Marie-Noëlle Fargier nous propose une poésie...

Publié le par christine brunet /aloys

Marie-Noëlle Fargier nous propose une poésie...

J'ai écrit ce texte il y a de très nombreuses années quand les hospices existaient encore. Je le sors, oublié, dans un fond de tiroir. Ce genre de "lieu de vie" n'existe plus aujourd'hui. Et pourtant, face au manque de moyen humain que subissent les hôpitaux, les maisons de retraite..., et malgré le courage des personnels, je me demande si les plus défavorisés n'auront pas à nouveau à connaître ce mauvais sort.



Caressée par le Soleil

Dans ma robe fleurie

Tu es là mon Amour

Nos mains unies de nos cœurs en éveil

Mathilde est là aussi

Baignée de Lumière

Elle court, elle rit

Tu es là mon Amour

Ton regard si doux

Me protégeant pour toujours...


Une porte claque sans fin

Laissant apparaître un colosse vêtu de blanc

M'éblouissant d'une lumière hargneuse

Pas un mot, pas un chant

Un gant rude et glacé

Laboure ma peau...ridée

Maintenant je sais...


Un coup de serviette

Ce doit être la toilette

Ou plutôt le lavage

Qui rime avec mon âge

Endimanchée d'une moitié de chemise blanche

Cachée par un peignoir

Surmonté d'un bavoir

Costume de mes jours noirs

Mais pour ces jeunes gens

Il faut gagner du temps !

Le poids de mes Ans

Est envoyé sur un chariot roulant

Je suis véhiculée

A une allure de possédée

Mais pour ces jeunes gens

Il faut gagner du temps !

Dans la salle à manger

Ou plutôt à avaler

Autour d'une table

Hommes, Femmes, tous semblables

Devant un bol de café, dit au lait

Débordant de pain trempé

Où flottent des yeux nauséeux

Mais pour ces jeunes gens

Il faut gagner du temps !

J'ouvre la bouche devant une cuillère

Bourrée de cette odeur singulière

Autour de moi

Mon reflet multiplié

A croire qu'on a tous fait le même choix

Mêmes habits, mêmes petits-déjeuners !

Cette photographie pourrait faire rire

Mais, j'ai tellement envie de pleurer

Mes larmes refusent de couler

Pour alléger mon cœur

Mon corps est de cire

Dans ce musée sans fenêtre

Puis-je me reconnaître ?


Mathilde vient me visiter

Avec un air accablé

Elle, qui riait, embrassait sa maman

Avec un cœur débordant de sentiments

Nos fous rires au petit-déjeuner

Quand barbouillée de miel et de confiture

Elle m'offrait un baiser

Défaisant ma coiffure

Cette odeur de café et de lavande

Qui embaumait nos amours gourmandes

L'eau fraîche de la Fontaine

Qui réveillait nos vies si pleines

J'avais si fière allure !


Je ferme les yeux

Pour retrouver mon rêve merveilleux

Ma robe fleurie, mes chaussures vernies

Aujourd'hui je porte des chaussettes

Plus besoin d'emplettes


Mais pour ces jeunes gens

Il faut gagner du temps !


Le Temps, le Temps..........

Dieu qui m'a donné tous ces ans

Est-ce une faveur

D'Exister sans chaleur ?


Prends ma main, mon Amour

Emmène-moi vers un autre Jour

Où je serai en VIE


Me protégeant pour TOUJOURS.....


MARIE-NOËLLE FARGIER

Publié dans Poésie

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M
je "visite " les résidents d'un home de ma région, depuis 2010 (Croix Rouge connue depuis des années)<br /> je suis parfois coite face à certaines situations, empathie, oui, nous devons mettre des limites, il me devient de plus en plus difficile de le faire, ces personnes ont a la sagesse des anciens, ils ont droit à tout le respect qui leur est dû, à tous les niveaux de soins,à leur donner l'envie de vivre, encore et encore...les temps changent, pas en mieux....à nous de leur donner cette envie de vivre bien, pas seulement d'exister....
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P
C'est très émouvant !<br /> Et c'est toujours d'actualité, dans les hôpitaux, en gériatrie et dans les maisons de retraite, hélas, car, oui, il faut gagner du temps...<br /> La réduction du personnel, surtout la nuit ( pour que vous ne tombiez pas de votre lit en voulant vous lever pour aller aux toilettes, l'obligation de porter un lange !!!). C'est terrible !
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S
Très touchant!
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P
Je ne suis pas sûr que ce texte ne soit plus d'actualité, hospice ou pas ! <br /> Moi qui ne suis pas séduit par la poésie, ce texte m'a plu !
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M
Merci de vos commentaires. Ce texte, je l'ai écrit il y a environ 25 ans. J'effectuais des stages dans divers établissements. Puis, j'ai travaillé en gériatrie auprès de personnes dites "démentes", auprès de personnes âgées n'ayant plus leur autonomie physique. L'empathie que j'ai pu avoir venait du fait de me dire "si c'était ma mère, ma grand-mère, mon père... ou moi dans quelques années. Si j'étais elle ou lui." L'écoute, le savoir être n'est rien en comparaison de la gratitude qu'on reçoit. Une gratitude que je ne retrouve pas dans le monde des dits "normaux", du moins pas aussi sincère, pas aussi vraie. J'ai voulu partager ce texte, car aujourd'hui le manque d'effectifs des personnels peut conduire à de telles situations et l'épuisement est l'un des facteurs. Soigner des personnes est difficile car cela peut renvoyer à sa propre peur de la maladie, la peur de vieillir... Ce qui, pourtant n'est pas contrôlable et est irréfutable. Je me dis que cette fatalité peut arriver et on y peut rien, par contre on peut changer le regard qu'on pose sur la vieillesse ou l' handicap. J'ai beaucoup appris grâce à eux, l'essentiel sûrement... Et, aujourd'hui mes quelques mots sont ma façon de les remercier.
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M
C'est bien vu, c'est très bien dit, et c'est toujours vrai !
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C
Le moral en prend un coup mais... oui, pertinent et magnifique !
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S
Le rapport au temps qui change avec la vie et ses difficultés. <br /> Le rapport à ce que l'on est, n'est plus.<br /> Bouleversant.<br /> Et universel...
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E
Dure réalité... L'anonymat de la dame de la chambre 107... qui n'aurait ni vie ni souvenirs ni goûts particuliers ni décence ni besoin d'un contact qui ne la lave pas mais la touche, la touche, a envie de la toucher...
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B
adorable
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B
adorable
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C
Un texte écrit voici de nombreuses années, nous dit l'auteure...Et pour le personnel, c'est toujours la même course contre la montre. Les mots sont justes, très justes même. Je salue ici la capacité d'empathie de Marie-Noëlle Fargier.
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