Un nouvel extrait d’"Ainsi, je devins un vampire", par Joe Valeska
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« Où suis-je ? demanda l’enfant tout en se frottant les yeux. Qui êtes-vous ? Où est maman ? J’ai froid. »
« Chut… murmurai-je. Tu es endormie. Ce n’est qu’un rêve. Juste un rêve, mon enfant. »
Elle me crut. On fait confiance aux adultes, à cet âge-là. On croit qu’ils ne mentent jamais. Or ils mentent sans relâche et sont très loin d’être des parangons de vertu.
« C’est vous, n’est-ce pas, le prince dans les histoires que me raconte ma maman, le soir ? Vous êtes si beau… »
« C’est bien moi, tu as raison, approuvai-je pour la rassurer. Seigneur, je voudrais mourir !!! »
Et elle vint dans mes bras d’elle-même. La serrant, je lui demandai de me pardonner et j’éclatai en sanglots.
Le rire sadique de Valentina couvrit mes plaintes. La petite fille sursauta, cherchant du regard qui pouvait être là avec nous dans son ‘‘rêve merveilleux’’.
Une nouvelle fois, je lui demandai pardon. Puis je mordis dans sa nuque en nous maudissant, Valentina et moi. La tête de l’enfant naïve pencha sur le côté. Peu à peu, ses couleurs s’effacèrent. Ce n’était plus qu’un cadavre. Je pleurais à chaudes larmes en serrant très fort le corps contre moi. J’étais désespéré, mais je me sentais ‘‘vivant’’. Elle avait réussi. J’étais devenu un monstre.
Valentina reparut. Elle ramassa le corps et le jeta au loin, violemment, sans même regarder où. Je restai coi devant son manque total de respect pour la vie.
« C’est bien… C’est très bien ! dit-elle. Et j’espère que tu seras un peu plus reconnaissant, désormais. »
Elle me fit tomber sur le dos et s’assit sur mon bassin, me maintenant cloué au sol, se mettant à lécher les larmes pourpres qui, déjà, se coagulaient sur mes joues. Soulevant sa robe, elle arracha ce qu’il restait de ma culotte de peau pour frotter son sexe contre le mien.
« Je vous tuerai !!! » vociférai-je en lui crachant au visage, me débattant comme un beau diable.
Le sang de l’enfant ne m’avait même pas apporté suffisamment de force. J’étais tellement anémié… J’avais été privé de ce qui m’était nécessaire depuis trop longtemps.
« Alors, ça t’a plu de boire le sang de cette enfant de gueuse ? s’exclama-t-elle, hystérique. Est-ce que ça t’a fait autant jouir que la fois où ce sale Théo a craché son foutre en toi ? »
« Je vais vous écorcher vive, Valentina !!! Ça, j’en suis sûr, ça va me faire jouir !!! »
« Vois-tu, j’en doute, mon trésor… Mais ! Mais tu deviens tout dur, on dirait ! Qué hombre ! » se gaussa-t-elle en espagnol.
Je me mis à pousser des hurlements. C’était le moment le plus humiliant de toute mon existence. Mais à quoi bon protester de la sorte ? Je me sentais un tout petit peu plus vivant, certes, mais je restais toujours aussi faible. Boire le sang de cette petite fille n’avait servi à rien. Sinon à faire gonfler un organe idiot. J’allais rester un jouet entre les mains de Valentina pour l’éternité…
Cette démone, braillant mon prénom pour me rendre fou, ne s’occupait que du mouvement de son bassin sur mon sexe. Ses sens surdéveloppés ne l’avertirent pas du danger qui la menaçait. Qui nous menaçait tous les deux, selon toute vraisemblance.
Une ombre grandissait derrière elle… Il s’agissait d’un homme qui s’approchait en tapinois. À cet instant, force est de le reconnaître, la terreur me saisit. Mais aucun son ne sortit de ma bouche. L’attaque qui survint fut rapide et très violente. J’en eus un haut-le-cœur.
Les mains puissantes de l’homme s’abattirent de part et d’autre du visage de Valentina, qui eut tout juste le temps de pousser un hurlement d’effroi. Les doigts de l’agresseur transpercèrent la peau blême et pénétrèrent, avec une facilité déconcertante, la chair et le crâne, et il réduisit la tête du vampire en bouillie entre ses mains. Jamais, dans mes pires cauchemars, je n’aurais imaginé pareil spectacle. Des petits morceaux de chair et de cerveau, devenu de la marmelade, s’étaient répandus sur mon ventre. Les yeux et des dents aussi. Un œil roula à terre. Le second demeura sur mon nombril.
J’étais là, allongé, parfaitement impuissant et nu, avec mon membre toujours enfoncé dans le vagin d’un vampire dont le corps, gorgé de sang, pissait à gros bouillons par le cou. J’étais paralysé. J’allais, inévitablement, subir le même sort.
L’homme secoua délicatement ses mains afin de se débarrasser de la cervelle restée accrochée à ses ongles. À la suite de quoi, empoignant le corps atrocement mutilé de ma geôlière par l’épaule, il le souleva et arracha le cœur. Il écrasa l’organe atrophié dans sa main, et Valentina fut réduite en poussière. Elle avait finalement reçu le traitement qu’elle méritait, mais j’allais mourir, moi aussi. Je tentai de reculer, oubliant que je portais des entraves. Je me mis alors à tirer dessus comme un forcené afin d’échapper à cette bête féroce. Ce monstre fou !
Mon visage était couvert de sang et de larmes rouge vif qui s’accumulaient comme une coulée de cire sur une bougie. Je me mis à chialer et à appeler au secours. Si j’avais toujours été humain, je me serais pissé dessus.
L’homme en face de moi me considérait de toute sa stature. Une légère moue se dessina sur ses lèvres quand je tentai de donner un coup de pied dans son mollet.
« Ne m’approchez pas ! ordonnai-je en postillonnant. Retournez d’où vous venez, démon ! »
Bien sûr, il fit un pas en avant, puis il dit, on ne peut plus calmement : « Et il va faire ‘‘quoi’’, maintenant, le garçon ? »
Il croisa les bras, passablement contrarié par mon attitude de défi. Soudain, il se mit à humer l’air dans la grotte. Quelque chose, et je savais très bien quoi, avait attiré son attention. Il reporta alors un regard ombreux sur moi, fronçant fortement les sourcils.
« C’est toi qui l’as tuée ? »
J’étais terrorisé. Sa violence extrême m’avait traumatisé.
« Cette mégère, que j’ai éliminée, elle t’a forcé, n’est-ce pas ? Réponds-moi sans équivoque, s’il te plaît. »
J’acquiesçai et me mis aussitôt à pleurer, imaginant ma tête exploser entre ses mains. Ou sous son pied. Mais l’homme me sourit…
« Tu n’as plus à appeler au secours, désormais, dit-il en s’agenouillant devant moi, me tendant sa main droite. J’ai entendu tes appels désespérés, mon ami, comme un brouhaha constant dans ma tête, et je suis venu te délivrer. Tu ne risques plus rien, je te le jure. »
« Allez, prends ma main ! » m’encouragea le vampire qui me faisait face, majestueux dans un habit de brocart chatoyant.
« Allez-vous me détruire ? bredouillai-je, fébrile. J’aurais voulu l’être, mais je n’étais pas assez fort. »
« Te détruire ? dit-il en fracassant mes entraves. Mais pourquoi voudrais-je te détruire, nigaud ? »
« J’ai pris la vie de cette pauvre petite. Ça vous a contrarié, je l’ai lu dans vos yeux. »
« Tu as été contraint. Je n’ai qu’à te regarder et à constater la façon dont tu as été traité. Tu es brisé. »
« Mais, hum… Valentina, balbutiai-je. Vous avez… Sa tête… Vous lui avez… Je ne veux pas mourir de cette façon, pitié… Pas comme ça… »
Le vampire, semblant s’amuser de mon blocage psychologique, esquissa un demi-sourire et dit que je n’écoutais pas. Il ôta son ample cape et recouvrit mon corps nu.
« Tu n’as plus aucun souci à te faire. Cette Valentina ne te fera plus le moindre mal, désormais. Je ne te ferai aucun mal, moi non plus… Allez, ne tremble plus, s’il te plaît… (Il me fallut une minute entière pour me ressaisir.) Mon frère, dis-moi, tu sais que tu es… »
« …un vampire, oui, avec ce besoin de sang permanent. C’est épouvantable. Je ne pense qu’à ça. »
« Ce besoin de sang, comme tu dis, il n’est pas réellement permanent. Ce succube t’affamait, c’est tout… À partir de maintenant, je vais prendre soin de toi. Tu n’es plus tout seul dans la vie. Ton calvaire est terminé. »
La peur s’étant évaporée, je crevais d’envie de me jeter dans les bras du vampire afin de le remercier, de me sentir protégé, mais c’aurait peut-être été mal interprété. En tout cas, je devinai que tous n’étaient pas des monstres vicieux comme l’était feu Valentina.
Compte tenu de sa violence inouïe envers ma geôlière, ces derniers mots pourraient sembler incompréhensibles, cocasses, mais ce vampire-là semblait paisible et parfaitement éduqué. Il ne me voulait que du bien, et j’avais désespérément besoin d’y croire.
En surface, il devait avoir le même âge que moi, à peu près. C’est-à-dire dans les vingt-cinq ans. (Il en avait vingt-huit.) Il était incroyablement beau – bien plus que moi. Juste un tout petit peu plus petit : un mètre quatre-vingts. Son visage était encadré de longs cheveux châtain clair, à peine ondulés, retenus par un ruban de soie de couleur crème. Ses grands yeux verts, fortement expressifs, ourlés de très longs cils, me fixaient sans aucun battement de paupières. Sa bouche était plus fine que la mienne, davantage incarnate, mais identiquement sensuelle, et ce, malgré une mâchoire bien carrée. Une espièglerie semblant gravée dans les traits de son visage parachevait cet authentique chef-d’œuvre de la nature. Il était tout simplement divin.
Réalisant enfin que j’étais libre, je me mis à rire et à pleurer en même temps. Le vampire m’observait avec une véritable expression de bienveillance – jamais vue que sur le visage de maman Justine. Si, quelques instants plus tôt, j’avais éprouvé une ardente terreur, elle se transformait peu à peu en fascination… « Pourvu qu’il ne m’abandonne pas là ! Pourvu qu’il veuille bien rester avec moi quelque temps ! » répétai-je, comme une prière, dans ma tête. J’étais tellement affaibli… Pas seulement physiquement, mais aussi psychologiquement. J’avais tout perdu. Mon pauvre frère, pour qui j’étais un héros, avait connu une mort cruelle, et ma mère, elle, devait passer ses journées à se lamenter sur deux tombes vides. Cette pensée me transperçait comme une baïonnette. J’étais seul au monde. Non, plus maintenant ! J’avais appelé au secours, j’avais prié le Seigneur, et ce fut un vampire qui vint à ma rescousse. Un vampire qui m’appelait ‘‘mon frère’’. Comme quand je me blottissais dans les bras de ma mère, comme quand mon frère trouvait refuge dans les miens, j’aurais réellement voulu m’abriter dans ses bras sécurisants. Je me mis à pleurer à chaudes larmes. Encore…
« Cette sorcière t’a lourdement amoché, mon frère, mais je vais tout arranger. Fais-moi confiance. »
« Qu’allez-vous me faire ? » m’inquiétai-je.
« Bon ! En tout premier lieu, tu vas me faire le plaisir de me tutoyer, me pria-t-il. J’ai peut-être de beaux habits, mais ils ne font pas de moi un véritable noble. En outre, je ne suis pas ton père. »
Je m’abstins de répondre : « Dieu merci. »
« Je m’appelle Benjamin, dit-il. Benjamin Lebeau. Vas-tu prendre la main que je te tends, Virgile ? »
« Mon prénom… vous le connaissez !?! Comment pouvez-vous connaître mon prénom ? »
« Par les flammes de l’Enfer ! s’impatienta-t-il. Cela fait je ne sais combien de saisons que ce garçon est exsangue, et Monsieur préfère babiller ! On aura tout le temps de bavarder, Virgile, mais je connais ton prénom, oui. C’est bien ‘‘Virgile’’ qu’hurlait cette diablesse en s’acharnant sur ton pénis, non ? »
« Oui, déclarai-je, quelque peu honteux. Mon nom est Delecroix, Benjamin Lebeau. Delecroix et non Delacroix. Votre nom… vous le portez vraiment bien. »
« Ravi de faire ta connaissance, ‘‘et non Delacroix’’ ! me taquina-t-il. Pourquoi te sentir à ce point coupable ? En quoi es-tu responsable de ce qui t’est arrivé ? Il transpire tellement de souffrance par tous les pores de ta peau… J’en ai le cœur brisé. Je veux tout savoir de toi, mais je vais devoir te remettre sur pied, avant ça. Au fait, merci pour le compliment, mais cesse de me vouvoyer, s’il te plaît. »
Joe Valeska