Denis Billamboz a chroniqué le roman d'Edmée de Xhavée "La rivière des filles et des mères"
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La rivière des filles et des mères – Edmée de Xhavée
Zoya, enseignante, maman de trois enfants, vivant en Belgique dans un couple très banal, comprend vite qu’elle a un arbre généalogique beaucoup moins banal..« J’ai vite su que ma famille n’était pas construite comme tant d’autres » écrit-elle, sa famille est dispersée sur deux continents et elle a des origines diverses tant du point de vue géographique que du point de vue social. Elle comprend aussi que ses aïeux ont voyagé à travers terres, mers et océans. Elle décide alors de remonter le courant de sa généalogie comme d’autres remontent le cours d’une rivière pour en trouver la source, elle va chercher à remonter le plus loin possible pour comprendre comment elle s’est construite sur des racines aussi diverses.
Arrivée à ce qui n’est évidemment pas la source primaire de toutes les généalogies, mais à ce qui pourrait être un bon point de départ pour construire son histoire. Elle élabore cet arbre généalogique en suivant la filiation de mère en fille pour arriver jusqu’à elle. Elle commence son récit généalogique en reconstituant la vie de Goguet et de sa petite indienne. Goguet et le fils puîné d’une famille de nobliaux normands qui a émigré pour une quelconque raison vers le Canada où il a troqué quelques marchandises, armes ou chevaux contre un toute jeune fille à des indiens Ojibwés. Ils se seraient aimés sans pouvoir se parler mais en déployant beaucoup de complicité. Lui partait pour de longues semaines de trappes la laissant seule, elle savait quand il rentrerait, elle avait une confiance absolue en lui.
Ce bon Normand et cette fière petite indienne constitue déjà un point de départ original pour cette généalogie. Ils eurent quatre enfants dont une fille élevée par les jésuites qui lui permirent d’épouser le fils d’un notable qui avait besoin de revaloriser son image ternie par son homosexualité bien mal acceptée en ce début du XIX° siècle. Eux aussi, ils s’aimèrent et eurent des enfant dont une fille qui a son tour a une fille qui à son tour… et ainsi de suite de génération en génération, Zoya raconte comment elle est venue au monde sur les bords de la Meuse où elle a à son tour fondée une famille qui perpétue ce lignage cosmopolite.
Tel un chirurgien des cœurs et des couples, Edmée, elle-même liégeoise, vivant sur les bords de Meuse, explore comment les unions maritales ou adultérines se construisent, grandissent, se fanent, s’étoilent, se déchirent, … Des couples qui ne correspondent pas toujours à la norme sociale, des couples qui n’en sont pas toujours. Elle suit le fil rouge de l’amour qui sème la petite graine qui permettra de passer à la génération suivante. Dans ce texte, on croise des parents qui n’étaient pas fait pour se rencontrer, des mariages arrangés, des mariages de raisons, des liaisons adultérines, des amours de passage, des coups de foudre ravageurs, des enfants qui ne connaissent pas toujours leur géniteur, …, tout ce qui peut, in fine, constituer une bonne famille avec ses amours, affections, désaccords, … Edmée est une grande experte des amours chez les notables mais elle sait surtout les sentiments qui réunissent les êtres. « Il y a le désir, il y a le plaisir, il y a le sexe, le devoir, le « faire plaisir » pour la paix du ménage. Tant de choses et tant de variantes puisqu’on vit une histoire différente chaque fois. »
Cette généalogie n’est pas seulement un exercice historique c’est avant tout une dissection des rapports entre les hommes et les femmes mais aussi entre les femmes et les femmes et entre les hommes et les hommes. Ce texte est plein de sensualité, d’érotismes très pudique, jamais démontré seulement suggéré. Il évoque aussi la violence de la nature et des hommes mais jamais une violence littéraire destinée à émouvoir ou effrayer les lecteurs. J’ai lu ce texte comme une histoire de femmes dont les vies mises bout à bout comportent toutes les tracas qu’une femme peut rencontrer au cours de sa vie : le mariage forcé, l’adultère, l’enfant illégitime, le mari homosexuel, le mari dédaigneux, le mari volage, le mari violent, les enfants perdus, le veuvage précoce, … C’est un peu l’histoire de la femme à travers les continents pendant les deux derniers siècles. Mais la vie ne se réalise pas forcément avec un ou une autre, elle peut être très belle et bien remplie dans une existence solitaire. « Un vie est complète sans mariage, sans grand amour, sans orgasme, sans enfants, sans voyage astral, sans sixième sens, sans apparition de la vierge, sans gagner un prix Nobel, sans devenir riche sans expérience de vie transcendante. Oublie ça. Une vie est toujours complète sauf si on croit qu’elle ne l’est pas. »
J’ai aussi beaucoup apprécié les différents cadres décrits par l’auteure, sa documentation est certainement très fouillée mais je sais qu’elle a été complétée par des souvenirs personnels de voyages et de séjours dans de nombreux pays. Elle dresse ainsi un tableau d’une Amérique de la fin du XIX° et le début du XX° siècle où les grandes familles étaient organisées en clans très fermés mais où les nouveaux riches pouvaient encore trouver une place. C’est l’Amérique des pionniers venus d’Europe avec leurs rêves et leurs espoirs de fortune, racontée dans une belle et grande saga familiale.