Jean-François Foulon a lu "Sables" de Laurent Dumortier

Publié le par christine brunet /aloys

"Sables" de Laurent Dumortier

Dès la première phrase qui est une sorte d’exergue, le ton est donné : « Chaque grain du sablier qui s’écoule est un morceau de vie qui tombe, une chute dans le néant du passé. Le futur est là, sous nos yeux, mais il est irrémédiablement condamné… »

On l’aura compris, les textes que l’on va lire ne brilleront pas par leur optimisme. L’auteur nous dit que la vie (notre vie) nous file irrémédiablement entre les doigts. A peine vécu, le moment présent est déjà du passé et ne nous appartient plus. Quant au futur, inutile de se réjouir, il sera bientôt, lui aussi, du passé. La vie (notre vie) nous apparaît donc comme illusoire. Privés de futur, nous ne sommes déjà plus que du passé avant même d’avoir été. 

J’adore ce genre d’approche, qui fait réfléchir tout en nous donnant une gifle pour nous réveiller. Car la littérature, cela me semble aller de soi, n’est pas là pour nous raconter des histoires (dans les deux sens du terme) mais pour nous amener à la conscience. On peut dire que Laurent Dumortier y arrive pleinement car on ne sort pas tout à fait indemne de ses textes.

Ceux-ci sont courts, très courts même, et l’auteur s’en explique au début de son petit recueil. Il ne veut pas, ici, s’embarrasser de la psychologie de ses personnages (sans quoi il aurait écrit un roman) mais nous présenter « un instantané, une photographie d’un événement ». Dès lors, le genre littéraire adopté doit correspondre à ce qu’il veut exprimer. Ses récits voulant aller à l’essentiel, une ou deux pages suffisent amplement pour nous montrer que la mort n’est jamais loin et qu’elle nous guette au tournant.

Le thème du sable (celui du sablier, qui symbolise le temps qui fuit) est le leitmotiv qui traverse toutes ces petites nouvelles, aussi sombres que percutantes. Sable du désert, rose des sables un peu magique, sable avec lequel on fabrique le verre, sables mouvants dans lesquels on s’enfonce désespérément sans espoir d’en ressortir, sable qui envahit l’espace et qui risque de nous étouffer, sable des plaines de jeux où les enfants disparaissent… Tous ces sables sont inquiétants et nous rappellent que notre vie actuelle, que l’on croit bien stable, peut  très vite basculer dans l’horreur.

Car certaines des nouvelles de ce recueil sont à la limite du fantastique, ce qui leur donne un petit côté original que personnellement j’ai adoré. Bon, je ne vais pas ici vous donner trop de détails, mais retenez que ce côté fantastique sert surtout à nous montrer que notre vie confortable peut basculer à tout moment. Comme je le disais au début : nous n’avons pas de futur, le temps de nous apercevoir que nous sommes éphémères et déjà nous avons passé.

L’illustration de couverture (merci à France Delhaye !) est en elle-même un résumé du livre, puisqu’elle nous montre un squelette dont les os sont déjà partiellement éparpillés sur un lit de sable. Beau raccourci pour dire que chaque grain de sable qui s’écoule du sablier nous rapproche de l’instant fatal. « Vulnerant omnes, ultima necat » (Toutes blessent, la dernière tue), disaient les anciens Romains en parlant des heures. Voilà une formule que Laurent Dumortier aurait pu faire sienne, assurément.

Bonne lecture, ne traînez plus pour vous procurer ce livre, car le temps presse, je vous assure !

Jean-François Foulon

http://feuilly.hautetfort.com/archive/2016/05/24/sables-de-laurent-dumortier-5805897.html

 

Publié dans Fiche de lecture

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P
Une belle note de lecture !<br /> Oui, je pense aussi que l'on ne sort pas tout à fait indemne des textes de Laurent Dumortier et j'aime bien cette approche de la littérature :-)
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E
En effet, une note de lecture qui aide à prendre le bon chemin pour parcourir ces pages... La présence du sable, symbole du temps qui passe aussi vite qu'un grain dans le vent, un zeste de fantastique, et une prise de conscience... Merci Jean-François pour avoir mis ce livre en valeur avec intelligence!
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S
Super note de lecture ! <br /> Le sable, symbole du temps qui nous file entre les doigts... Cela ne m'avait pas forcément sauté aux yeux lors de la lecture d'une des nouvelles : Paris-Dakar, je crois, que j'avais déjà beaucoup appréciée.<br /> Une note qui en dit long sans en dire trop. Merci !
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J
Oui, quand l'ombre qui nous entoure nous invite à découvrir la clarté qui est en nous.
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M
Belle sagesse qui peut nous inviter à profiter et préserver le temps présent en faisant de lui un trésor. Faire de cette précarité une éternité et transformer ce sable en un pas d'or : quelle alchimie ! C'est cette vision que m'inspire l'écriture de Laurent Dumortier, Ce qu'on pourrait appeler "noirceur" devient un préambule à la clarté.
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