
C’est un piège, en particulier pour des lecteurs qui me connaissent dans la vie de tous les jours. Ils s’acharnent à établir des équivalences avec mon quotidien, même lorsque je leur aurais prescrit de faire abstraction de l’auteur. Je parle à la première personne du singulier, mais c’est Matt Princier qui se raconte en réalité. C’est lui qui fait intervenir les autres quand il est face à des choix difficiles. Il faut garder en tête une chose : Matt Princier est un garçon qui se pose beaucoup de questions. Il essaie de trouver des réponses dans ses propres expériences et dans ce qui tombe sous le sens commun. C’est dans ce contexte-là qu’il s’applique à faire réagir son lecteur avec qui il voudrait communiquer. C’est pour ça qu’il a souvent recours à des points d’interrogation dans son emploi de ponctuations. Tiens, voici en exemples quelques extraits tirés de « Mon histoire avec eux » :

« Devrions-nous à tout prix rester corrects ? J’aimerais que vous arriviez à répondre à cette question à la fin de ce récit. Et si quelqu’un y arrive, qu’il ne manque pas de me dire de quelle manière nous y parviendrons. J’ai passé minute après minute pendant huit heures aujourd’hui à essayer de trouver une réponse neutre à cette question. Devrais-je vous dire que mon activité cérébrale est restée improductive de résultat cohérent ? Alors, je crie ma révolte : au diable la bienséance ! Au profit de qui œuvrons-nous quand nous nous privons des choses à la fois basiques et vitales à notre existence ? »

« Croyez-moi, j’ai l’expérience de ce genre de choses. Les gens ne sont pas si différents les uns des autres qu’on semble se le présenter. On est faits de chair et de sang, on est un corps et un esprit. Cela ne connait ni différenciation raciale, ni tribale, ni même de genre. On est juste des êtres humains. Dans votre haute estime de vous-mêmes, vous refuserez très certainement de l’entendre, mais je vais vous le dire : à circonstances égales, vous seriez tout à fait capables de faire exactement la même chose que l’autre a faite. Je vais vous le répéter jusqu’à ce que le message percute bien vos oreilles : vous n’êtes pas si exceptionnels que vous vous êtes plu à le penser depuis des lustres. Et si vous en voulez la preuve, je vous en fournirai une qui cassera votre haute opinion de vous-mêmes : quand vous ne serez plus là demain, quelqu’un d’autre prendra votre femme, votre mari, votre maison et votre travail. Le
monde vous regrettera peut-être un jour, mais le jour d’après il oubliera jusqu’à votre existence. Alors, descendez tous de votre piédestal ! »

« Il n’y avait pas de malice en lui. Les gentils comme Hugo ont du mal à concevoir que les gens agissent ou parlent par pure méchanceté. Ce sont les méchants qui, en plus de leur propre rosserie, attribuent une intention malveillante aux faits et gestes des autres. Hugo trouvait toujours une excuse pour disculper ceux qui ont manqué de correction envers lui. Vous voyez, vous avez du mal à croire qu’il existe des gens comme Hugo Lambermont dans le monde d’aujourd’hui. »

« Osez me dire que vous vous êtes toujours montrés magnanimes face à ces proches qui ont eu le malheur de vous révéler un jour un côté moins illustre de leur vie. Nous les avons rejetés, regardés comme des êtres impurs que les Juifs de l’Ancien Testament condamnaient à vivre en dehors des fortifications de leurs villes. Oseriez-vous prétendre que vous en êtes indemnes ? Enfin, je vais arrêter de vous harceler, ce n’est pas après vous que j’en ai. Ma désapprobation va à l’endroit de ces pseudo amis qui n’ont rien compris de moi et n’ont pas accepté que quelqu’un d’autre s’y lance. »

« Jacques Rouvrin rendit l’inimaginable possible et c’est précisément cela, sans aucun détour, que je vais vous raconter. Ne soyez pas dégoûtés par cette lecture. Soyez-en plutôt par ce que fit Jacques Rouvrin, mon beau-père. Je doute d’ailleurs qu’il y en ait, parmi mes lecteurs masculins, qui s’identifient à Jacques. Je n’aurais pu, moi non plus, me voir en lui, malgré la luxure que certains ont déjà attachée à mon personnage, allant jusqu’à évoquer le Marquis de Sade quand ils parlent de moi. »

Des projets d'écriture ?
Des projets d’écriture ne manquent pas. « Nos rêves et nos vies » que je viens de finir a pour vocation de boucler la trilogie commencée en 2005 lorsque j’ai écrit « Gaypard », et qui s’est poursuivie en 2009 à travers « Vers le Sud ». Mais vu que j’ai quelque peu évolué dans ma manière d’écrire, je vais devoir retravailler en profondeur les deux premiers pour atténuer la cassure entre les différents styles. 

À part ceux-là, j’ai aussi écrit « Crispin Sadelier, mon rêve d’amitié ». Il parle du voyage de Matt avec son ami Crispin à travers les Etats-Unis. C’est à nouveau une relation qui s’est vécue comme se joue de la musique. Elle a connu sa courbe ascendante qui est venue mourir dans un silence qui laisse Matt Princier avec ses éternelles interrogations. Le lecteur qui aime les romans de style récit de voyage ne manquerait pas de l’apprécier. Ah, « Nos rêves et nos vies » également. C’est une histoire d’amour qui se vit à travers villes et campagne irlandaises.

« La vie me l’a interdit ! » est un roman que j’ai écrit l’an dernier. Je craignais de le faire lire tant je le trouvais noir. Toutes les histoires se terminent dramatiquement. J’avais besoin de partager cet aspect de la vie, qu’on évite quand même souvent d’aborder.

J’ai envie de faire vivre à Matt Princier d’autres aventures. Mais pour l’instant, je préfère me concentrer sur des améliorations à apporter à ce qui existe avant de passer à autre chose.

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C
Matt Princier est donc un personnage, un et multiple. L'amour est vécu sous toutes ses formes. Voilà un recueil de nouvelles qui hypnotisera pas mal de lecteurs! Et nous ferons une relance pour la saint-Valentin! Ceci dit l'auteur est grand psychologue, il fouille l'âme humaine et de petits trésors jaillissent.
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P
Matt Princier, avec ses multiples visages, est un personnage condamné à l’exclusion, au rejet. Il ne ressemble à rien qu’on connaît. Et comme on le sait tous, le monde est sceptique face à ce qu’il ne connaît pas. Pourtant, ce pourrait être une richesse d’aller vers ce qu’on ignore et de découvrir qu’il existe autre chose que nos éternelles évidences !