Philippe Desterbecq nous propose un texte sur le thème de l'avenir...
Avenir
« Pense à ton avenir », « pense à ton avenir », c’est ce que me répétait sans cesse ma mère. « Tu dois bien travailler à l’école pour avoir un bon diplôme, un bon métier, un bon salaire et un avenir radieux ! »
Elle y a pensé, elle, à son avenir quand elle fumait cigarette sur cigarette, quand elle avalait la fumée toxique avec délectation, quand les résidus de combustion lui brulaient la langue, le larynx ou les poumons ?
Elle, elle avait un bon diplôme, un bon métier, un bon salaire qui lui permettait notamment de me gâter, de faire des folies sans devoir compter. Oui, elle avait tout ça, mais elle n’avait pas d’avenir !
Ça, bien sûr, nous le savions ni elle ni moi. Nous profitions du peu de temps disponible qu’elle avait pour nous amuser tous les deux, nous balader dans les bois, au bord de la mer, aller au cinéma ou au théâtre. Quand enfin ses congés tant attendus arrivaient, nous partions, tous les deux, dans des contrées lointaines et nous profitions, de nous, à fond, sans mon père qui n’était jamais du voyage. Ses vacances à lui, c’était se retrouver seul à la maison, profiter du silence, de notre absence et faire absolument tout ce qu’il voulait.
Moi, je ne voulais pas que mon avenir ressemble à leur vie : des postes à responsabilité, des salaires mirobolants, mais des horaires impossibles !
Mes parents me manquaient quand la nounou me gardait le soir ou pendant les congés scolaires ! J’avais besoin d’eux, de leur présence, pas de leur fric !
Et maman qui fumait comme un pompier ! Combien de fois lui ai-je dit qu’elle risquait d’attraper un cancer ? Mais elle me répondait que ça la déstressait, qu’elle avait besoin de sentir cette douce chaleur l’envahir, la nicotine pénétrer son sang pour se sentir bien, calme, apaisée, et pouvoir s’occuper de moi !
Et puis est arrivé ce qui devait arriver ! Est-ce moi qui ai attiré le malheur vers elle en y pensant si souvent. Maman se mit à tousser, de plus en plus, le matin, en se levant. Puis, presque tout le temps. Il fallait qu’elle trouve un créneau pour aller voir un médecin, mais elle était « tellement occupée, ces temps-ci, tu ne te rends pas compte, mon petit » que quand elle s’est décidée à consulter, c’était trop tard. Le cancer, celui que je redoutais plus qu’elle s’était installé dans son corps de maman.
Et soudain, il n’y a plus eu de place que pour lui. J’étais relégué au deuxième plan, la chimio prit la première place dans sa vie. Le boulot ne comptait plus. Plus rien ne comptait à part ce fichu cancer qu’il fallait vaincre.
Mais c’est lui qui a vaincu et c’est moi qui suis resté tout seul, seul devant cette tombe que je fleuris encore toutes les semaines et ce depuis 20 ans !
20 ans ! Ça fait 20 ans que ma chère maman s’en est allée dans les étoiles ! Un triste anniversaire ! Et maintenant, je répète à mon fils, comme un mantra : « Pense à ton avenir, fiston, pense à ton avenir… ».
Philippe Desterbecq