Un extrait de Meurtres Surnaturels, volume I : Les Métamorphoses de Julian Kolovos par Joe Valeska
Sofia / Dimítrios
Un extrait de Meurtres Surnaturels, volume I :
Les Métamorphoses de Julian Kolovos
Par Joe Valeska
Après une intense querelle avec Sofia, Dimítrios, une bouteille d’absinthe à moitié vide dans une main, ses cahiers dans l’autre, avait décidé de redescendre au rez-de-chaussée, histoire d’écrire quelques pages. Avec de la chance, un chapitre tout entier ou peu s’en faut. Hélas pour lui, il allait en être autrement…
– Dimítrios, tu as réellement l’intention de passer la nuit tout entière devant tes maudits cahiers ? Je ne sais pas si tu es au courant, mais les hommes évolués utilisent des ordinateurs, aujourd’hui, le railla-t-elle, mesquine au possible.
– Sofia, s’il te plaît, tais-toi… L’inspiration vient, je la sens.
– Tu la sens ? marmonna-t-elle. C’est très bien… L’un de nous deux sent quelque chose, au moins !
Dans sa jolie nuisette longue en satin rouge cardinal, Sofia fit de son mieux pour se montrer entreprenante, ondulant lascivement sur un flamenco imaginaire qui ne jouait que dans sa tête, mais Dimítrios la houspilla. Elle se contint pour ne pas lui envoyer le premier objet à portée de main au visage et, après avoir tourné en rond comme une lionne famélique autour de sa proie, elle se mit à chantonner, plus incisive que jamais : « Ma chandelle est mor-te, je n’ai plus de feu… » Elle réussit à provoquer la colère de son mari qui lui demanda ce que pouvaient signifier ces insinuations puériles.
– Oh ! Mais rien… Rien du tout, rassure-toi… Allez, écris ! Tu es un écrivain admirable, la planète entière le sait, le brocarda-t-elle sans pitié.
– Je n’ai que faire de tes sarcasmes ! À raté, ratée et demi, rétorqua Dimítrios.
– Parce que je suis une ratée, moi ? Mais tu te prends pour qui, dis ? Oscar Wilde ? H. G. Wells ? Tolkien ? Espèce d’alcoolique, se fâcha-t-elle. Tu le sais, ce que tu es ? Tu le sais ? Un boit-sans-soif ! Voilà tout ce que tu es.
– Mocheté… répliqua-t-il, écœuré. Tu es aussi laide qu’Ornella, à l’intérieur, ma tendre épouse.
– Mal fichu… répondit-elle. À présent, quand je te regarde, je ne vois plus que mes années perdues, Dimítrios… Mon Dieu ! Quand je pense à tous les hommes à qui j’ai dit non… pour toi ! Même David Bowie, si tu veux tout savoir ! Et Prince !
– Il suffit, Sofia chérie… Va te donner en spectacle ailleurs, si ça t’amuse. Je n’ai guère le désir de me disputer…
– Et moi je voulais faire l’amour, Dimítrios ! Si tu continues à me délaisser de la sorte, je vais te faire cocu avec le premier venu, je te préviens ! Moussa, le chauffeur livreur de DHL, je lui plais…
– Eh bien, tu as ma bénédiction ! D’ailleurs, il me vient une idée. Pourquoi tu ne reprendrais pas aussi contact avec ton copain Prince ?
– Non, mais tu te moques de moi, là, Dimítrios ? Méfie-toi… Je plais encore aux hommes. Je peux avoir qui je veux.
– Mais oui… Mais oui… Tu es Kate Moss, c’est sûr. Maintenant, ma douce, sois gentille et fous-moi la paix ! J’ai un roman à écrire et je dois me concentrer.
– C’est ça, concentre-toi… Concentre-toi bien ! Tu te concentres tellement que tu en deviens con tout court, mon pauvre Dimítrios ! Sur ce, bonne nuit ! Mais sache une chose : je ne suis pas prête à te pardonner cet affront !
Sofia quitta la pièce, terriblement déçue et meurtrie… Dans une seconde de lucidité, Dimítrios se leva pour la rattraper, mais, au final, il préféra renoncer pour, à la place, se servir un verre d’absinthe. Il le but cul sec, puis il en but un autre, et un autre, et encore un autre, avant d’abandonner, à son tour, le grand salon. Il n’écrirait strictement rien, cette nuit.