Joe Valeska nous propose un extrait de Meurtres Surnaturels, volume III : Le Triomphe de Julian Kolovos
Ils se trouvaient présentement sur le chemin de ronde externe, couronné de lumière, côté façade sud. Au fur et à mesure de leur conversation, ils se rendirent compte qu’ils s’étaient tous sentis épiés, ces derniers temps. Pourtant, aucun d’entre eux ne s’était trouvé au même endroit sur la planète.
– Ce serait cette Raka qui nous surveillerait tous, Julian ? s’enquit Janine, perplexe, appuyée contre la ceinture de mâchicoulis.
– C’est possible… répondit ce dernier. Ce n’est pas encore terminé, j’en ai bien peur. Qui plus est, et cela peut paraître superficiel, je m’en excuse par avance, ma carrière et celle de ma sœur connaissent un nouvel essor. Je ne laisserai pas une tireuse de cartes venir tout nous gâcher.
– Et la meilleure défense, c’est encore l’attaque, n’est-ce pas ? dit Kristoff. Si tout le monde l’est, je suis prêt. Je suis sûr que c’était elle, Max, quand tu prenais des photos de l’opéra de Sydney. Elle était trop bizarre, cette femme. Et dire que j’avais mon billet d’avion pour partir à Shanghai… La peste soit des sorcières !
Max posa une main sur son épaule et le pria de se calmer.
– Certes, Kristoff ! sembla approuver Adam. La meilleure défense, c’est l’attaque. Mais il nous faut découvrir l’endroit où elle se cache, votre Raka… (Ses narines se gonflèrent brusquement.) Et je crois que nous ne sommes pas tout seuls ! s’exclama-t-il en faisant volte-face, toutes griffes dehors, imité par ses acolytes.
– Diantre ! s’exclama alors l’un des étrangers. Voudriez-vous bien rétracter ces longues griffes réellement impressionnantes, s’il vous plaît, mes amis ? Car nous ne vous voulons aucun mal. Aucun. Vous avez ma parole.
Il devait être vingt-trois heures dix. Deux hommes et une femme venaient de se poser sur la toiture du château, provoquant confusion et stupéfaction. À peu de choses près, leurs vêtements étaient identiques : des bottes de cuir noires, des pantalons en cuir noirs, des chemises sombres et une blouse croisée de couleur blanche à manches bouffantes pour la femme. Julian devina immédiatement la nature de ces nouveaux venus.
Le plus jeune, qui devait avoir dans les vingt-cinq ans, ne pouvait être que leur chef. Il s’agissait d’un très bel homme au teint toutefois blafard et au regard mélancolique. Ses yeux étaient violets. Une couleur extrêmement rare. Il avait le nez grec et ses longs cheveux étaient couleur blond vénitien. Il mesurait un bon mètre quatre-vingt-dix. Ses épaules étaient larges et sa taille était fine – taillé en V, comme Julian. S’exprimant d’une voix suave, il dit s’appeler Alcibiade, fils d’Orion, Grec avec des origines celtiques. Puis il présenta ses compagnons : Valentin Pavesi, un séduisant quadragénaire Italien aux cheveux gris cendré mi-longs, aux yeux vairons, un mètre quatre-vingts, et Farah Watson, une superbe noire américaine d’une trentaine d’années, un mètre soixante-quinze, qui arborait une chevelure coiffée en très longues tresses. Elle portait des lentilles de contact de couleur bleue qui accentuaient sa beauté naturelle et la douceur de son visage.
Alcibiade leur expliqua qu’ils arrivaient de l’île Cocos, située dans l’océan Pacifique, au large du Costa Rica, où ils pensaient être à l’abri grâce à de très nombreuses grottes secrètes toutes plus magnifiques les unes que les autres.
En réalité, il utilisa l’adjectif « magique ». Des grottes toutes plus magiques les unes que les autres.
Leur nid. Leur repaire.
– J’ai déjà entendu parler de cette île… murmura Max. À ce qu’on raconte, elle regorgerait toujours des trésors cachés par plusieurs dizaines de pirates au fil des siècles écoulés. À ce qu’on raconte… insista-t-il, mais en employant un ton dubitatif.
– Tu es très bien renseigné, mais tu es encore loin de la vérité, mon ami, lui jura Alcibiade, vexé par le presque sarcasme de son interlocuteur. Il y a là-bas des richesses à n’en plus finir ! Des cascades de pièces d’or ! De bijoux ! D’objets de valeur les plus divers et des millions de pierres précieuses… C’est encore mieux que la caverne d’Ali Baba. Que cent cavernes d’Ali Baba !
– Je veux vraiment voir ça ! s’enthousiasma Kristoff, faisant rire le dénommé Alcibiade. Personne n’a envie de très longues vacances dans le Pacifique ? Non ? Il n’y a que moi ? O.K. Je me tais…
– Oui, tais-toi donc, le beau gosse, marmonna Max en lui adressant pourtant un demi-sourire bienveillant.
– Vous pensiez être à l’abri… se décida enfin Julian, qui ne prêta aucune attention à l’ardeur de Kristoff. Mais à l’abri de quoi ? À l’abri de qui ? À part la lumière du Soleil, le feu, la décapitation, un pieu dans le cœur, qu’est-ce qui peut faire peur à des vampires ? Car c’est précisément ce que vous êtes, n’est-ce pas ? Et qu’est-ce qui vous fait penser que vous êtes à l’abri, ici ? Je m’appelle Julian Kolovos, et nous sommes tous des loups-garous, Alcibiade, fils d’Orion. Voici Janine Richards, Adam Grant, Maximilian Carr et Kristoff Waaktaar. Ils sont mes amis et ma famille de cœur.
– Rien, c’est exact. Mais nous te connaissons tous, Julian Kolovos, répondit Alcibiade, nullement impressionné. Et nous sommes des vampires, comme tu l’as deviné. Je me suis toujours posé la même question à ton sujet. Est-ce que je peux ?
– Tu peux, consentit Julian. Mais je ne garantis pas de te répondre, si je n’aime pas ta question.
Décontenancé, le vampire hésita quelques secondes, mais il se reprit rapidement.
– Comment réussis-tu à conjuguer ta formidable carrière et ta nature de lycanthrope ? J’adore chacun de tes films, soit dit en passant, et encore plus Meurtres Surnaturels. L’éviction d’Anthony Allan Wolf a été une bonne chose. Son personnage était bien fadasse comparé à Phil Pendragon. Tu as élevé la série à un rang supérieur.
– Ah ! Je vois ! Monsieur pense faire ami-ami avec moi en flattant mon ego ? Mais c’était l’ancien moi, ça, mon grand.
– Oh… Je puis t’assurer qu’il est fan ! certifia la jeune femme noire. Je n’ai jamais vu un seul épisode de ton show, je suis désolée, mais il nous en parle tellement que je le connais par cœur. Phileas Pendragon par-ci… Phileas Pendragon par-là… Je suis sûre qu’il t’épouserait sur-le-champ, s’il le pouvait !
– Farah Watson !!! désapprouva Alcibiade, pendant que le vampire Valentin riait dans sa barbe. Tu veux me faire passer pour un parfait idiot devant Julian Kolovos et ses amis ou quoi !?! (Amusée, Farah lui tira la langue.) Quant à toi, Julian Kolovos… « Mon grand », dis-tu ? C’est assez amusant et quelque peu flatteur. Mais j’ai quel âge, d’après toi ? Essaie donc de deviner. Vas-y, fais-moi plaisir.
– Si tu poses cette question, c’est que tu dois être beaucoup plus âgé que tu en as l’air, suggéra Julian. Alors, tes vingt-quatre ans, tu les as depuis combien de temps ? Depuis… combien de siècles ?
– J’ai plus de deux mille ans, Julian Kolovos… On a fait de moi un vampire à l’âge de vingt-cinq ans, le corrigea Alcibiade. J’ai assisté à bien des évènements historiques. Des choses belles et des choses… beaucoup moins jolies. J’ai vu les hommes progresser et régresser en même temps. J’ai vu leurs créations, mais aussi la destruction. J’ai assisté au sacre de Charlemagne, la nuit de Noël de l’an 800. J’ai conseillé Jeanne d’Arc lors de la libération d’Orléans. Nous étions… Enfin… Elle n’était pas « pucelle », ricana-t-il, gêné. J’ai vu le massacre des protestants lors de la nuit de la Saint Barthélémy – les maisons pillées et les cadavres jetés nus dans la Seine. J’étais le confident du Roi Soleil. Dissimulé sous une longue cape à capuchon, j’ai assisté à la prise de la Bastille. J’ai…
– Tu as vu de tes propres yeux les grandes guerres contemporaines ? l’interrompit Maximilian, bien plus intéressé qu’il ne l’aurait admis.
– Tu parles de 1914-1918 et… d’Adolf Hitler, je suppose.
Max acquiesça d’un « ouais » fasciné. L’histoire le passionnait.
– J’ai dormi, avoua le vampire. La lassitude m’avait gagné. De 1914 à 1945, j’ai dormi. J’étais conscient de tout. Je percevais tout. Mais j’ai dormi. J’en étais arrivé à un point où il m’était impossible d’éprouver de la compassion pour les humains. Ils m’avaient écœuré. Je me suis donc retiré du monde pour ne pas devenir un monstre. J’aurais pu vider l’Allemagne de tout son sang à moi tout seul. Les innocents comme les troupes nazies. J’ai dormi, mais j’ai également ressenti le feu nucléaire sur Hiroshima et Nagasaki. Toutes ces âmes soufflées.
Il y eut un long silence après la lourdeur de ces derniers mots. Puis le vampire reprit la parole.
À suivre…
JOE VALESKA