Marie-Noëlle Fargier nous propose une nouvelle...
Les poules aux œufs d’or- version XXI ème siècle de Marie-Noëlle Fargier
Il était une fois un aiglon au plumage brillant, très attentif à une apparence soignée que ce soit pour sa personne ou son environnement ; l’œil vif, il était toujours affamé de chair fine et délicate. Sur son rocher il faisait les cent pas, la tête penchée vers la terre, il réfléchissait. Une question le hantait « Comment puis-je parvenir à me rassasier et faire un monde plus propre ? » Un sourire se dessina sur son bec impérial. Son plan s’élaborait.
Le jeune aigle partit à la rencontre des poules aux œufs d’or. Souriant, convivial, bienveillant et séduisant dans son brillant pennage, il se fit ami avec les plus notables poules. Ces dernières avaient bien remarqué son insatiable appétit et plutôt que devenir sa proie, lui donnèrent un œuf, puis deux, puis trois…L’aigle aux manières affables accepta ces présents. Cependant il voulait comprendre comment cette alchimie pouvait s’opérer. Doté d’un grand sens de l’observation et stimulé par sa passion aurifère, il comprit et maîtrisa le noble matériau. Fort de son savoir et de son pouvoir, il leur demanda :
Merci mes chères amies de ne pas caqueter à droite et à gauche et de garder notre secret. Nous sommes les seuls à pouvoir en faire bon usage. Comme vous l’avez compris, je suis un sage et ma parole doit être entendue ! Puis, s’adressant aux coqs un peu vexés de se sentir délaissés, l’aigle poursuivit :
Vous, les majestueux coqs, vous jouez un rôle primordial en réveillant les habitants et en les informant de la levée du jour. C’est pourquoi, à partir de ce jour, je vous charge d’user de vos coquericos en annonçant mes vertus.
Ainsi chaque matin, les fiers mâles de la basse-cour, flattés, le cou tendu, proclamaient les qualités exceptionnelles de leur nouvel idole.
La diffusion quotidienne des capacités de ce jeune aigle eut un retentissement sur chaque classe des plumages.
Les poules lui donnèrent toute leur confiance, persuadées que leur secret serait protégé par les griffes du rapace. De plus, ses larges ailes héréditaires pouvaient conquérir tous les royaumes et ainsi faire fructifier leur trésor.
Les oies et les paons, gardiens efficaces furent les premiers volontaires à proposer leurs services, convaincus que les éclats d’or, dont ils bénéficiaient jusqu’à présent, allaient se métamorphoser en lingots.
Les canards, eux, vivotaient des poussières d’or mais espéraient que ce puissant aigle, motivé par une belle idéologie, leur offrirait quelques éclats pour nettoyer leur mare, lustrer leur beau duvet en se nourrissant correctement.
Seuls quelques passereaux, avec à leur tête l’oiseau-lyre, ne partageaient pas cet enthousiasme. Leur chant, leur musique, leur parade irritaient déjà le prétendant au trône qui leur ordonnait d’aller faire leur sérénade plus loin.
A l’unanimité l’aigle fut nommé roi du monde des plumes.
Au début de son règne, il fit bâtir un beau palais d’or sur les hauteurs de la montagne. Il y logea sa famille et tous ceux de sa race. En dessous, un palace, plus petit mais tout aussi éblouissant, accueillait les poules qui pondaient à volonté. Les autres restèrent dans la plaine.
Le souverain, proche de son peuple, se promenait fréquemment à travers la plaine, saluant de ci de là les oies, les paons et les canards, ravis de cet honneur. Sans oublier de leur rappeler qu’ils devaient retrousser les manches pour acquérir une vie meilleure. Il voulait s’assurer que sa nouvelle organisation fonctionnait bien. En effet les canards, désignés tâcherons, transformaient l’œuf en lingot. Les paons et les oies avaient été promus à l’encadrement des canards afin que la production ne faiblisse pas, ainsi parfois le généreux roi leur offrait quelques lingots. Certains canards ambitieux s’acharnaient à accomplir un travail fructueux, ainsi parfois le généreux roi leur offrait quelques éclats d’or.
Chaque matin, après le chant du coq qui louait toujours les mérites de l’aigle, sa majesté aimait planer au-dessus de son royaume. Un dimanche, alors que les paons, les oies et les canards travaillaient à la mine, il remarqua une nouvelle mare où paressaient des canards multicolores. Aussitôt il atterrit sur la plaine. Quelques tâcherons sortaient de la mine, il les interpella :
Bonjour, mais qu’est-ce cela ? demanda-t-il aux ouvriers d’un ton sec et d’un air dédaigneux en désignant la nouvelle mare. Impressionnés par cette nouvelle attitude de leur messire, l’un d’eux plus courageux osa répondre :
Ils sont arrivés hier, ce sont des canards sauvages, ils sont épuisés, ils ont dû faire un long et pénible voyage.
Mais enfin, ils ne peuvent rester ici !
Je crois, mon Roi, qu’ils sont si maigres qu’il est impossible pour eux de voler à nouveau. Ils doivent se reposer et reprendre des forces.
Je veux bien en garder quelques-uns, par exemple les plus vigoureux pour vous prêter main forte à la mine et ainsi vous pourriez avoir un jour de repos. N’est-ce pas ?
Comme vous êtes généreux, mon Roi, lui répondirent les tâcherons en chœur. Nous pourrions partager notre pâtée avec eux pour qu’ils recouvrent la santé.
Non, mes chers amis, je ne veux pas que vous vous priviez pour eux et peut-être sont-ils contagieux ? De plus, votre étang est déjà petit et je vous souhaite le plus de confort possible. Cette mare empiète sur votre étang. Je vais trier ces migrateurs, voir ceux qu’on garde et ceux qu’on renvoie !
Mais les renvoyer de quelle façon ? demanda le tâcheron un peu plus audacieux.
On prendra des éventails en papier pour les faire partir.
Sa majesté commença à sélectionner deux ou trois canards multicolores pendant que les paons, les oies et les canards sortis de la mine, unis, chassaient à l’aide d’éventails en papier la majorité de ces pauvres oiseaux migrateurs.
La vie reprit son cours. La mine d’or, en activité permanente, offrait au tout-puissant, à sa cour et aux poules une vie luxurieuse. La montagne était un vrai paradis. L’or scintillait. Le monarque ne manquait jamais une occasion pour se rendre dans la plaine. Quelquefois le rapace magnanime proposait à son peuple des petites fêtes pour étouffer les quelques doléances d’un paon, d’une oie, d’un canard effronté. Dans son plus bel apparat, il se rendit au bal qu’il avait organisé, toujours soucieux du bonheur de son peuple. Toutes les petites plumes voltigeaient, dansaient, regardées des gradins par les autres rapaces et les poules. L’aigle, à l’œil toujours vif, observa quelques oies, paons et canards avec le plumage vieilli, les ailes ralenties. Il distingua aussi des estropiés qui ne pouvaient danser. Soucieux, il convoqua le lendemain son assemblée de rapaces et de poules. Il leur exposa le problème. Qui sont ces déplumés et que faire d’eux ? L’assemblée et le souverain libérèrent sur leur sort pendant des heures. L’aigle, fatigué de cette perte de temps, trancha :
Oh ces gueux n’ont pas ou si peu de besoins. Ils sont inactifs et donc mangent peu, l’état de leurs ailes ne leur permet pas de sortir, ils sont déjà si moches que même les plus beaux habits ne peuvent changer leur apparence. Je suggère de diminuer leur poussière d’or ! Nous avons déjà bien assez gaspillé d’or pour eux ! Je ferai bâtir un abri en bois pour les loger tous ensemble. Je demanderai à leurs familles de contribuer, je leur ai tant donné d’éclats ou de lingots d’or ! Il est légitime qu’ils participent !
Mon Roi, si je peux me permettre, allez-vous étendre ces habitations à notre montagne ? intervint une poule d’âge mur.
Bien sûr que non ! Nous avons tant besoin de la connaissance de nos anciens que ce soient les rapaces ou les poules ! Et puis, je ne sais pour quelle raison, mais il faut constater que nous ne vieillissons pas de la même façon ! répondit-il dans un éclat de rire, en se mirant dans une glace.
Aux mots du plaisantin, toute l’assemblée s’esclaffa, puis le congratula sur sa beauté et sa sagesse.
La vie reprit son cours. Le vieux cabanon en bois abritait les plumes âgées, estropiées et malades qui devaient se suffire à eux-mêmes. Il recouvrait une grande surface de la plaine, sa majesté par son immense bienveillance ne voulait pas que son peuple finisse dans la rue qui se devait de rester propre. En réalité la cabane n’était jamais remplie et même plutôt vide, beaucoup de ses résidents « choisisissaient »…un départ définitif.
Ainsi, la population demeurait jeune et travaillait. L’aigle pendant ce temps continuait d’œuvrer pour son royaume. Son palais recevait les grands rapaces de ce monde. Ils échangeaient leurs œufs d’or, se jalousant les plus beaux, les plus purs. L’aigle n’hésitait pas à voler pendant des jours pour rechercher un or encore plus fin. Et lorsqu’il l’avait trouvé, il y établissait son empire fait d’oies, de paons, d’un grand nombre de canards et de quelques poules.
Les années passèrent. Un matin le monarque se leva en colère. Les jeunes disparaissaient de son royaume. La motivation n’était plus là ! Les oies et les paons ne parvenaient plus à faire respecter la cadence aux canards. Ces derniers n’avaient plus un jour de repos. Les deux ou trois canards migrateurs avaient été chassés à coups d’éventails en papier. Trop âgés, ils n’étaient plus utiles. Usés et de moins en moins productifs, les canards ne bénéficiaient que de restes de poussière d’or ; les oies et les paons sous la pression du maître du royaume, associée à la paresse des canards, ne recevaient plus de lingots, même les éclats qui leur revenaient se raréfiaient. Les tâcherons mouraient jeunes, les canetons se faisaient exceptionnels, enfin quand ils arrivaient à atteindre l’âge adulte ! Pour pallier à ce manque de main d’oeuvre, le sire imposa aux oies et aux paons de renforcer les rangs des tâcherons. Adieu les éclats d’or ! Les oies et les paons, incapables de s’adapter à cette vie dure et misérable, perdaient la raison avant de périr. Tous ces survivants devaient se satisfaire des restes de poussière d’or et encore à la bonne volonté du roi et des poules dont les besoins ne faisaient qu’accroître. Pour chasser sa colère et trouver une solution, le rapace plana dans les airs de longues heures. Revenu dans son palais, une idée lui vint. Il désigna quelques canes et canards encore assez jeunes et les engagea comme procréateurs. Ainsi la courbe démographique se rétablit et les tâcherons, en nombre défini par la volonté royale, rendirent l’or immortelle.
L’aigle pensa à assurer sa descendance. Il eut un fils. En âge de bien voler, le père l’amenait chaque matin pour survoler son royaume. Il lui enseignait ses valeurs. Observant son fils adoré, au chant du coq… il lui demanda :
Tout va bien mon fils, tu ne remarques rien de particulier ?
Non père, le monde que vous avez créé est le meilleur des mondes !
Moralité
Un oiseau-lyre, le dernier survivant des passereaux, juché sur un arbre d’or, chante une fable de la Fontaine et me voyant passer m’interpelle :
Eh Noëlle, tu charries complètement ! Commencer ton texte comme une fable et finir par « le meilleur des mondes » !
Ben oui, une fable qui fait parler des animaux ! Bah ! On est bien loin de ce passé où la personnification était obligatoire ! Et puis ce serait donner une âme aux animaux, quelle idée ! Pour ce qui est de finir par de la science-fiction, laisser croire qu’on pourrait devenir des robots ! Bah ! On est bien loin d’un tel avenir !
Marie-Noëlle FARGIER
