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Coraline Buchet nous propose un premier extrait de son ouvrage "Une petite Belge en Aotearoa Nouvelle-Zélande"

Publié le par christine brunet /aloys

 

Nous entrons dans le sérieux du sujet par la lente montée à travers la gorge d’Harman. Pas de sentier. Morgan et Rob nous guident dans un zigzag entre les rochers. Nous devons traverser le torrent plusieurs fois. Bras dessus, bras dessous, je m’accroche à Morgan et plonge jusqu’à la taille dans une eau glaciale. Elle s’immisce dans mon legging, coule dans mes guêtres et finit en flaque dans mes bottines. Les pans de roche en surplomb font se réverbérer le son rugissant de l’eau. Le noir de la nuit amplifie les ombres. Je perds toute notion de la réalité, abrutie par le vacarme et par l’impression d’enfermement. Mon cœur s’emballe. Mes jambes brûlent tandis que mon corps a froid. Devant parfois sauter d’un rocher à l’autre, avec le sac à dos qui n’aide en rien, mon équilibre est mis à l’épreuve. J’hésite, maladroite, mon oreille interne perturbée par le son trop fort. Je fonds en larme plusieurs fois dans l’anonymat de la nuit. Ma fierté pourtant, me fait serrer les dents. Abby me serre contre elle à un moment donné et m’encourage. Notre progression est lente mais certaine. Lorsqu’enfin nous quittons la rivière pour marcher le long d’un sentier entouré d’herbe, les lumières du jour nous saluent. Quel soulagement ! Nous arrivons à Harman Saddle où nous faisons le plein d’eau et mangeons un bout. Le brouillard se lève lentement pour dévoiler le ciel bleu. Le soleil illumine alors les sommets nouvellement couverts d’une poudre blanche. L’atmosphère est immobile. Pas de neige. L’hiver est vraiment tardif. Les hommes s’inquiètent d’en avoir assez de l’autre côté de Whitehorn Pass. Mais il n’y a qu’en allant voir que nous le saurons. Leur regard se veut rassurant. Nous avons fait le plus difficile. Je reprends courage. Trempés, nous ne nous attardons pas.

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Ani Sedent nous propose un second extrait de son T2 des Chroniques de l'Invisible "Le sixième domaine"

Publié le par christine brunet /aloys

 

  Jusilor entraîna Medius et Mâchepierre vers leur bec d’or alors que les nacelles elfiques s’éloignaient déjà de l’îlot.  Ronan, Merlin et Hortie se précipitèrent vers les dragons-papillons.

  Ils rejoignirent rapidement la portion de ciel où Azimuth et son adversaire se livraient à un ballet meurtrier.  Feu contre… contre quoi exactement ? Hortie ne savait comment définir le nuage sombre que crachait le dragon d’ombre.   

  Plus petit qu’Azimuth il n’en paraissait pas moins dangereux.  Impression renforcée par ses écailles d’un violet presque noir, d’une matité étrange, qui semblaient absorber la lumière pour ne restituer qu’un souffle de ténèbres quand la livrée d’Azimuth, d’un beau vert bronze ponctué d’or, reflétait sans complexe – avec ostentation, diraient les plus sévères – l’éclat du soleil.

  La créature maléfique bougeait avec une agilité terrifiante, obligeant le grand dragon à effectuer des acrobaties de l’extrême.  Le pauvre Valerian, agrippé à sa monture, semblait en bien mauvaise posture.  Combien de temps allait-il tenir si Azimuth continuait à tournoyer ainsi ?

  – Mais qu’est-ce qu’il fait ? Il est fou ! s’écria Merlin en voyant son apprenti préféré ramper entre les crêtes de cou d’Azimuth.

  – Nooon ! s’exclama Hortie alors que le dragon effectuait un looping tout en crachant un geyser de flammes.  La fée cacha son visage entre ses mains, refusant de voir le jeune chevalier s’écraser au sol.

  – Il tient bon, la rassura Ronan avec une admiration certaine pour l’agilité du garçon.

  Les deux mages et la fée, toujours perchés sur le dos des dragons-papillons, s’étaient posés au bord d’une éminence rocheuse en croissant de lune.  Une rivière y finissait sa course, cascadant sur la roche telle une chevelure constellée de diamants dont les mèches blanches et soyeuses glissaient, un îlot plus bas, dans un lac aux reflets turquoise.  Un décor de rêve qu’ils auraient apprécié à sa juste valeur si le combat qui faisait rage juste au-dessus n’avait accaparé leur attention.

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Ani Sedent nous propose un premier extrait de son roman, le T2 des Chroniques de l'Invisible : le sixième domaine

Publié le par christine brunet /aloys

Valerian ouvrit les yeux…

– Je vous l’avais dit ! gronda une voix caverneuse.

…il n’allait pas mourir !

  –  Quelle idée de voler sur le dos de ce vilain poulet mangeur d’or !

  Azimuth se posa tout à côté d’un carré d’épines-rosettes urticantes et le jeune chevalier pensa qu’il n’avait jamais rien vu de plus réjouissant, hormis le dos du dragon s’interposant entre le sol et lui.

  – Eh ! Là-haut, héla Azimuth en roulant des yeux pour apercevoir son passager.

  Son appel demeurant lettre morte, le dragon s’ébroua, délogeant son hôte peu loquace.  Valerian, tiré de son hébétude, se retrouva assis dans l’herbe où il se vautra avec délectation.

  « Dame Hortense ! »

  À ce rappel soudain, le jeune chevalier posa un regard inquiet sur la musette qu’il agrippait toujours d’une main ferme.  Mais c’est dans l’autre main qu’il découvrit le petit paladin.  Il avait dû s’en saisir lorsque le bec d’or s’était dissous dans l’atmosphère, tel un morceau de sucre dans une tasse de thé.

  Horrifié à l’idée d’avoir serré le poing trop fort, Valerian posa doucement la petite créature inerte sur le sol herbeux.

  – Elle va bien ? s’enquit Azimuth.

  N’obtenant pas de réponse, le dragon posa un œil énorme et inquisiteur sur le paladin, tapota le petit corps d’une griffe délicate puis, après un instant de réflexion, il émit un rot sonore aux âcres relents d’ammoniac.

  – Îîîîîk !

  – Elle va bien, décréta-t-il.

  – Que… Que s’est-il passé ? bredouilla Hortie en retrouvant silhouette humaine.

  – Ce que je redoutais ! s’exclama le dragon, cette horrible volaille qui vous servait de monture s’est lâchement enfuie.

  En quête d’un avis plus objectif, la fée se tourna vers Valerian.

  – Mon sortilège manquait de puissance apparemment, constata-t-elle lorsque le jeune chevalier eut fini son récit.

  – Heureusement, je suis plus fiable que cette espèce de gallinacé aurivore, assura Azimuth.  Je ne me dissous pas dans l’éther, moi, se plut-il à ajouter.

  – Je dois bien avouer qu’en toute occasion, vous avez prouvé que vous étiez le dragon de la situation, admit volontiers Hortie, c’est pourquoi, je suis certaine que vous vous ferez un plaisir de nous emmener au Mont de la Licorne Noire.

 

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Luce Caron nous propose quelques extraits de son ouvrage...

Publié le par christine brunet /aloys

 

 

"Un clic pour une claque"

23h57. Dans trois minutes, elle coupera le wifi et entendra des hurlements, des insultes. Petit rituel du soir. 

23h59. L'angoisse monte. Le doigt sur la box, Agnès regarde l'horloge du salon. Crispée, redoutant la bombe prête à exploser, elle fait le décompte 5, 4, 3, 2, 1, elle appuie.

Silence.

Agnès tend l'oreille, mais ne perçoit rien d'autre que la trotteuse qui continue son chemin, imperturbable. 

 

"Dormir"

C'est toujours la même histoire. Je pense toujours que c'est le bon. Stupide. Illusoire. C'est d'ailleurs lui qui a suggéré que j'arrête la pilule.

 

"Une journée de trop"

C'est parti pour quarante-huit heures de débauche. En sortant du supermarché, Caroline écoute Billie Holiday dans la voiture, l'incarnation du génie défoncé. Elle l'adore. Dans le coffre, un paquet de pain de mie, des chips, une bouteille de gin et six bouteilles de vin. Tout doit disparaître. L'assouvissement de son désir approche. Euphorique avant même d'y avoir trempé les lèvres, elle pense au gin tonic qu'elle va concocter en arrivant chez elle et se demande s'il y a encore des glaçons dans le congélateur. [...]

Depuis quelques mois, elle ne sort plus. Elle n'a plus le courage d'attendre que ses copines aient fini leur verre pour en commander un nouveau. Ce soir, elle va continuer le livre qu'elle a commencé le week-end précédent, elle a bien l'intention de le finir avant que sa vue se trouble. 


"À poings fermés"

Durant les rares moment d'accalmie, elle se fait couler un bain et quand les pleurs reprennent, elle plonge la tête sous l'eau, éloignant l'écho insupportable de son impuissance. Elle se dit qu'il serait mieux sans elle. À quoi bon tant d'efforts pour maintenir la tête hors de l'eau...

 

LUCE CARON

 fcb (Luce Caron - Auteure) et insta (@luce.caron.auteure)

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En avant-première, un extrait de Meurtres Surnaturels, volume III : Le Triomphe de Julian Kolovos Par Joe Valeska

Publié le par christine brunet /aloys

 

 

– Ah ! s’exclama le shérif. Vous êtes là, Pendragon ! Saint-Amant, Camardon, je vous présente Phileas Pendragon. Il nous arrive tout droit du Royaume-Uni et il serait le meilleur enquêteur de son pays. Il va bosser avec nous quelque temps. Désolé de vous avoir demandé de nous rejoindre ici, Pendragon. Quand vous m’avez téléphoné, j’étais déjà en route. Vous avez trouvé facilement ?

Pendragon se contenta d’un : « Hum ! », puis il se dirigea vers la botte de celui qui serait identifié, plus tard, comme étant Nick Mann. Il inspecta la chaussure du mort quelques secondes, sans la toucher, puis, à son grand regret, il déclara d’une voix nette :

– La victime a été dévorée par un alligator de sept mètres. Peut-être huit. Bordel ! Vingt-trois pieds de longueur minimum.

– Mais non, c’est absurde… objecta Camardon. Ces affreux reptiles ne peuvent pas atteindre une taille pareille, voyons ! Jamais ! Sauf, peut-être, dans les films d’épouvante. Beau, oui, mais pas très réaliste !

Pendragon extirpa alors quelque chose de la botte. Une dent.

– Jamais ? Ça, c’est ce que vous croyez, répondit l’enquêteur. C’est très rare, mais on a déjà vu des spécimens de six mètres, et ceci, dit-il en montrant la dent de 2,36 pouces, c’est la dent d’un animal incroyable. Notre ami doit peser plus d’une tonne. Il est certainement plus grand que le Crocodylus anthropophagus, le plus grand prédateur rencontré par les premiers hommes.

– Est-ce que vous nous parlez d’un dinosaure, détective Pendragon ? hésita Saint-Amant. Encore un hurluberlu. Vous arrivez d’où, l’ami ? De Jurassic Park ?

– Je n’ai rien dit de tel, l’ami, mais je dis que la nature est pleine de surprises, bonnes ou mauvaises. Si un alligator géant se promène dans le Mississippi, ça va être l’hécatombe. Plus ils sont gros – il faut le savoir –, plus ils sont intolérants. Et notre Wally Gator, son territoire, il va le défendre. Mais ne vous inquiétez pas, je suis là. Les monstres, ça me connaît… Au fait, vous pouvez m’appeler Phil. Shérif Lafourche, une dernière petite chose, enchaîna-t-il. Je suis le meilleur enquêteur de mon pays. Vous avez utilisé le conditionnel…

 

Novembre 2018

 

Dans le petit salon, tassé dans un fauteuil en velours rouge, Adam sursauta quand il entendit la voix de Julian dans son dos. Il éteignit rapidement le poste de télévision, assez embarrassé, et se leva tout aussi vite, serrant la télécommande dans sa main droite, afin de faire face à son ami.

On aurait dit un adolescent surpris par ses parents au milieu d’ébats amoureux.

Julian, coiffé comme l’as de pique et mal rasé – il n’avait pas dû utiliser son rasoir depuis au moins une bonne douzaine de jours –, l’observa un moment avant de consentir à desserrer les dents. Il le fit précisément quand Adam, agacé par ce silence, allait lui-même ouvrir la bouche.

– Tu faisais quoi, petit frère ? lui demanda alors l’acteur, coupant son jeune ami dans son élan.

– Moi ? Rien de spécial… Je regardais… American Horror Story. Alors, comment tu te sens ? Ça me fait plaisir de te voir ailleurs que terré dans ta chambre. Ça te dirait d’aller faire un p’tit tour ? Je t’emmène où tu veux. On prend ma Corvette. Où voudrais-tu aller ? On fait c’que tu veux.

– Tu regardais Meurtres Surnaturels, menteur, répondit Julian sans émotion. L’épisode où je suis apparu, n’est-ce pas ? Tu fais ce que tu veux, tu sais… Tu n’as pas besoin de me ménager comme tu le fais. Je ne suis pas en sucre.

– Non, je le sais bien, d’Ju’. C’est que… j’aimerais tellement te revoir au sommet de ta forme. Tu me manques, mon frère. D’autre part, j’ai peut-être une piste.

– Je sais, Adam. Quant à ma carrière, elle ne m’intéresse plus. Tu parlais bien de cela, non ? Je suis mort, artistiquement. Mon retour dans Meurtres Surnaturels signifierait le boycott de la série. Ils n’ont qu’à rappeler cet empafé de Wolf et ressusciter Nick Mann. Je m’en moque. J’en ai fini avec le cinéma et la télévision.

– Arrête de dire que ta carrière ne t’intéresse plus, s’il te plaît. C’est un mensonge. Les choses vont finir par s’arranger, je te le promets. Va te raser, maintenant. On va aller faire un tour. Cela te fera le plus grand bien. Et à moi aussi…

Julian haussa les épaules et tourna les talons, bien décidé à retourner s’enfermer dans son antre.

– D’Ju’ ? Mais où est-ce que tu vas ? Mais réponds-moi, putain ! Et merde !

Furieux, le jeune homme le rattrapa et l’obligea à affronter son regard. Il hésita, mais il le fustigea. Comme Julian l’avait souligné, il n’avait pas besoin d’être ménagé.

– Tu veux que je te dise ? Tu commences vraiment à me casser les couilles, d’Ju’ ! (Julian se tint coi.) Oui, tu t’en prends plein la gueule sur Internet, c’est vrai… Mais tu as connu pire ! On a connu pire… Alors…

– Arrête, s’il te plaît, petit frère, s’impatienta Julian. Je ne suis pas d’humeur à écouter un sermon.

– Tu la fermes, maintenant, Julian ! s’énerva Adam. Tu vas monter te raser et prendre une putain de douche ! Parce que je te le jure, tu chlingues.

Prenant brutalement conscience qu’il commençait à déconner grave, mais blessé dans son amour-propre, Julian abandonna son ami sur un : « Je t’emmerde » tremblotant.    

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Micheline Boland nous propose un extrait du dernier recueil signé Louis Delville "La vraie vérité"

Publié le par christine brunet /aloys

 

 

Une seconde, une minute, une heure

 

Une seconde ! Voilà bien une expression galvaudée le commerçant pressé qui vous dit : "Je suis à vous dans une seconde" ou "Une seconde, j'arrive" et cela dure des heures…

Une minute, une belle unité de mesure pour les sociétés de téléphonie.

Taxation à la minute, dit-on. Taxation à la seconde, réclament les consommateurs  

Une minute pour dire tant de choses à l'être aimé ou une minute de silence, le onze novembre…

Une heure pour le repas de midi, une heure de sommeil, une heure d'attente à l'hôpital. Je me demande toujours si toutes ces heures sont identiques.  À l'école, il existe même des heures de cinquante minutes, c'est vous dire…

Une seconde, une minute, une heure ? Qu'importe, j'ai tout mon temps !

 

Louis Delville 

 

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Un quatrième extrait de Meurtres Surnaturels, volume II : La Chute de Julian Kolovos Par Joe Valeska

Publié le par christine brunet /aloys

 



 

Julian sortit de son Austin Martin V8 et Adam, de la Bentley de Francesco qu’il avait empruntée pour suivre son ami jusqu’au vieux cimetière de Barnes. Son propre véhicule avait catégoriquement refusé de démarrer. Peut-être aurait-il dû savoir interpréter ce « signe » ?

Les deux hommes, troublés par les événements qui venaient de se produire, se jetèrent des regards furtifs le temps de quelques secondes. Mais c’est Julian qui brisa le lourd silence gênant.

– Tu veux parler maintenant ou ça peut attendre qu’il fasse jour ? demanda ce dernier. Je suis prêt à tout te raconter.

– En réalité, je suis claqué, d’Ju’. Je crois que je vais aller me coucher sans même me déshabiller. Je n’en ai pas la force. J’ai réussi à conduire jusqu’au château, je ne sais par quel miracle, pour tout te dire. J’espère que Francesco ne m’en voudra pas trop d’avoir emprunté son bébé.

– C’est comme tu veux, soupira Julian. Dans ce cas, je vais vérifier que mon père va bien et je… Non… Je ne crois pas que je vais pouvoir dormir, cette nuit, non. Enfin, les quelques heures qu’il reste avant le lever du Soleil.

– Tu me raconteras tout, et je dis bien « tout », dans les moindres détails, plus tard, d’accord ? le pria Adam. Plus de secrets entre nous…

– Plus de secrets, non, lui promit Julian. Maintenant, va dormir un petit peu. Tu en as cruellement besoin.

Le jeune impresario hocha la tête et tourna les talons, prit le chemin en gravier. Bien malgré lui, il venait de se mettre à pleurer.

– Petit frère… murmura Julian.

– Quoi ? fit le jeune homme, s’immobilisant, ne se retournant pas.

– Je te demande pardon. Pour tout. Je n’ai jamais voulu te blesser.

À l’intérieur du château, l’un à la suite de l’autre, Julian et Adam montèrent le grand escalier en marbre de Carrare qui conduisait aux chambres. Avant de regagner la sienne, Julian pénétra dans la chambre spacieuse de son père et s’approcha de son lit en bois massif à pas de loup. Le paternel ronflait bruyamment. Julian sourit et quitta la pièce, rassuré.

Dans sa chambre, après avoir ôté ses chaussures et s’être déshabillé, avoir soigneusement rangé ses affaires, il vérifia, par habitude, sa messagerie. Plusieurs fois, sa sœur avait tenté de le joindre. Il s’allongea et écouta les messages. Le premier n’était qu’un simple : « Julian, tu es là ? » Même chose, à peu près, pour le second. Mais, dans le troisième, Ivana expliquait à son frère qu’elle serait de retour à Gillingham lundi, dans la journée.

Julian ne put s’empêcher de pester contre sa sœur… C’était précisément le jour où Lénora allait revenir au château dans l’espoir d’obtenir de l’acteur qu’il la suive loin de tout.

À Los Angeles, il devait être un peu plus de vingt heures. Il décida de l’appeler sans attendre…

Julian ? sembla s’étonner Ivana.

– Bonsoir, sœurette.

Je t’ai appelé plusieurs fois, mon frère. Tu as eu mes messages ?

– Évidemment… Pourquoi t’appellerais-je du Kent à plus de quatre heures du matin, sinon ? s’agaça Julian. Le tournage de ton nouveau film n’est pas achevé, si ? Que se passe-t-il ? Pourquoi rentrer si tôt à la maison ? Tu n’as pas rompu ton contrat, j’espère !?!

Mais pas du tout ! s’offusqua Ivana. (Et elle se mit à sangloter, exaspérant son frère encore un peu plus.) Je n’ai vraiment pas de chance, grand frère… Deux échecs consécutifs et ça, maintenant ! Ce n’est pas possible !

– Ça, quoi ? lui demanda alors Julian. Ivana, dis-moi ce qu’il s’est passé, à la fin !

Eh bien !!! Figure-toi que le tournage de Trapped a été mis en attente pour une durée indéterminée ! Esteban, c’est le réalisateur, tu sais, nous a dit de tous rentrer chez nous en attendant qu’on retrouve cet imbécile de Jerome. C’est Esteban qui l’a traité d’imbécile, hein ? Ce n’est pas moi.

– Attends… dit Julian en fronçant les sourcils. Est-ce que tu me dis que Jerome Wild a disparu ? On parle bien de la star masculine du film, n’est-ce pas, sœurette ?

Oui. On s’apprêtait tous à tourner une scène très importante, mais plus de Jerome… Disparu ! Andrew l’a cherché partout, Esteban aussi, mais non… Il n’était nulle part. Ni dans les studios de la Paramount ni à son hôtel. Volatilisé ! Comme s’il avait été enlevé par des aliens… Mon Dieu !!! s’écria-t-elle soudain. Tu crois que c’est ça, Julian ? Pauvre Jerome… Enlevé par des extraterrestres qui vont lui introduire des sondes partout dans le corps…

– Mais qu’est-ce que tu me racontes ? déplora Julian. Elle est encore dans ses délires à la con… Et la police de Los Angeles, qu’est-ce qu’elle en pense ?

La police ? Ah oui ! La police. Ils ont mis tout en œuvre pour le retrouver, bien sûr. Mais… Attention, c’est un secret ! Selon l’inspecteur chargé de l’enquête, Jerome a un passé de drogué… chuchota-t-elle. Il aurait déjà disparu des mois entiers sans donner la moindre nouvelle ni à sa famille, ni à ses amis, ni à son agent artistique. L’inspecteur prétend qu’on le retrouvera mort dans une ruelle sombre, cette fois.

– Mais c’est scandaleux de dire des choses pareilles ! Que ce soit vrai ou pas, d’ailleurs. Elle est en train de me raconter des conneries… Y a quelque chose qui sonne faux, dans sa voix… Et la police laisserait partir tout le monde ? Mais bien sûr… Je parie qu’elle a fait un caprice de diva et qu’elle m’invente une belle histoire pour que je ne m’énerve pas !

Parfaitement scandaleux, je suis d’accord ! Ce pauvre, pauvre Jerome… J’espère qu’il réapparaîtra vite. Mais je n’ai plus rien à faire à Hollywood, pour l’instant, moi, du coup. Papounet avait peut-être raison… Je n’aurais jamais dû accepter ce film.

– Et tu reviens lundi, donc. Hum… Si j’étais toi, je resterais à Los Angeles, Ivana. On ne sait jamais. Wild pourrait revenir d’ici deux ou trois jours, je veux dire. Il est peut-être au lit en compagnie d’une admiratrice, dans un hôtel quelconque. Ça m’est arrivé à moi aussi, tu sais, avant de rencontrer Ningsih…

Eh bien ! Je repartirai, ce n’est pas compliqué… C’est bien pour ça que les avions existent, non ? On dirait que tu n’as pas envie que je revienne, mon frère ? Tu as envie que je revienne, pas vrai ?

La petite maline… C’est l’évidence même, Ivana. Papa sera ravi, qui plus est. Tu lui manques tellement.

Oui, c’est ce que je pense, moi aussi. Je suis réellement impatiente d’être de retour à la maison. J’en ai soupé d’Hollywood !

– Moi de même, sœurette. Et merde !!! Sur ce, je vais te laisser… Il est vraiment tard, ici, ou tôt, et j’ai besoin de dormir un peu. Les dernières heures ont été éprouvantes.

Dans ce cas, repose-toi bien, grand frère. Et l’on se revoit d’ici peu. Je t’aime fort, fort, fort !

– Moi aussi je t’aime. À très vite. C’est bizarre… Elle ne m’a pas demandé des nouvelles d’Adam. Vraiment bizarre…




 

7



 

Julian se leva. Il enfila son pantalon de survêtement noir et alla retrouver Adam dans sa chambre.

– Nous avons un problème, lui dit-il.

Deux heures après les premières lueurs de l’aube, les deux comparses se retrouvèrent à l’orée de la forêt de sapins et de cèdres, derrière le château Kolovos. Julian portait son pantalon de survêtement et un débardeur d’une blancheur des plus éclatantes, et Adam, juste un pantalon de survêtement gris. Il préférait courir torse nu.

Ils commencèrent leur jogging au milieu des arbres majestueux.

– Donc, Ivana revient lundi ? On n’est pas dans la merde, d’Ju’, soupira Adam. Comment va-t-on faire ?

– Comme tu dis… Et, je ne sais pas, elle était vraiment bizarre au téléphone. Je crois que ma sœur me cache quelque chose, si tu veux mon avis.

– Tiens donc ! persifla Adam. Quelle surprise ! Un autre membre de la famille Kolovos qui aurait des secrets ? C’est on ne peut plus bizarre, effectivement.

– Te cacher ma véritable nature n’était en aucune façon un manque de confiance en toi, Adam. J’avais… (Il marqua une petite pause, baissa les yeux sur la litière forestière odorante.) J’avais peur.

– Et peur de quoi ? Que je te considère comme un monstre ? Que je mette un terme à notre amitié ? Oui, j’aurais eu peur. Oui, je me serais peut-être enfui. Mais j’aurais fini par réfléchir et par revenir, d’Ju’. Ce ne sont pas que des mots. Tu es ma famille. Francesco est ma famille. Ivana aussi est ma famille. Je te l’ai dit je ne sais combien de fois et j’aime à le répéter peut-être parce que je suis enfant unique… Tu es mon grand frère. Je t’aime.

– Tu vas finir par me faire pleurer, murmura Julian. On devient beaucoup plus sensible, avec les années, ne le sais-tu donc pas ? Si tu n’étais pas torse nu, mais surtout tout en sueur, je te serrerais dans mes bras. Moi aussi, je t’aime. Il n’y a aucune différence entre ma sœur et toi, Adam. Mais… qu’est-ce qui te fait rire ?

– Oh ! Mais rien… Rien du tout. Aucune différence entre ta sœur et moi, hein ? Tu me parles bien de la même fille qui se demandait pourquoi il n’y avait pas eu douze autres films avant Apollo 13 ? La même fille qui a crié au scandale quand est directement sorti Apollo 18 ?

Julian se mit à glousser, puis à rire de bon cœur. Heureusement que ce bon vieux Francesco ne se trouvait pas là !

– Ce n’est vraiment pas cool de se moquer d’Ivana de cette façon, Adam, tenta d’articuler Julian, les yeux plein de larmes. C’est ma sœur, tout de même !

– Non, c’est certain… Mais c’est un petit peu de ta faute, espèce d’hypocrite ! répondit le jeune homme qui peinait à reprendre son souffle. « Et que s’est-il passé entre Apollo 13 et Apollo 18, hein !?! Pff ! Y a même plus Tom Hanks ! », rappela-t-il, hilare, essayant d’imiter la voix d’Ivana.

– Mais tu vas t’arrêter, oui ? le réprimanda Julian. Allez, rentrons, maintenant… Une bonne douche, un bon petit-déjeuner copieux, puis je te raconterai toute mon histoire depuis le jour où Lénora m’a mordu…

 

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Un troisième extrait de Meurtres Surnaturels, volume II : La Chute de Julian Kolovos Par Joe Valeska

Publié le par christine brunet /aloys

 



 

L’endroit était d’un gigantisme indescriptible, mais il semblait aussi très ancien. On aurait dit qu’il s’étendait à perte de vue. Littéralement. J’allai prendre appui sur la balustrade ajourée en pierre, devant moi, afin de balayer les lieux du regard, lesquels étaient situés en contrebas. La balustrade courait sur tout un chemin dallé d’une largeur conséquente. Outre cela, ce chemin faisait tout le tour de la cavité souterraine qui s’offrait à mes yeux. Il n’était pas nivelé. À deux endroits, côté ouest et côté est, quelques marches permettaient de poursuivre sa route : trois pieds plus haut, à l’ouest, trois pieds plus bas, à l’est. Une petite coquetterie architecturale, sans doute. Et de nombreuses torches étaient accrochées sur tout le pourtour, de loin en loin.

J’admirai maintenant la demi-douzaine d’escaliers qui permettaient de descendre jusqu’au fond de la grotte. J’avais presque envie d’utiliser le mot royaume. Çà et là, des espaces de détente atypiques, puisqu’il s’agissait bien de cela, s’élevaient à différentes hauteurs. On y accédait grâce à des escaliers. Ces vastes espaces étaient eux aussi entourés de balustrades en pierre ajourées et reliés entre eux par des passerelles. C’était très Burtonesque. À première vue, tout était taillé dans la pierre, mais il y avait pourtant tout le confort moderne. En effet, chaque espace avait ses banquettes, ses poufs, ses tables et ses chaises. Il y en avait quatre, au total, très largement distants les uns des autres. Les points lumineux que je distinguais devaient être les flammes des bougies dans des photophores. Tout au fond, à l’angle nord-est, un gigantesque escalier remontait de la base jusqu’à un possible cinquième espace aménagé. Mais cet endroit était trop loin et mal éclairé pour réussir à deviner s’il était semblable aux autres. Il était plus élevé, aussi, et coupait le chemin de ronde interne. C’était peut-être là-haut que se trouvait le maître des lieux : Joshua.

Il y avait également pas mal de végétation. Du lierre grimpait et s’enroulait sur cinq piliers colossaux ornés de cannelures placés comme un cinq sur un dé, mais de façon beaucoup plus éloignée. Ils devaient avoir été construits pour soutenir la voûte de ce microcosme. Tout me semblait dément. J’avais du mal à en croire mes yeux, et des questions par dizaines se bousculaient dans ma tête. Par dizaines ? Non, plutôt par centaines ! J’étais assez curieux de connaître l’histoire de cet endroit.

Au milieu, un bar attenant se trouvait au pied du majestueux pilier central. Comme les espaces de détente alentour, il était tout autant atypique : en pierre et en demi-cercle. Mais le dessus du comptoir semblait en granit.

Sauf pour ce qui était de la musique, dont les boum ! boum ! répétitifs me tapaient passablement sur les nerfs, j’étais assez séduit. Certaines personnes dansaient, comme envoûtées par cette rythmique « années 1990 ». D’autres discutaient, se promenaient ou s’embrassaient.

– Ils possèdent sûrement leur propre réseau électrique… pensai-je. Ou des groupes électrogènes en quantité, ce qui serait quand même beaucoup plus logique. Ils semblent bien organisés, quoi qu’il en soit.

Je parcourus le chemin rectiligne se trouvant sur ma gauche. Lorsque j’arrivai tout au bout, je descendis un grand escalier en pierre qui serpentait, faisant glisser ma main sur la tablette de la balustrade. Gravés à la surface des marches, je remarquai une multitude de dessins et de signes qui m’étaient inconnus. Les spots qui balayaient les lieux de lumières multicolores ne m’incommodaient pas, mais la musique, agaçante à mon goût, faisait vibrer tout mon corps. Je n’avais que vingt-huit ans, à l’époque, mais cette musique, ce n’était pas pour moi. Mais alors, vraiment pas ! J’étais définitivement rock.

Les gens me dévisageaient et parlaient tout bas, je le vis bien, mais personne ne m’adressa la parole. C’était très bien comme ça… Était-ce tous des loups-garous ?

D’en bas, la grotte semblait encore plus haute. Je pus constater que la pierre était très soigneusement travaillée. Tout, des murs aux colonnes, avait été construit de façon très artistique. Probablement sur plusieurs dizaines d’années… Un véritable travail de titan.

Évitant de regarder quiconque dans les yeux, je me frayai un chemin jusqu’au bar, dont le comptoir était en granit noir du Zimbabwe. Je m’assis et commandai son cocktail le plus fort au barman, un grand gaillard aux longs cheveux châtain clair, éclaircis grâce à des mèches blond miel. Son âge se situait autour de vingt-cinq ans. Ses yeux bleu céruléen en amande me scrutèrent un petit moment, après quoi il me demanda si c’était moi, « l’humain ». J’opinai, le regardant non sans une certaine défiance. Mais il semblait réellement amical. Le genre de gars qu’on trouve immédiatement très cool.

Il posa un verre plein de liquide vert pâle devant moi, me disant que j’allais kiffer, mais il refusa de me dire ce qu’il y avait dedans, comme alcools, lorsque je lui posai la question.

– Fais juste confiance au barman… murmura-t-il en me faisant un clin d’œil.

J’appris que son prénom était Kristoff. Il jugea bon de préciser l’orthographe. Je lui donnai alors le mien, mais il répondit qu’il savait déjà.

Sirotant ma boisson – effectivement, je « kiffai » –, je me retournai pour observer discrètement les hommes et les femmes. Aucun n’était vêtu de façon extravagante. Ils avaient entre vingt et quarante ans. Certains étaient peut-être plus âgés, mais ils étaient beaucoup plus rares.

Kristoff perçut mon angoisse et me dit de ne pas m’inquiéter, que personne n’allait me sauter à la gorge et que nous n’étions pas dans un film d’horreur, mais dans une espèce de discothèque. Puis il se mit à rire. Je voulus bien sûr en apprendre davantage sur le Big Bad Wolf, mais le barman ne lâcha rien. Il ne savait peut-être pas grand-chose. Ou même rien. Il m’offrit un autre verre.

Au bout de dix minutes, une femme vint m’accoster. Grande, brune, des yeux noisette… Elle était divine.

– Je suis Janine, se présenta-t-elle d’une voix ténue. C’est moi qui suis venue jusqu’à votre appartement, à la demande de Joshua, glisser le plan sous votre porte. Vous avez résolu l’énigme de la croix celtique assez rapidement, j’ai vu… C’est très bien, ça. J’aime beaucoup vos reportages, au fait. Vous êtes très talentueux, Max.

– Merci pour le compliment. Vous m’observiez donc ? J’ai peut-être crié des obscénités, à un moment. Ce que je n’aurais pas fait, si j’avais su que…

– Que j’étais une femme ? se gaussa-t-elle. Ce n’est pas grave. Suis-moi, maintenant, je te prie. On se dit « tu », si tu veux bien ? Ce serait mieux.

 

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Extrait I de Meurtres Surnaturels, volume II : La Chute de Julian Kolovos Par Joe Valeska

Publié le par christine brunet /aloys

 

 

– Je te souhaite une bonne nuit, frérot, dit Julian. Ne t’inquiète surtout pas… C’est un très vieux château, et il y a des bruits, parfois, au beau milieu de la nuit. Nous, nous y sommes habitués, mais ça peut évidemment surprendre.

– Je n’ai pas peur des fantômes. Ne t’inquiète pas, toi non plus… badina Adam. Sur ce, bonne nuit, d’Ju’. See you tomorrow !

Quand Adam eut refermé la porte de sa chambre, Julian fit marche arrière, redescendit les marches de l’escalier quatre à quatre et se dirigea, illico presto, vers le vestibule. Là, il poussa une porte relativement discrète et monta l’escalier en colimaçon de la tourelle, dont les marches avaient été taillées dans la pierre. Il se figea à mi-chemin, car une drôle de silhouette semi-transparente, indolente, le précédait. Elle montait tout doucement. Sur ses gardes, il la suivit.

Arrivée tout au sommet de l’escalier, la silhouette traversa sans peine la porte en bois qui lui faisait face. Julian, méfiant, accéléra pourtant le pas, puis tourna la poignée. Sur le chemin de ronde externe, côté façade sud, la bien étrange silhouette s’était immobilisée au beau milieu du chemin. Elle humait l’odeur d’agrumes des aiguilles du sapin pectiné qui dominait, à l’est.

Julian s’approcha et lui commanda de se retourner, ce qu’elle fit.

– Vous ? murmura-t-il. Je n’avais rien imaginé, j’en étais sûr !

Ce fantôme, il le reconnaissait. Il l’avait vu plusieurs fois, il y a quelques années. Ornella aussi, l’avait vu. Il s’était présenté sous le nom de Jiminy. Mais lorsque Daphné, quand elle tomba le masque le jour des vingt-sept ans d’Ivana, leur révéla qu’ils ingéraient des doses massives de vigabatrine, ainsi que des psychotropes et des corticoïdes, depuis de longues semaines, il avait fini par mettre les apparitions ponctuelles dudit Jiminy, comme celles de Jacobo Kolovos ou de la Mort, sur le compte des effets secondaires de ces produits.

Julian et le fantôme se rejoignirent et se scrutèrent longuement.

– Je te connais… dit le fantôme, s’exprimant d’une voix profonde. Je me souviens de ton visage.

– Je vous connais aussi, Jiminy. Pourquoi êtes-vous ici ? J’ai du mal à croire que vous êtes bien réel. Je pensais avoir tout imaginé…

– Et toi, alors ? Que fais-tu là, sur ce chemin de ronde ? demanda à son tour le fantôme. Dis-le-moi.

– Je dois protéger les miens et toutes les personnes qui vivent dans ce château, répondit Julian, sans ambages. La toiture me semblait une position stratégique. Mais je vous repose la question, Jiminy : pourquoi êtes-vous ici ? Et je ne parle pas du chemin de ronde…

– Jiminy ? réfléchit le fantôme. C’était bien mon prénom, je m’en souviens. Mon esprit était quelque peu embrumé, lors de notre première rencontre. Je m’appelle Jiminy MacCorkindale. J’étais le timonier sur le Theϊκόs Kolovos. Nous étions en l’an 1842.

– Le Theϊκόs Kolovos ?

– C’est bien ça.

– Le navire de Jacobo Kolovos ?

– Oui. Nous avons péri, je crois… Le Triangle… Aucun survivant…

– Vous m’en voyez désolé, dit Julian. Mais je…

– Une femme ! s’écria le fantôme.

– Une femme ? répéta Julian.

– Il y avait une femme, oui. Elle était rousse.

– Rousse ? frissonna Julian. Des cheveux orange…

– Rousse, en effet.

Julian posa ses mains sur la ceinture de mâchicoulis, perturbé par ce qu’il venait d’entendre. Une femme aux cheveux roux. La femme aux cheveux orange. Absurde ! Simple coïncidence ! Le fantôme parlait de l’an 1842. Nous étions le 5 août 2018.

Il se retourna prestement vers Jiminy MacCorkindale et se montra plus pressant.

– Je vous ai posé une question, Jiminy. Répondez, s’il vous plaît… Pourquoi êtes-vous ici ? Il me faut savoir.

Le fantôme le considéra un long moment, ne faisant qu’accroître l’impatience peu contenue de Julian. Son sourire affable alternait avec une expression beaucoup plus sinistre, mais non menaçante – il affichait seulement une profonde inquiétude, comme s’il redoutait d’avoir à prendre la parole, de dire ce qu’il savait, ou ce qu’il soupçonnait… La consistance incertaine de son corps spectral variait d’une quasi transparence, laissant filtrer les lumières, à une apparence humaine presque totale. L’homme, qui devait avoir dans les quarante-cinq ans à sa mort, était assez quelconque. Son visage n’avait rien d’exceptionnel. Il avait les cheveux blancs, il était grand, quelque peu bedonnant, mais la créature qu’il était devenu était assurément éblouissante. Magique…

Pourtant, l’heure n’était nullement à la pâmoison.

– Des forces obscures nous ont réveillés, lâcha le fantôme. Encore une fois… C’est à cause d’elles que les minces barrières entre le monde matériel et l’au-delà sont en train de céder.

– Nous ? fit Julian. Cela veut-il dire que vous n’êtes pas le seul ici, Jiminy ?

– À ma connaissance, je suis le seul à avoir passé la brèche… Mais d’autres sont attirés vers votre château, et leurs intentions ne sont pas des plus pures…

– Et ces forces obscures… Pouvez-vous m’en dire un peu plus ? Je dois savoir ! Je dois être prêt !

– Je crois que tu sais déjà tout ce qu’il y a à savoir, dit le fantôme. Il faut que tu fasses très attention, Julian Kolovos… Car chaque créature a son antagoniste, et ton antagoniste sera très bientôt là, j’en ai bien peur… Non ! Attends ! Je sens quelque chose… Quelque chose, oui… Ça approche ! C’est sombre ! Et ça déborde de haine.

Julian écarquillait les yeux. Son cœur allait exploser. Il n’avait pas peur pour sa vie. En aucune façon. C’était bien pour les siens et pour tous les êtres humains innocents, présents entre les murs du château, qu’il tremblait. Il était un loup-garou puissant, mais il n’était pas une armée à lui tout seul…

Julian regarda le fantôme de Jiminy MacCorkindale s’évanouir, puis il bondit, avec agilité et grâce, sur la toiture à deux pans avec croupes, constituée de pierres naturelles grises, à peine bleutées. Là, il tourna avec frénésie sur lui-même, se sentant frôlé à maintes reprises… Il bondit sur le toit conique d’une tourelle, puis de nouveau sur la toiture, puis au sommet d’une autre tourelle.

– Montre-toi ! hurla-t-il. Il est inutile de te cacher, j’ai reconnu ton odeur. Montre-toi ! Et sur-le-champ !

Il bondit une nouvelle fois et atterrit sur le chemin de ronde. Il se redressa et se retourna prestement, les yeux jaunes et brillants. La femme à la chevelure orange lui faisait face. Elle était troublante.

– Ne cesseras-tu donc jamais de me harceler ? lui cria Julian. Depuis des années, je sens ta présence derrière moi !

– Un peu de calme, s’il te plaît, mon joli loup, murmura la femme, d’une voix étonnamment suave. Il n’est pas très sain, pour la santé, de s’emporter de cette façon, ajouta-t-elle sur un ton railleur.

– Tu te moques de moi ? fulmina Julian. Fais donc ça, si ça t’amuse, mais jamais – jamais, tu m’entends ? – tu ne toucheras à un seul cheveu de mon père, de ma sœur ou de mon frère, car tu mourras bien avant, tu peux en être sûre ! Je t’égorgerai !

– Vraiment ? fit-elle alors, s’approchant sans crainte. Et que crois-tu pouvoir faire, mon joli loup, alors que nous sommes encore loin de la prochaine pleine lune ? Tu as développé les dons que je t’ai donnés, bravo, et tu les maîtrises peut-être incroyablement bien, aujourd’hui, mais je suis tout de même ton aînée, ne l’oublie pas. Je ne parle pas de l’âge précisé sur mon acte de naissance – tu l’auras compris, je suppose ? Je suis beaucoup plus puissante que toi, mon joli loup. Range tes crocs et tes griffes. C’est très viril, c’est certain, mais range-les, je te le conseille vivement. Si ça peut te rassurer, je n’en ai rien à faire de ta famille, de ton impresario, que tu appelles ton frère, ou de quiconque dans ce château. Ils n’ont rien à craindre de moi. Ce que je veux, c’est toi !

 

Toi tout seul !!!

 

 

 

 

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Second extrait "côté Vincent"... de l'ouvrage de Bernard Wallerand "Dans la soupente des Artistes"

Publié le par christine brunet /aloys

 

Côté Vincent

 

 

Désormais, Vincent n'ira plus se balader le long des chemins de halage, qui bordent le canal d'Arles. Il a pourtant si souvent emprunté le pont-levis de Langlois, au pied duquel les laveuses rincent les draps blancs avant de les faire sécher au soleil énorme de midi. Dans la chambre de l'hôpital, Vincent semble sur l'autre rive. Son existence à la dérive ne verra plus les matelots qui remontent, le cœur battant, avec leurs amoureuses vers la ville d'Arles. Marchant sur les sables mouvants de son existence, il se revoit sur la plage de Saintes-Maries-de-la-Mer... Le ciel d'un bleu profond, d'un bleu outremer a désormais fait place à la grisaille. Les barques se sont échouées sur le sable humide et figé. Celle qu'il a baptisée "Amitié" semble désormais se prénommer "Regrets". Ces barques sans capitaine ne prendront plus la mer. Elles n'affronteront plus les vagues de la Grande Bleue et les tempêtes soudaines. Le village de pêcheurs, quant à lui, pleure l'artiste qui divague et est tourmenté par son geste insensé qui l'a embarqué dans cette mouvance dont il ne peut s'extraire et qui lui confère ce vague à l'âme.

 

Bernard Wallerand

Publié dans extraits, Présentation

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