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Un nouvel extrait d’"Ainsi, je devins un vampire", par Joe Valeska

Publié le par christine brunet /aloys

 

« Où suis-je ? demanda l’enfant tout en se frottant les yeux. Qui êtes-vous ? Où est maman ? J’ai froid. »

« Chut… murmurai-je. Tu es endormie. Ce n’est qu’un rêve. Juste un rêve, mon enfant. »

Elle me crut. On fait confiance aux adultes, à cet âge-là. On croit qu’ils ne mentent jamais. Or ils mentent sans relâche et sont très loin d’être des parangons de vertu.

« C’est vous, n’est-ce pas, le prince dans les histoires que me raconte ma maman, le soir ? Vous êtes si beau… »

« C’est bien moi, tu as raison, approuvai-je pour la rassurer. Seigneur, je voudrais mourir !!! »

Et elle vint dans mes bras d’elle-même. La serrant, je lui demandai de me pardonner et j’éclatai en sanglots.

Le rire sadique de Valentina couvrit mes plaintes. La petite fille sursauta, cherchant du regard qui pouvait être là avec nous dans son ‘‘rêve merveilleux’’.

Une nouvelle fois, je lui demandai pardon. Puis je mordis dans sa nuque en nous maudissant, Valentina et moi. La tête de l’enfant naïve pencha sur le côté. Peu à peu, ses couleurs s’effacèrent. Ce n’était plus qu’un cadavre. Je pleurais à chaudes larmes en serrant très fort le corps contre moi. J’étais désespéré, mais je me sentais ‘‘vivant’’. Elle avait réussi. J’étais devenu un monstre.

Valentina reparut. Elle ramassa le corps et le jeta au loin, violemment, sans même regarder où. Je restai coi devant son manque total de respect pour la vie.

« C’est bien… C’est très bien ! dit-elle. Et j’espère que tu seras un peu plus reconnaissant, désormais. »

Elle me fit tomber sur le dos et s’assit sur mon bassin, me maintenant cloué au sol, se mettant à lécher les larmes pourpres qui, déjà, se coagulaient sur mes joues. Soulevant sa robe, elle arracha ce qu’il restait de ma culotte de peau pour frotter son sexe contre le mien.

« Je vous tuerai !!! » vociférai-je en lui crachant au visage, me débattant comme un beau diable.

Le sang de l’enfant ne m’avait même pas apporté suffisamment de force. J’étais tellement anémié… J’avais été privé de ce qui m’était nécessaire depuis trop longtemps.

« Alors, ça t’a plu de boire le sang de cette enfant de gueuse ? s’exclama-t-elle, hystérique. Est-ce que ça t’a fait autant jouir que la fois où ce sale Théo a craché son foutre en toi ? »

« Je vais vous écorcher vive, Valentina !!! Ça, j’en suis sûr, ça va me faire jouir !!! »

« Vois-tu, j’en doute, mon trésor… Mais ! Mais tu deviens tout dur, on dirait ! Qué hombre ! » se gaussa-t-elle en espagnol.

Je me mis à pousser des hurlements. C’était le moment le plus humiliant de toute mon existence. Mais à quoi bon protester de la sorte ? Je me sentais un tout petit peu plus vivant, certes, mais je restais toujours aussi faible. Boire le sang de cette petite fille n’avait servi à rien. Sinon à faire gonfler un organe idiot. J’allais rester un jouet entre les mains de Valentina pour l’éternité…

Cette démone, braillant mon prénom pour me rendre fou, ne s’occupait que du mouvement de son bassin sur mon sexe. Ses sens surdéveloppés ne l’avertirent pas du danger qui la menaçait. Qui nous menaçait tous les deux, selon toute vraisemblance.

Une ombre grandissait derrière elle… Il s’agissait d’un homme qui s’approchait en tapinois. À cet instant, force est de le reconnaître, la terreur me saisit. Mais aucun son ne sortit de ma bouche. L’attaque qui survint fut rapide et très violente. J’en eus un haut-le-cœur.

Les mains puissantes de l’homme s’abattirent de part et d’autre du visage de Valentina, qui eut tout juste le temps de pousser un hurlement d’effroi. Les doigts de l’agresseur transpercèrent la peau blême et pénétrèrent, avec une facilité déconcertante, la chair et le crâne, et il réduisit la tête du vampire en bouillie entre ses mains. Jamais, dans mes pires cauchemars, je n’aurais imaginé pareil spectacle. Des petits morceaux de chair et de cerveau, devenu de la marmelade, s’étaient répandus sur mon ventre. Les yeux et des dents aussi. Un œil roula à terre. Le second demeura sur mon nombril.

J’étais là, allongé, parfaitement impuissant et nu, avec mon membre toujours enfoncé dans le vagin d’un vampire dont le corps, gorgé de sang, pissait à gros bouillons par le cou. J’étais paralysé. J’allais, inévitablement, subir le même sort.

L’homme secoua délicatement ses mains afin de se débarrasser de la cervelle restée accrochée à ses ongles. À la suite de quoi, empoignant le corps atrocement mutilé de ma geôlière par l’épaule, il le souleva et arracha le cœur. Il écrasa l’organe atrophié dans sa main, et Valentina fut réduite en poussière. Elle avait finalement reçu le traitement qu’elle méritait, mais j’allais mourir, moi aussi. Je tentai de reculer, oubliant que je portais des entraves. Je me mis alors à tirer dessus comme un forcené afin d’échapper à cette bête féroce. Ce monstre fou !

Mon visage était couvert de sang et de larmes rouge vif qui s’accumulaient comme une coulée de cire sur une bougie. Je me mis à chialer et à appeler au secours. Si j’avais toujours été humain, je me serais pissé dessus.

L’homme en face de moi me considérait de toute sa stature. Une légère moue se dessina sur ses lèvres quand je tentai de donner un coup de pied dans son mollet.

« Ne m’approchez pas ! ordonnai-je en postillonnant. Retournez d’où vous venez, démon ! »

Bien sûr, il fit un pas en avant, puis il dit, on ne peut plus calmement : « Et il va faire ‘‘quoi’’, maintenant, le garçon ? »

Il croisa les bras, passablement contrarié par mon attitude de défi. Soudain, il se mit à humer l’air dans la grotte. Quelque chose, et je savais très bien quoi, avait attiré son attention. Il reporta alors un regard ombreux sur moi, fronçant fortement les sourcils.

« C’est toi qui l’as tuée ? »

J’étais terrorisé. Sa violence extrême m’avait traumatisé.

« Cette mégère, que j’ai éliminée, elle t’a forcé, n’est-ce pas ? Réponds-moi sans équivoque, s’il te plaît. »

J’acquiesçai et me mis aussitôt à pleurer, imaginant ma tête exploser entre ses mains. Ou sous son pied. Mais l’homme me sourit…

« Tu n’as plus à appeler au secours, désormais, dit-il en s’agenouillant devant moi, me tendant sa main droite. J’ai entendu tes appels désespérés, mon ami, comme un brouhaha constant dans ma tête, et je suis venu te délivrer. Tu ne risques plus rien, je te le jure. »

« Allez, prends ma main ! » m’encouragea le vampire qui me faisait face, majestueux dans un habit de brocart chatoyant.

« Allez-vous me détruire ? bredouillai-je, fébrile. J’aurais voulu l’être, mais je n’étais pas assez fort. »

« Te détruire ? dit-il en fracassant mes entraves. Mais pourquoi voudrais-je te détruire, nigaud ? »

« J’ai pris la vie de cette pauvre petite. Ça vous a contrarié, je l’ai lu dans vos yeux. »

« Tu as été contraint. Je n’ai qu’à te regarder et à constater la façon dont tu as été traité. Tu es brisé. »

« Mais, hum… Valentina, balbutiai-je. Vous avez… Sa tête… Vous lui avez… Je ne veux pas mourir de cette façon, pitié… Pas comme ça… »

Le vampire, semblant s’amuser de mon blocage psychologique, esquissa un demi-sourire et dit que je n’écoutais pas. Il ôta son ample cape et recouvrit mon corps nu.

« Tu n’as plus aucun souci à te faire. Cette Valentina ne te fera plus le moindre mal, désormais. Je ne te ferai aucun mal, moi non plus… Allez, ne tremble plus, s’il te plaît… (Il me fallut une minute entière pour me ressaisir.) Mon frère, dis-moi, tu sais que tu es… »

« …un vampire, oui, avec ce besoin de sang permanent. C’est épouvantable. Je ne pense qu’à ça. »

« Ce besoin de sang, comme tu dis, il n’est pas réellement permanent. Ce succube t’affamait, c’est tout… À partir de maintenant, je vais prendre soin de toi. Tu n’es plus tout seul dans la vie. Ton calvaire est terminé. »

La peur s’étant évaporée, je crevais d’envie de me jeter dans les bras du vampire afin de le remercier, de me sentir protégé, mais c’aurait peut-être été mal interprété. En tout cas, je devinai que tous n’étaient pas des monstres vicieux comme l’était feu Valentina.

Compte tenu de sa violence inouïe envers ma geôlière, ces derniers mots pourraient sembler incompréhensibles, cocasses, mais ce vampire-là semblait paisible et parfaitement éduqué. Il ne me voulait que du bien, et j’avais désespérément besoin d’y croire.

En surface, il devait avoir le même âge que moi, à peu près. C’est-à-dire dans les vingt-cinq ans. (Il en avait vingt-huit.) Il était incroyablement beau – bien plus que moi. Juste un tout petit peu plus petit : un mètre quatre-vingts. Son visage était encadré de longs cheveux châtain clair, à peine ondulés, retenus par un ruban de soie de couleur crème. Ses grands yeux verts, fortement expressifs, ourlés de très longs cils, me fixaient sans aucun battement de paupières. Sa bouche était plus fine que la mienne, davantage incarnate, mais identiquement sensuelle, et ce, malgré une mâchoire bien carrée. Une espièglerie semblant gravée dans les traits de son visage parachevait cet authentique chef-d’œuvre de la nature. Il était tout simplement divin.

Réalisant enfin que j’étais libre, je me mis à rire et à pleurer en même temps. Le vampire m’observait avec une véritable expression de bienveillance – jamais vue que sur le visage de maman Justine. Si, quelques instants plus tôt, j’avais éprouvé une ardente terreur, elle se transformait peu à peu en fascination… « Pourvu qu’il ne m’abandonne pas là ! Pourvu qu’il veuille bien rester avec moi quelque temps ! » répétai-je, comme une prière, dans ma tête. J’étais tellement affaibli… Pas seulement physiquement, mais aussi psychologiquement. J’avais tout perdu. Mon pauvre frère, pour qui j’étais un héros, avait connu une mort cruelle, et ma mère, elle, devait passer ses journées à se lamenter sur deux tombes vides. Cette pensée me transperçait comme une baïonnette. J’étais seul au monde. Non, plus maintenant ! J’avais appelé au secours, j’avais prié le Seigneur, et ce fut un vampire qui vint à ma rescousse. Un vampire qui m’appelait ‘‘mon frère’’. Comme quand je me blottissais dans les bras de ma mère, comme quand mon frère trouvait refuge dans les miens, j’aurais réellement voulu m’abriter dans ses bras sécurisants. Je me mis à pleurer à chaudes larmes. Encore…

« Cette sorcière t’a lourdement amoché, mon frère, mais je vais tout arranger. Fais-moi confiance. »

« Qu’allez-vous me faire ? » m’inquiétai-je.

« Bon ! En tout premier lieu, tu vas me faire le plaisir de me tutoyer, me pria-t-il. J’ai peut-être de beaux habits, mais ils ne font pas de moi un véritable noble. En outre, je ne suis pas ton père. »

Je m’abstins de répondre : « Dieu merci. »

« Je m’appelle Benjamin, dit-il. Benjamin Lebeau. Vas-tu prendre la main que je te tends, Virgile ? »

« Mon prénom… vous le connaissez !?! Comment pouvez-vous connaître mon prénom ? »

« Par les flammes de l’Enfer ! s’impatienta-t-il. Cela fait je ne sais combien de saisons que ce garçon est exsangue, et Monsieur préfère babiller ! On aura tout le temps de bavarder, Virgile, mais je connais ton prénom, oui. C’est bien ‘‘Virgile’’ qu’hurlait cette diablesse en s’acharnant sur ton pénis, non ? »

« Oui, déclarai-je, quelque peu honteux. Mon nom est Delecroix, Benjamin Lebeau. Delecroix et non Delacroix. Votre nom… vous le portez vraiment bien. »

« Ravi de faire ta connaissance, ‘‘et non Delacroix’’ ! me taquina-t-il. Pourquoi te sentir à ce point coupable ? En quoi es-tu responsable de ce qui t’est arrivé ? Il transpire tellement de souffrance par tous les pores de ta peau… J’en ai le cœur brisé. Je veux tout savoir de toi, mais je vais devoir te remettre sur pied, avant ça. Au fait, merci pour le compliment, mais cesse de me vouvoyer, s’il te plaît. »

 

Joe Valeska

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Joe Valeska nous propose un nouvel extrait d’"Ainsi, je devins un vampire"

Publié le par christine brunet /aloys

 

Les heurts entre père et moi étaient fréquents. Plus il me reprochait mon attitude de je-m’en-foutiste, plus je m’acharnais à le contrer, avec un aplomb détestable. Je le singeais, systématiquement, faisant, ainsi, la joie coupable de mère dont je me voulais, quelque part, le vengeur pour ces années dissoutes dans l’ennui mortel qui la condamnait.

Pareille au phare d’Alexandrie, maman Justine était ma lumière au milieu des ténèbres. J’admirais son courage sans faille, inébranlable. Elle, elle admirait la soif inextinguible de liberté qui m’animait. Plus encore, elle admirait mon effronterie. Non pas qu’elle l’encourageait, loin de là, mais elle ne la réfrénait pas non plus, beaucoup trop heureuse de me voir sortir vainqueur de ces affrontements virils, débordant de testostérones, qui l’arrachaient à ses labeurs répétitifs. Pour pouvoir travailler la laine, il fallait bien sûr tondre les moutons, mais son travail ne s’arrêtait pas là… Il fallait entretenir la maison, le jardin, préparer la soupe, vider le gibier, battre le linge au lavoir et, surtout, supporter son rustre de mari désespérément insensible.

Tout ce qui comptait, pour père, c’était la terre. Il avait toujours le visage grave. Jamais un seul sourire n’éclaira ses traits. C’était un homme de granit, sans aucune éducation. Je ne me souviens pas qu’il ait versé une larme un jour. Pas même pour la naissance de Camille. Comment aurais-je pu éprouver de l’amour, du respect, pour un tel homme ? Il épousa mère par devoir, parce qu’il l’avait mise enceinte, et non parce qu’il en était amoureux. Il était incapable d’aimer. Incapable ! Jamais il n’eut la moindre petite attention à son égard, jamais le moindre geste tendre, jamais une parole gentille, même quand elle revenait du lavoir, épuisée, les mains meurtries par la morsure impitoyable de l’eau glacée de l’hiver, rapportant nos vêtements. Je le lui fis payer, jour après jour, n’espérant point qu’il réalisât qu’il avait une famille. Sa terre ! Sa sacro-sainte terre chérie ! Comme il dut être heureux quand on l’y mit, six pieds sous terre !

« Virgile, est-ce vous qui l’avez… »

« …tué ? terminai-je la question qu’allait me poser Lela. Non. J’étais très loin du Gévaudan quand il mourut. J’ignore même quand et comment il mourut. Certainement pas de rire, ce pisse-froid… »

« Et… votre maman ? »

« Ma mère ? » soupirai-je.

Incontestablement, mère était l’une des plus belles femmes du pays. Nul mot ne saurait rendre hommage à sa beauté naturelle. Plus important, elle possédait la vraie beauté : celle du cœur. Elle avait le sens du sacrifice, comme peu de gens l’ont. Son bonheur passait toujours après celui des autres. Elle souriait, sereine, envers et contre tous, le regard perdu vers l’horizon, guettant la venue d’un monde meilleur, sans jamais se plaindre. Père ne s’en rendit jamais compte. Je le hais, encore aujourd’hui, et je souhaite de tout mon cœur qu’il brûle dans le Phlégéthon !

Maman Justine était de petite taille, mince et très gracieuse dans ses chemises de lin, justaucorps et jupons blancs. Contrairement à la plupart des paysannes, elle ne portait jamais le traditionnel tablier et jamais, au grand jamais, le mouchoir noué autour du cou. Elle se voulait féminine. Assurément, elle était avant-gardiste. Ses cheveux auburn tombaient en cascade sur ses frêles épaules et encadraient un visage ovale et chaleureux. Ses grands yeux noisette l’éclairaient généreusement. Comme la mienne, sa bouche était fine, et son nez, lui, était joliment retroussé. Elle me faisait parfois penser à un petit écureuil. Maman Justine… Ma mère et mon amie. Comme j’envie les anges de l’avoir auprès d’eux. Car, jamais plus, nous ne serons ensemble. Jamais plus nous ne danserons, en chantant à tue-tête, au milieu des papillons multicolores, sur la route du midi. Jamais plus nous ne rirons pour de simples bêtises. A-t-on déjà vu un vampire gagner le paradis ? Pourquoi Dieu accepterait une créature telle que moi au sein de son royaume ? Courageuse maman Justine, bien plus forte que je ne le serai jamais.

 

Assise sur votre nuage, que pouvez-vous bien penser de votre fils, aujourd’hui ? Tu me manques tellement, maman… Ma maman Justine, mon cœur pleurera éternellement cette déchirure. Je me sens si seul, par moments ! Si misérable. Si démuni. Je voudrais parfois être mort pour de bon pour pouvoir être près de toi et de Camille.

Répondez-moi, Seigneur. Pourquoi avoir permis de telles choses ? La mort horrible de mon frère… M’avoir empêché, moi, de mourir… Je savais que je risquais d’infliger à mère la perte de ses deux fils, mais je devais venger Camille. Pourquoi m’avoir puni la seule fois de ma vie où je me conduisis en homme ? Pourquoi l’avoir punie, elle ? Je Vous hais, Seigneur… Je suis tellement en colère…

Je levai la tête et croisai le regard de Lela, troublée. Je ne suis pas un mort-vivant, non. Je suis toujours un homme, avec ses failles, sa mélancolie, sa colère, son amour. Benjamin me l’avait dit, je m’en souviens, mais j’avais obstinément refusé de le croire.

« Tu es toujours un homme, mon frère. Je puis te l’assurer. »

« Non, Benjamin… Je vais te le dire, ce que nous sommes : des démons échappés de l’Enfer ! D’horribles prédateurs ! Voilà ce que nous sommes… Des monstres assoiffés de sang ! Des dévoreurs de vies ! »

« Oh ! Tu as tort, mon pauvre Virgile ! C’est Dieu qui nous a abandonnés ici-bas à notre sort. Des démons ? Des monstres ? Peux-tu me regarder dans les yeux et me dire combien d’innocents le vil démon que je suis a tué ? Les humains, sois franc, ne chassent-ils pas, eux, pour le seul plaisir de donner la mort ? Tu acquiesces, je vois… Alors, ne m’ennuie plus avec ta morale surfaite ! Je n’ai pas demandé à être un vampire. Ni toi. Ne dis jamais plus des choses pareilles, s’il te plaît… »

À l’époque, Benjamin voulait me protéger de la vérité : qu’il y avait bien plus de vampires sans foi ni loi que de vampires gentilshommes. Nous ne nous disputions que très rarement, tous les deux. J’avoue que c’était toujours à cause de moi, car Benjamin n’était pas belliqueux. Toutefois, il savait se montrer brutal, si sa vie ou la mienne étaient menacées. Surtout la mienne. En fait, il était plutôt raffiné. C’était un gentleman fort bien éduqué, et fort drôle.

Nouvelles larmes.

« Vous me trouvez pathétique, n’est-ce pas, Lela ? Reconnaissez-le. »

« Pathétique ? Pas du tout. Je dirais… intéressant. »

« Vraiment ? trouvai-je étrange. Vous me trouvez intéressant ? Intéressant en quoi ? »

« Virgile, j’aimerais beaucoup… »

« Quoi donc ? Parlez… »

« Pénétrer les secrets de votre âme. Vous toucher. Effleurer votre peau, mais surtout toucher votre âme. Oui, je voudrais pouvoir toucher votre âme. Cette belle âme. »

« Ne me faites pas ça, Mademoiselle Jeannette. Je ne suis pas si fort… Je suis un château de cartes ! »

« Voilà pourquoi votre âme est belle, Virgile. »

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Laurent Dumortier nous propose un extrait de son recueil "H" : A

Publié le par christine brunet /aloys

 

A

 

Je rêve d'espace

De lieux interdits

D'arpenter le désert

D'ouvrir une parenthèse

 

C'était moi

Dans ton rêve

Je te vois

De ma tour de verre

 

Lumières diffuses

Tourbillons de poussière

Ton absence m'infuse

Un goût doux-amer

 

C'était toi

Dans mon rêve

Et je vois

L'aube qui se lève

 

Laurent Dumortier

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Ani Sedent propose une nouvelle présentation de son 3e opus des Chroniques de l'invisible : Les oiseaux de pierre

Publié le par christine brunet /aloys

 

 

Alors que le tome précédent (Chroniques de l’Invisible – Le sixième domaine) se refermait sur un dernier coup de théâtre, ce nouvel opus nous ramène aux origines de Valerian et son incroyable destin.

  Il nous conte une efflorescence pleine de magie et d’espoir, mais aussi les ambitions d’un redoutable mage noir prêt à tout pour plus de puissance et de pouvoir.

  Il nous entraîne, tout comme le sortilège niché au cœur de monstrueux oiseaux de pierre, dans un voyage inédit en compagnie de Valerian. 

  Entre présent et passé, il nous dévoile d’étonnants secrets et nous fait découvrir tout ce que Merlin, Hortie et d’autres encore mettent en œuvre pour retrouver le jeune chevalier.

  Il décrit la rencontre de Valerian avec une petite elfe qui cache bien son jeu, nous fait vivre une évasion hautement acrobatique, nous entraîne dans des duels épiques et nous emmène en cette sombre époque des guerres magiques à la rencontre de personnages aussi différents, attachants et déterminés les uns que les autres.  Saupoudré d’humour, il nous parle d’amitié et de devoir, mais aussi de magie blanche, de magie noire, d’aventure, de pégases, de dragons, de revenants, d’invoqués et même d’un terrifiant darken !

  Enfin, il suit Arcadius l’arrogant mage noir qui a défié des puissances dont il ne pourra esquiver le courroux… et cela risque de faire très mal !

 

‒ Extrait ‒

 

C’était vraiment déprimant ! La fenêtre avait beau être accessible, il était impossible de la franchir.  Valerian avait essayé à plusieurs reprises de s’y faufiler, mais un champ magique l’en avait empêché.  À chaque échec, le jeune chevalier se morfondait un peu plus.  Pourquoi un mage noir le retenait-il dans cette ruine, sur l’un des nombreux îlots constituant la dépouille de Bellépine détruite près de trois cents cycles plus tôt, pendant les guerres magiques ?

  Au cours de la journée, l’étrange serviteur était revenu lesté d’un chandelier et de recommandations dont la plus importante était : la déférence due au Maître. 

  Ce à quoi Valerian avait rétorqué que son maître aurait toute la déférence méritée quand ses amis viendraient le chercher ! Mais l’affreux petit bonhomme s’était contenté de ricaner avant de sortir les épaules secouées par le rire.  Depuis, alors que le temps passait et que Merlin ne s’était toujours pas manifesté, le jeune chevalier sentait le doute s’insinuer en lui.

  Comme pour le narguer, un petit rongeur se faufila dans un interstice, sous la fenêtre, là où la maçonnerie avait subi une forte pression et où les joints s’étaient effrités.  Les pierres s’étant légèrement soulevées, un petit trou laissait filtrer la lumière en un trait horizontal, comme un bâton de caramel qui aurait goût de liberté.

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Joe Valeska nous livre la Suite de l’extrait de Meurtres Surnaturels, volume III : Le Triomphe de Julian Kolovos

Publié le par christine brunet /aloys

 



 

– J’ai assisté à la crucifixion de Jésus de Nazareth, en 30, et c’était un bien triste spectacle, ça aussi. Dans leur bêtise et dans leur arrogance, les hommes peuvent être d’une cruauté incommensurable. J’ai pleuré, ce jour-là, et je n’ai plus jamais pleuré, depuis. Ou je ne m’en souviens plus, pour être tout à fait honnête. Mais je sais ce qu’est la tristesse. Et la joie, et l’amour, ajouta-t-il. Je comprends toutes les émotions et je les ressens de façon intense. Plus qu’un être humain.

La crucifixion de Jésus ? Excuse-moi, je n’avais pas l’intention de te blesser, assura Julian, un brin condescendant. Tout ceci est à la fois passionnant et incroyable… Charlemagne, Jeanne d’Arc, le massacre de la Saint Barthélémy, Louis XIV, la Révolution française… Jésus ! Mais si tu nous disais plutôt ce que vous venez faire ici, tous les trois. Car vous n’êtes bien que trois, n’est-ce pas ?

– Julian… hésita Janine. Pourquoi leur ferions-nous confiance ? Ces histoires sont passionnantes, quoique tristes, mais qui nous dit qu’ils sont pacifiques ? Les vampires sont puissants, tu sais… Ils pourraient nous manipuler. J’ai été manipulée. Et tu sais fort bien de quoi je parle…

– Mais vous avez mille fois raison, belle dame, répondit le vampire Valentin aux yeux vairons envoûtants. Rien ne peut vous garantir que nous venons en paix, c’est vrai, mais c’est pourtant le cas. Alcibiade est un être bon et généreux. Il nous a sauvés, Farah et moi, de nos existences au service d’un monstre. Cet homme est un saint. Un véritable saint. Je puis vous le garantir.

Alcibiade lui fit remarquer qu’il en faisait trop, comme toujours, et qu’il le mettait dans l’embarras.

Après une minute de réflexion, à se jauger les uns les autres, Julian réitéra sa question.

– Raka, susurra alors Alcibiade. Vous connaissez tous ce prénom, il me semble… Vos noms, ainsi que les nôtres, figurent sur sa longue liste noire. Elle vous en veut, pour diverses raisons, et elle nous en veut, pour d’autres. Mais son but ultime est l’éradication des vampires et des loups-garous. Car elle nous hait. Elle nous hait tous. (Il soupira et passa une main dans son admirable et longue chevelure blonde.) Savez-vous que ce sont malheureusement ceux de ma race qui sont à l’origine de la guerre vampires/sorcières ? leur demanda-t-il, morose.

– Oui, répondit Janine. Et tout changea dramatiquement ce jour-là, à cause d’un seul immortel. Shade était le grand maître des vampires. Le roi. Il assassina la femme qu’il aimait, Mana, qui était une puissante sorcière. J’ai lu cette histoire et bien d’autres dans les nombreux livres que possédait mon compagnon, Joshua, qui est mort.

– Les fameux livres des sorcières que l’on croyait perdus, murmura Alcibiade, détournant le regard. Mes sincères condoléances pour votre malheureux compagnon, dit-il enfin. Mais si des sorcières vengeresses détenaient le pouvoir…

– Raka nous détruirait tous, les uns après les autres ! conclut Julian, plongé dans de bien funestes pensées. Ça ne finira donc jamais…

– Tu as tout compris… acquiesça Alcibiade. Aussi, je vous propose un partenariat. Trouvons cette sorcière névrosée, où qu’elle se cache, et détruisons-la. Elle est le serpent à qui il faut couper la tête.

Le vampire vint alors se poser face à Julian. Sans ciller, il lui tendit la main. Adam, Max, Janine, Kristoff, Valentin et Farah les considéraient non sans appréhension.

Mais l’acteur, malgré ses doutes, accepta finalement cette main tendue et froide.

Adam entraîna prestement Julian à l’écart. Et tant pis si l’acte ressemblait à une franche hostilité. Pourtant, Alcibiade et ses camarades ne parurent guère étonnés par l’attitude du séduisant jeune homme aux cheveux roux.

L’impresario rappela à son frère de cœur la façon dont les vampires se nourrissaient. Il lui rappela également que le château abritait plusieurs êtres humains, dont son père et sa sœur. Autant de repas potentiels et faciles.

À ces mots, Julian frissonna. Troublé, il fixa Adam, puis tourna son regard vers Alcibiade. « Non… », songea-t-il. « Je ne ressens aucune perversion en lui, petit frère. Mais… on ne sait jamais. » Il alla prendre appui sur la ceinture de mâchicoulis comme s’il était tout seul sur le chemin de ronde. Adam l’imita et lui demanda avec insistance s’il avait compris les mots qui venaient de sortir de sa bouche. Pour toute réponse, Julian poussa un profond soupir de totale confusion.

Ils n’avaient pas remarqué qu’Alcibiade, nonchalamment, les avait rejoints. À son tour, un sourire un rien canaille aux lèvres, le vampire posa ses mains sur la ceinture de mâchicoulis. Quand il réalisa qu’ils n’étaient plus seuls, Adam tressauta. « Putain ! », lâcha-t-il. « Serais-tu un crocodile ? » Alcibiade ne put s’empêcher de ricaner, ce qui faillit faire sortir Adam, d’ordinaire très cool, de ses gonds.

Passablement mal à l’aise, Julian pria son ami de le laisser seul avec le vampire. À contrecœur, Adam obtempéra et rejoignit les autres à l’autre bout du chemin de ronde. Ils semblaient tous fort perplexes. Comme pour le rassurer, Kristoff posa une main sur l’épaule d’Adam, et la belle Farah lui dit qu’il avait tort de s’inquiéter, qu’ils savaient parfaitement se contrôler. Adam haussa les épaules et croisa les bras, attendant la suite de ce énième bouleversement avec impatience. « À quoi bon discuter à l’écart ? », fit-il remarquer. « Ne sommes-nous pas tous dotés d’une ouïe surnaturelle ? » « Voilà qui est tout à fait vrai, mon ami », chuchota Max, attentif.

– Ni moi ni mes amis n’avons l’intention de nous nourrir du sang des humains qui vivent dans ce château, Julian Kolovos, promit l’être immortel. Nous ne sommes pas du tout ce genre de vampires. Je déteste ce genre de vampires ! (Repassant sa main dans sa longue chevelure blond vénitien, il ricana de nouveau, un brin empoté.) Tu sais, je ne t’ai pas menti. Comme te l’a confirmé Farah, il y a quelques minutes à peine, je suis réellement fan. Quelque part, ça me blesse un peu que mon idole se méfie de moi. Cela dit, je comprends parfaitement, je ne suis pas un imbécile. J’agirais probablement de la même manière en pareilles circonstances.

– Je veux te faire confiance, Alcibiade… mais je ne te connais pas, c’est aussi simple que ça. Et puis, mon père et ma sœur vivent ici. Bien des fois, ces dernières années, nous avons flirté avec la mort. J’ai moi-même failli mourir dans des circonstances abominables, il n’y a pas un an. Je ne peux plus prendre des risques inconsidérés. Qui plus est, tu débarques avec tes amis en nous proposant une alliance au moment précis où nous parlions de Raka. La coïncidence est assez troublante.

– Tu as raison, et je ne t’ai pas tout dit, confessa le vampire. Mais je vais le faire, à présent, car je n’aime pas les secrets. Alors, écoute-moi bien sans m’interrompre, s’il te plaît. Tu es d’accord ? (Julian hocha la tête.) Merci… Ces derniers mois, Valentin, Farah et moi-même, nous nous sommes sentis observés. (Julian releva un sourcil.) Nous avons très rapidement découvert qu’il s’agissait de sorcières d’un rang inférieur envoyées par Raka, mais nous avons également découvert autre chose. Un soir, dans un bar de nuit de Sanremo, Valentin put entendre la conversation des créatures qui l’avaient suivi jusque-là. S’imaginaient-elles qu’il ne s’en était pas rendu compte !?! Stupides sorcières arrogantes… Nous avons donc appris que nous étions tous menacés : Valentin, Farah et moi, mais aussi tes amis et toi, Julian Kolovos, et d’autres encore… Alors, nous avons pris la décision qui semblait la meilleure : vous surveiller de loin, mais suffisamment près. Nous ne voulions pas nous ingérer dans vos vies.

 

À suivre… dans Meurtres Surnaturels, volume III :

Le Triomphe de Julian Kolovos

 

Merci pour votre lecture,

Merci à Christine,

 

Bien amicalement, Joe Valeska

 

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Joe Valeska nous propose un extrait de Meurtres Surnaturels, volume III : Le Triomphe de Julian Kolovos

Publié le par christine brunet /aloys

 



 

Ils se trouvaient présentement sur le chemin de ronde externe, couronné de lumière, côté façade sud. Au fur et à mesure de leur conversation, ils se rendirent compte qu’ils s’étaient tous sentis épiés, ces derniers temps. Pourtant, aucun d’entre eux ne s’était trouvé au même endroit sur la planète.

– Ce serait cette Raka qui nous surveillerait tous, Julian ? s’enquit Janine, perplexe, appuyée contre la ceinture de mâchicoulis.

– C’est possible… répondit ce dernier. Ce n’est pas encore terminé, j’en ai bien peur. Qui plus est, et cela peut paraître superficiel, je m’en excuse par avance, ma carrière et celle de ma sœur connaissent un nouvel essor. Je ne laisserai pas une tireuse de cartes venir tout nous gâcher.

– Et la meilleure défense, c’est encore l’attaque, n’est-ce pas ? dit Kristoff. Si tout le monde l’est, je suis prêt. Je suis sûr que c’était elle, Max, quand tu prenais des photos de l’opéra de Sydney. Elle était trop bizarre, cette femme. Et dire que j’avais mon billet d’avion pour partir à Shanghai… La peste soit des sorcières !

Max posa une main sur son épaule et le pria de se calmer.

– Certes, Kristoff ! sembla approuver Adam. La meilleure défense, c’est l’attaque. Mais il nous faut découvrir l’endroit où elle se cache, votre Raka… (Ses narines se gonflèrent brusquement.) Et je crois que nous ne sommes pas tout seuls ! s’exclama-t-il en faisant volte-face, toutes griffes dehors, imité par ses acolytes. 

– Diantre ! s’exclama alors l’un des étrangers. Voudriez-vous bien rétracter ces longues griffes réellement impressionnantes, s’il vous plaît, mes amis ? Car nous ne vous voulons aucun mal. Aucun. Vous avez ma parole.

Il devait être vingt-trois heures dix. Deux hommes et une femme venaient de se poser sur la toiture du château, provoquant confusion et stupéfaction. À peu de choses près, leurs vêtements étaient identiques : des bottes de cuir noires, des pantalons en cuir noirs, des chemises sombres et une blouse croisée de couleur blanche à manches bouffantes pour la femme. Julian devina immédiatement la nature de ces nouveaux venus.

Le plus jeune, qui devait avoir dans les vingt-cinq ans, ne pouvait être que leur chef. Il s’agissait d’un très bel homme au teint toutefois blafard et au regard mélancolique. Ses yeux étaient violets. Une couleur extrêmement rare. Il avait le nez grec et ses longs cheveux étaient couleur blond vénitien. Il mesurait un bon mètre quatre-vingt-dix. Ses épaules étaient larges et sa taille était fine – taillé en V, comme Julian. S’exprimant d’une voix suave, il dit s’appeler Alcibiade, fils d’Orion, Grec avec des origines celtiques. Puis il présenta ses compagnons : Valentin Pavesi, un séduisant quadragénaire Italien aux cheveux gris cendré mi-longs, aux yeux vairons, un mètre quatre-vingts, et Farah Watson, une superbe noire américaine d’une trentaine d’années, un mètre soixante-quinze, qui arborait une chevelure coiffée en très longues tresses. Elle portait des lentilles de contact de couleur bleue qui accentuaient sa beauté naturelle et la douceur de son visage.

Alcibiade leur expliqua qu’ils arrivaient de l’île Cocos, située dans l’océan Pacifique, au large du Costa Rica, où ils pensaient être à l’abri grâce à de très nombreuses grottes secrètes toutes plus magnifiques les unes que les autres.

En réalité, il utilisa l’adjectif « magique ». Des grottes toutes plus magiques les unes que les autres.

Leur nid. Leur repaire.

– J’ai déjà entendu parler de cette île… murmura Max. À ce qu’on raconte, elle regorgerait toujours des trésors cachés par plusieurs dizaines de pirates au fil des siècles écoulés. À ce qu’on raconte… insista-t-il, mais en employant un ton dubitatif.

– Tu es très bien renseigné, mais tu es encore loin de la vérité, mon ami, lui jura Alcibiade, vexé par le presque sarcasme de son interlocuteur. Il y a là-bas des richesses à n’en plus finir ! Des cascades de pièces d’or ! De bijoux ! D’objets de valeur les plus divers et des millions de pierres précieuses… C’est encore mieux que la caverne d’Ali Baba. Que cent cavernes d’Ali Baba !

– Je veux vraiment voir ça ! s’enthousiasma Kristoff, faisant rire le dénommé Alcibiade. Personne n’a envie de très longues vacances dans le Pacifique ? Non ? Il n’y a que moi ? O.K. Je me tais…

– Oui, tais-toi donc, le beau gosse, marmonna Max en lui adressant pourtant un demi-sourire bienveillant.

– Vous pensiez être à l’abri… se décida enfin Julian, qui ne prêta aucune attention à l’ardeur de Kristoff. Mais à l’abri de quoi ? À l’abri de qui ? À part la lumière du Soleil, le feu, la décapitation, un pieu dans le cœur, qu’est-ce qui peut faire peur à des vampires ? Car c’est précisément ce que vous êtes, n’est-ce pas ? Et qu’est-ce qui vous fait penser que vous êtes à l’abri, ici ? Je m’appelle Julian Kolovos, et nous sommes tous des loups-garous, Alcibiade, fils d’Orion. Voici Janine Richards, Adam Grant, Maximilian Carr et Kristoff Waaktaar. Ils sont mes amis et ma famille de cœur.

– Rien, c’est exact. Mais nous te connaissons tous, Julian Kolovos, répondit Alcibiade, nullement impressionné. Et nous sommes des vampires, comme tu l’as deviné. Je me suis toujours posé la même question à ton sujet. Est-ce que je peux ?

– Tu peux, consentit Julian. Mais je ne garantis pas de te répondre, si je n’aime pas ta question.

Décontenancé, le vampire hésita quelques secondes, mais il se reprit rapidement.

– Comment réussis-tu à conjuguer ta formidable carrière et ta nature de lycanthrope ? J’adore chacun de tes films, soit dit en passant, et encore plus Meurtres Surnaturels. L’éviction d’Anthony Allan Wolf a été une bonne chose. Son personnage était bien fadasse comparé à Phil Pendragon. Tu as élevé la série à un rang supérieur.

– Ah ! Je vois ! Monsieur pense faire ami-ami avec moi en flattant mon ego ? Mais c’était l’ancien moi, ça, mon grand.

– Oh… Je puis t’assurer qu’il est fan ! certifia la jeune femme noire. Je n’ai jamais vu un seul épisode de ton show, je suis désolée, mais il nous en parle tellement que je le connais par cœur. Phileas Pendragon par-ci… Phileas Pendragon par-là… Je suis sûre qu’il t’épouserait sur-le-champ, s’il le pouvait !

– Farah Watson !!! désapprouva Alcibiade, pendant que le vampire Valentin riait dans sa barbe. Tu veux me faire passer pour un parfait idiot devant Julian Kolovos et ses amis ou quoi !?! (Amusée, Farah lui tira la langue.) Quant à toi, Julian Kolovos… « Mon grand », dis-tu ? C’est assez amusant et quelque peu flatteur. Mais j’ai quel âge, d’après toi ? Essaie donc de deviner. Vas-y, fais-moi plaisir.

– Si tu poses cette question, c’est que tu dois être beaucoup plus âgé que tu en as l’air, suggéra Julian. Alors, tes vingt-quatre ans, tu les as depuis combien de temps ? Depuis… combien de siècles ?

– J’ai plus de deux mille ans, Julian Kolovos… On a fait de moi un vampire à l’âge de vingt-cinq ans, le corrigea Alcibiade. J’ai assisté à bien des évènements historiques. Des choses belles et des choses… beaucoup moins jolies. J’ai vu les hommes progresser et régresser en même temps. J’ai vu leurs créations, mais aussi la destruction. J’ai assisté au sacre de Charlemagne, la nuit de Noël de l’an 800. J’ai conseillé Jeanne d’Arc lors de la libération d’Orléans. Nous étions… Enfin… Elle n’était pas « pucelle », ricana-t-il, gêné. J’ai vu le massacre des protestants lors de la nuit de la Saint Barthélémy – les maisons pillées et les cadavres jetés nus dans la Seine. J’étais le confident du Roi Soleil. Dissimulé sous une longue cape à capuchon, j’ai assisté à la prise de la Bastille. J’ai…

– Tu as vu de tes propres yeux les grandes guerres contemporaines ? l’interrompit Maximilian, bien plus intéressé qu’il ne l’aurait admis.

– Tu parles de 1914-1918 et… d’Adolf Hitler, je suppose.

Max acquiesça d’un « ouais » fasciné. L’histoire le passionnait.

– J’ai dormi, avoua le vampire. La lassitude m’avait gagné. De 1914 à 1945, j’ai dormi. J’étais conscient de tout. Je percevais tout. Mais j’ai dormi. J’en étais arrivé à un point où il m’était impossible d’éprouver de la compassion pour les humains. Ils m’avaient écœuré. Je me suis donc retiré du monde pour ne pas devenir un monstre. J’aurais pu vider l’Allemagne de tout son sang à moi tout seul. Les innocents comme les troupes nazies. J’ai dormi, mais j’ai également ressenti le feu nucléaire sur Hiroshima et Nagasaki. Toutes ces âmes soufflées.

Il y eut un long silence après la lourdeur de ces derniers mots. Puis le vampire reprit la parole.

 

À suivre…

JOE VALESKA

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Didier Kelecom nous propose un extrait de son roman " Mystérieuse entrevue"

Publié le par christine brunet /aloys

 

Réveil douloureux

 

 

 

L’être est couché dans un lit, il dort. Son rêve l’entraîne dans une chambre close, sans porte ni fenêtre. Un sommier défoncé, au matelas poussiéreux, trône au milieu de la pièce. La chaise, sur laquelle repose une tunique, complète l’ameublement. Une lumière sombre inonde le sol.

Le rêveur se lève, fait quelques pas, touche la muraille, passe au travers pour se retrouver à nouveau à côté du lit.

La mémoire vide, l’esprit embrumé, l’être se recouche, se réfugiant dans l’oubli.

 

Le cauchemar se prolonge par une image incrustée profondément dans sa tête :

«  La tempête faisait rage, le vent hurlait à la mort, les lourds nuages menaçants filaient dans le ciel gris. Abandonné de tous, un petit garçon luttait pour sa vie, accroché au grand mât d’un voilier en perdition.

Il appelait sa maman en vain... »

 

Sous le choc, l’être s’éveille, saute du lit, crie :

  • Thanatos, Dieu de la mort, du renouveau et de la vie, sauve-moi !

Une fugace apparition se présente à son regard : un jeune page très beau. Un ange ?

À nouveau seul, bien réveillé cette fois, l’être contemple la pièce vide. Il veut sortir de cette chambre étouffante mais la porte est fermée à clé. Des pas se font entendre dans le couloir. Il appelle, frappe le battant alors que le bruissement s’éloigne.

S’acharnant sur la poignée, il tire de toutes ses forces. Brusquement la serrure cède, le battant pivote, le précipitant au sol. D’un bond, l’adolescent se relève. Il remarque une inscription à moitié effacée gravée sur le bois du battant : « Thanos d’Adrianos ». En dessous une plaque est apposée : « Interdiction d’entrer : fantôme ! ».

Qu’est-ce que cela veut dire ?

Le garçon se rappelle qu’il y a au bout du couloir une salle de bains pourvue d’une petite piscine d’eau de mer. Plonger et nager lui feront le plus grand bien. Il s’y rend. La porte est ouverte : un autre garçon y patauge déjà.

Un miroir orne le mur du fond. L’être se voit dans cette glace murale. Son corps nu est vert brillant, ses mains ont quatre doigts, ses pieds quatre orteils. Sa coiffe est noire et drue, ses yeux sont marrons. Bref, il se reconnaît dans ce reflet, celui d’un jeune Aquouarien typique, semblable au nageur qui ne le remarque pas, ne répond pas à ses questions, l’ignore...

Devant l’absence de réaction de l’autre, l’être retourne dépité dans sa chambre et s’assied sur le lit qu’il sent à peine. Est-il transparent ? Est-il un fantôme ?

Par petites touches, comme une peinture qui se construit, la mémoire lui revient lentement. Des souvenirs grossiers, des visages à peine reconnaissables, des sentiments flous, comme des dessins d’ordinateur aux pixels trop gros...

 

Thanos d’Adrianos, c’est lui, un enfant d’Aquouaria, la planète océane, un monde venteux. Hélios, le soleil qui l’éclaire, n’apparaît jamais, toujours caché par les nuages qui filent du Couchant vers le Levant. Le jour est long, la nuit interminable et pluvieuse.

Comme agent attaché à la couronne, il bénéficie de cette vieille mansarde blottie dans les combles du palais royal.

Il a cette impression terrifiante d’avoir dormi trop longtemps, des siècles.

Par la fenêtre l’adolescent contemple le paysage, la cour intérieure du palais éclairée par le jour naissant. De loin, le redoutable volcan Pyros s’impose au regard, menaçant, susceptible de détruire la capitale du royaume, Hislandopole, la grande ville portuaire de la mer du Levant. Le spectacle lui est familier mais diffère par de multiples détails.

Des fragments d’images de sa jeunesse lui reviennent : enfant, il a vécu chez les Océaniens de la mer du Couchant, dans le Grand Refuge. Sa vie s’est poursuivie sur le continent, aux Embruns. Orphelin, il n’a aucun souvenir ni de son père, ni de sa mère. Le duc Adrianos des Embruns, son protecteur, l’a adopté. Depuis, il se nomme Thanos d’Adrianos.

 

Soudain, deux portraits éclairent son esprit : une femme, un homme. Ils ont la peau blanche, les cheveux blonds, les yeux bleus. Ils sont d’un autre monde. Papa ? Maman ? Thanos se reconnaît dans le visage de cette mère, de ce père. Comme eux, il est Terrien ! Son nom est « Athanase Dumont ».

Il est l’enfant des étoiles, nommé ainsi car piégé par le pont des étoiles, cette machine à voyager dans l’espace. Venant d’ailleurs, il s’est retrouvé transporté sur un bateau en perdition, aux prises avec les tempêtes de la mer du Couchant, non loin du duché des Embruns.

 

À nouveau des bruits. Etouffant de solitude, Thanos sort de sa chambre et se place face au garçon sorti du bassin, bien décidé à se faire remarquer pour engager la conversation !

Celui-ci ne s’arrête pas et passe à travers lui !

C’est impossible. Serait-il un fantôme ?

Ne sachant que faire, Thanos se réfugie dans sa chambre. Enfermé dans sa solitude, il compte les secondes, les minutes, les heures. Sa vie déroule lentement devant ses yeux, lui révélant ses dernières aventures, puis c’est le mur : il n’y a plus rien à voir.

 

Un personnage étrange apparaît soudain au milieu de la pièce.

  • Qui êtes-vous ?
  • Je suis Norbert, l’intelligence artificielle. Je vis dans l’ordinateur central et toi, un être virtuel comme moi, tu existes dans ma mémoire ! Tu viens d’un fichier back-up, une sauvegarde informatique.
  • C’est impossible !

Moqueur, Norbert lui lance à la tête sa tunique et s’assied sur le siège ainsi libéré.

  • Rhabille-toi !

Rougissant, l’adolescent s’exécute. Une question lui brûle les lèvres.

  • Ce que je suis, est-ce la réalité ?
  • Oui, c’est la réalité... Ou plus exactement, c’était la réalité. Soixante-dix-sept années aquouariennes se sont écoulées entre la création de ta sauvegarde et ta résurrection, cinquante années terrestres.
  • Pourquoi cette résurrection ?
  • Parce que le roi me l’a demandé. Laisse-moi te raconter ce qui s’est passé pendant ta longue absence :

 

« Au décès du roi précédent, mort sans enfant, une assemblée constituante a désigné son successeur, un mauvais choix.

En effet, au fil des années, le pouvoir a corrompu l’esprit de ce monarque vieillissant qui cherche à se dupliquer en utilisant le pont des étoiles. Il a reformé une équipe, relancé les recherches. Le chef de l’État aspire à la vie éternelle, voulant passer d’un corps mourant à un corps numérisé et préservé dans la mémoire de l’ordinateur central. »

 

  • Norbert, tu n’as pas répondu à ma question ! Pourquoi moi précisément ?
  • Parce que tu es le seul à avoir été sauvegardé, corps et esprit, dans la mémoire de l’ordinateur grâce au pont des étoiles quand il fonctionnait encore. Les autorités m’avaient demandé de t’enregistrer avant que ton double physique ne parte en mission sur la Terre, ensuite pour Theirra. Il n’était pas sûr que tu réussisses et survives à ces expéditions.

Thanos se rappelle vaguement cette dernière mission : la conquête au nom des Aquouariens de Theirra la blanche, planète froide et vide d’intelligence. Ce monde s’était révélé être le futur de la Terre. Donc l’humanité avait disparu !

Trop sollicité, le pont des étoiles avait été détruit. Son double était resté là-bas, y était mort.

  • Quel est mon rôle ? Que dois-je faire ?
  • Tu dois tester et valider le bon fonctionnement de la nouvelle mouture du pont des étoiles. Nous vérifierons que le corps fourni par la machine est viable.
  • Les souris de laboratoire, ne les tue-t-on pas en fin d’expérience ?
  • Cela n’arrivera pas ! Tu es sous ma protection.
  • Tu n’as en principe pas voix au chapitre.
  • Tu te trompes : mon pouvoir est immense mais caché.
  • Tu vas donc me matérialiser ?
  • Oui !
  • Quand ?
  • Maintenant !

Norbert se lève, fait un signe à l’enfant des étoiles de le suivre. Il traverse sans encombre la porte fermée, suivi de près par le garçon. Instantanément, les deux êtres numériques sont dans la grotte laboratoire du mont Olympus, la montagne sacrée.

Thanos espère recevoir d’autres révélations sur son passé. Il en n’est rien : si ses souvenirs en tant que Terrien du nom d’Athanase Dumont couvrent une vie entière, ceux de son séjour sur Aquouaria sont incomplets. Il y a trop de lacunes !

  • Norbert, tu me caches des choses !
  • Certains faits laissent des traces traumatisantes. Tu n’en as pas besoin !
  • Qui est ce Johan Mercier ?
  • C’est celui qui est parti sur Theirra à ta place. Le back-up date d’avant ta dernière mission sur la Terre : récupérer un corps viable pour ton esprit. Les informations que tu pourrais recevoir ne sont pas de toi mais de ton double mort sur la planète blanche. À quoi sert d’en savoir trop ?

 

Sur l’estrade de l’esplanade face à la pyramide blottie au sein du mont Olympus, dans laquelle fonctionne le pont des étoiles, Thanos est couché à même le sol. Norbert se tient devant lui et commente le transfert :

  • C’est parti !

La figure de synthèse s’estompe lentement, se brouille, se dissout dans l’espace, laissant la place au vide, au néant... Thanos s’endort. Il lui semble encore entendre l’intelligence artificielle lui murmurer à l’oreille : « Dorénavant tu auras un passé, un présent, un futur. La vie reprend son cours, les temps changent. »

 

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Elle coule comment, cette rivière des filles et des mères ? Edmée De Xhavée

Publié le par christine brunet /aloys

 

C’est Zoya qui ouvre l’écluse pour remonter le temps « Ma grand-mère a tué un homme quand elle avait 25 ans. Je crois. Je crois qu’elle avait 25 ans mais je suis certaine qu’elle a tué un homme. Et moi je suis la fille de Dracula. Mais ça, j’y viendrai plus tard. Le début, ou plutôt la charnière de ce que je sais de notre lignée de mères et de filles, c’est ma grand-mère, qu’on appelait Ayette. Et nous pouvons remonter le courant de cette succession de femmes comme des saumons déterminés à transmettre l’avenir à leur descendance, sautant les cascades bouillonnantes pour atteindre la source, une source si éloignée d’ici que la plus ancienne dont j’aie connaissance se déversait dans le Saint Laurent, loin au Canada »

 

Belette se trouve à la source, c’est la mère des autres mères… «  J’étais membre de la tribu des Ojibwés, née au sud du Lac Supérieur. Ma mère et sa sœur, elles, avaient été enlevées aux Abénaquis… Et Guillaume Goguet m’a échangée contre du café et du sucre si je me souviens bien. Et peut-être bien un ou deux fusils. Le cheval, le mien, fut un cadeau de mon père, comme ma robe de daim blanche, frangée et perlée, fut celui de ma mère et sa sœur, l’autre épouse de mon père. Mes parents m’aimaient, et je les aimais. Et puis il m’a emmenée près de Chicoutimi, là où il était connu sous le nom de Bellefontaine, vers la cabane qu’il avait construite en bord de rivière, et qui serait ma maison … »

 

Belette passe la voix à sa fille, Enimie. «  J’étais bel et bien une Normande, c’est vrai. Solide, faite à la vie que mes parents m’avaient offerte et bâtie, mais rousse claire aux yeux verts comme mon père, et rien ne pouvait indiquer que j’avais aussi, pour moitié, du sang Ojibwé, ce qui était en revanche une évidence en ce qui concernait mes frères Odon et Lô, ce dernier ne trahissant d’ailleurs rien de ses origines françaises. On aurait juré un Indien pur (…) Moi, si adroite avec le fusil ou le couteau, très rapide à la course en mocassins dans les sous-bois ou sur les rives spongieuses de nos rivières, tellement habile à tuer les serpents d’un seul coup de bâton, j’ai, je pense, été capable de tenir secrets ces talents trop peu de mon sexe pour ce qu’on attendait de moi. J’ai excellé en science du ménage, me suis formée en algèbre, histoire de l’Église, toisé, philosophie, broderie, et la botanique et la littérature m’ont conquise et imprégnée… »

 

Arrive Mackie, Mackie qui s’éprend du Grizzly, le pire choix sans doute, mais source d’un amour merveilleux. « Il était très grand, bien fait, sans se tenir voûté vers les autres comme le font souvent les grands, encombrés de leur haute silhouette qui les éloigne des voix et complicités habituelles. Non, lui il était grand et le restait, ne concédait rien au petit monde qui l’environnait. À eux de lever le menton, d’allonger la voix, et de tendre l’oreille. Et ce n’était pas tout. Il était d’une telle beauté que ma gorge se serra de surprise, de peur presque, comme si je sentais une trappe se rabattre au-dessus de ma tête. Et ce n’était encore pas tout… car il tenait en laisse un loup somptueux, le pas trottant mais court, souple comme celui d’un chat, la large tête plate apparemment indifférente au monde excité qu’ils traversaient tous les deux, mais je le vis lever les yeux vers l’homme, sans soumission ni servitude, juste un regard serein de compagnonnage. Son pelage était gris clair sur les flancs et le ventre pour virer à un bel anthracite sur le dos et le dessus de la tête… »

 

Puis c’est Ayette, celle qui fait traverser l’océan à la rivière, celle qui vit sa mère, la belle Mackie, proie de la colère de ceux qui en voulaient au Grizzly, celle aussi qui tua un homme. « J’avais aimé ma mère, MacKenna. Je l’avais même vénérée, je crois. Comme tout le monde, papa pour commencer. Du moins je le croyais. Et puis pendant ces fameux trois ans je me suis tue, trois ans de colère contre lui : il n’était jamais là. Des hommes étaient venus, fous de rage contre lui, parce qu’il avait fait quelque chose de terrible et qu’on voulait le punir, lui. Mais voilà, lui, ce jour-là, il n’était pas là, comme toujours. Ainsi la vengeance qu’on lui destinait s’était-elle abattue sur nous (…)   Mon cœur a battu des ailes dans ma poitrine, quelque chose de moi s’est envolé, et je n’ai pas cherché à le rattraper. Je me suis assise, étourdie, consciente de mes pieds déchaussés, de la pointe plus foncée de mes bas cachant mes orteils, du lustre que donnait la soie à mes jambes dont il remontait le cours avec des yeux à la fois indifférents et captifs. Ma large jupe d’été, pourtant à mi-mollets que l’abondance de l’après-guerre encourageait après des années d’économie de tissu, reposait un peu repliée au-dessus de mes genoux en remontant sur la cuisse où la pointe d’une jarretelle rose pinçait le haut sombre du bas, et tout son visage s’était figé. Il s’est levé en me tendant la main, et tout à coup c’était la chose à faire, à vivre. J’ai mis ma main dans la sienne, ai enfilé mes chaussures et sans un mot je l’ai suivi dans le garage, où se trouvait la confortable Impala, le seul lieu où personne ne vaquerait à ses affaires sinon nous. »

 

Et enfin, Louise-Anne, mère de Zoya, qui rencontrera Dracula à Trieste… « Je me laissais pénétrer, doucement, par la mélancolie évidente de la ville, dont l’architecture et l’urbanisme témoignaient du rutilant passé austro-hongrois, aux coquetteries viennoises, mais que l’on aurait abandonnée à son sort comme une traitresse livrée à l’ennemi. La mer, souvent furieuse tout comme l’étaient les nues dans le ciel, la pluie et, en hiver, la neige et le froid, la montagne toute proche qui semblait vouloir repousser le tout dans les flots… Les cordes fixées aux murs des jardins et maisons par de gros anneaux de fer pour que lors des journées de Bora assorties de gel, on ne disparaisse pas dans une glissade mortelle. Les ruelles et escaliers partant à l’assaut des quartiers en hauteur, qu’à pied on ne montait ou descendait qu’en longeant les murs… et agrippant la corde (…) Ariane, tu devrais le voir, ce Vladimiro ! La dame de la pâtisserie l’appelle par son prénom, et il doit habiter assez près. Il surgit parfois en courant sous la pluie, avec un simple pull et des sandales, donc il ne peut arriver de loin, il ne doit pas s’en retourner loin… Tu devrais être contente pour moi, je suis enfin curieuse d’un garçon, enfin un homme, car tu me dirais encore que je cherche une figure paternelle : il doit approcher de la quarantaine, déjà d’épais fils blancs dans ses cheveux noirs, et cet air de jeunesse qui ne subsiste que parce qu’on a fini d’être trop jeune et qu’on se sent bien et fort. Sept mois que je suis ici, le printemps se termine en ondées et même grêlons, et moi j’attends mes samedis comme on guette la blancheur des perce-neiges. »

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'Au-delà des barreaux", deux nouveaux extraits proposés par Bernard Wallerand

Publié le par christine brunet /aloys

 

Extrait 4

 

        Alice se dit qu'elle en a parcouru du chemin pour arriver à réussir avec brio ses études de Master en Psychologie clinique. Elle voulait à tout prix travailler dans le domaine de l'enfance. C'était comme si c'était écrit dans ses veines. Ses parents, par tout l'amour qu'elle et son frère cadet Grégoire avaient reçu, lui avaient ouvert d'ailleurs la voie. Certes, Alice avait sûrement les aptitudes suffisantes pour réussir ses études. Elle qui, pourtant, avait eu tant de difficultés à assimiler les matières vues à l'école primaire. 

        Côté lecture, Alice se souvient des premières phrases écrites à la craie blanche par son institutrice sur le grand tableau noir, égayé de lignes rouges horizontales. Mélanie allait à l'école et la petite fille donnait une rose à sa Madame et lorsqu'Alice revenait de l'école, ses parents consacraient beaucoup de temps à lui faire relire les phrases nouvelles mais aussi les vocalises souvent dépourvues de sens et d'images. Dès lors, les "ma-me-mi-mo-mu" faisaient écho aux "la-le-li-lo-lu" et les oreilles d'Alice ne percevaient pas grand-chose de ce charabia sorti tout droit des manuels scolaires et décrété nécessaire à l'apprentissage de la lecture. De plus, cela s'était compliqué ensuite avec toutes les lettres inutiles et muettes, sans compter les voyelles qui se mariaient avec les consonnes pour former des sons ! A l'heure des devoirs, Alice se souvient qu'elle faisait souvent irruption dans la cuisine, son manuel scolaire en main.

        — Et ça Maman, comment dit-on ?

        — Ça, c'est "an"... comme dans le flan que je prépare en guise de dessert ! 

        Et Alice savait venir plusieurs fois de suite pour identifier les sons derrière lesquels les voyelles jouaient à cache-cache.

 

Extrait 5 

        Les jours où il ne pleut pas, au coin de la rue qui la mène chaque matin à la crèche, Madeline peut passer un peu de temps à la plaine de jeux. 

        Alice et Nicolas adorent la voir pousser les barreaux de la grille du parc communal, emprunter ensuite le petit chemin de graviers et courir, de ses petits pas alertes, vers la balançoire ou le toboggan. Au début, la petite fille n'était pas très rassurée de quitter le chemin de graviers pour aller sur la pelouse où sont installés les jeux. Elle n'avait jamais marché sur l'herbe. Alice et Nicolas ont toujours en tête l'instant où, pour la première fois, ses petits pieds incertains se sont posés sur le gazon. Madeline s'est alors accroupie, a caressé de ses mains l'herbe imprégnée de rosée et ensuite a commencé à cueillir, de ses petits doigts délicats, quelques pâquerettes. Et c'est à ce moment-là que le cœur d'Alice a craqué et qu'elle a dû retenir une larme au coin de l'œil. 

        — Fleurs pour Maman, a alors dit Madeline, en regardant Alice et Nicolas. 

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"Au-delà des barreaux" : deux extraits proposés par son auteur Bernard Wallerand

Publié le par christine brunet /aloys

 

Extrait 2

 

        Petites barres de désespérance marquées à la craie rouge sur le mur. Cela fait plus d'un mois qu'Anna purge sa peine alors qu'elle a à peine vingt ans et toutes les années devant elle. Comme le temps lui semble long ! Dans le brouillard de sa vie,  elle ne sait plus sourire à la beauté de l'astre d'or. Il pourrait pourtant l'aider à dissiper les nébuleuses obscures de son âme. Ainsi, les aiguilles de l'horloge lui semblent aimantées. De lever en coucher de soleil, elle compte les jours. Ils pèsent aussi lourd qu'un sac de charbon sur sa vie. Ils semblent narguer le sommeil de ses nuits. Celui-ci est aussi léger que les plumes de son oreiller. Il est entrecoupé de visions cauchemardesques. Elles lui donnent des sueurs froides. Son corps tout entier en frissonne. Il en hurle de peur au cœur des nuits étoilées trop souvent mouvementées. Ah ! Si seulement elle n'avait pas rencontré John !

 

Extrait 3

        Ainsi, le travail de fin d'études d'Alice l'avait amenée à la rencontre de toutes ces femmes qui étaient enceintes alors qu'elles venaient d'être incarcérées. Elle se revoit, son pas  si peu assuré, franchissant les innombrables portes de la prison, passant à côté des grilles et des barreaux. Elle revoit les visages de certaines, leur inquiétude au fond des yeux, leur tristesse palpable sur leurs lèvres pincées. Parmi elles, il y avait certes celles qui n'avaient pas désiré leur enfant. Elles appréhendaient donc la naissance... D'autres encore voulaient garder à tout prix leur enfant et conserver le lien sacré. A l'instar d'Alice, ces dernières savaient combien il était important de créer des liens avec l'enfant dès la naissance. Elles espéraient alors, au-delà des barreaux, recommencer une nouvelle vie avec leur bébé. Certaines, alors qu'elles venaient d'enfanter, dormaient avec la première couverture de leur enfant, respirant intensément son odeur. D'autres encore tiraient leur lait pour que leur bébé puisse en profiter. Elles fondaient alors de bonheur à l'heure des retrouvailles et lorsque leur petit ange les regardait dans les yeux, il était alors le plus beau bébé qu'elles n'avaient jamais vu. D'autres enfin imaginaient leur avenir. Dans le dialogue qui s'établissait petit à petit, elles leur disaient qu'elles allaient bientôt rentrer à la maison, que rien ne serait plus jamais comme avant. Et si d'aventure, le séjour n'en finissait plus et s'éternisait, elles affirmaient alors qu'elles étaient fières de leur enfant, fières de ses résultats à l'école. Et puis, il y avait celles qui étaient privées de leur progéniture. Elles affichaient la photo de leur trésor, au mur de la cellule et chaque soir, avant qu'elles ne s'endorment, leurs lèvres se posaient doucement sur les tendres joues de leur chérubin.

 

 

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