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"L’étrange décès de Jeff Niessen", une nouvelle en épisodes signée Carine-laure Desguin - 5

Publié le par christine brunet /aloys

 

 

   Judith, c’est de la folie … tu as traversé seule toute la ville …  et à cette heure tardive en plus … le mot couvre-feu te serait donc inconnu ? dit-il sur un ton calme et bienveillant, au grand étonnement de l’aventurière qui ne répond pas et hausse les épaules, un geste qui signifie qu’elle n’y peut rien, que ce fut plus fort qu’elle.

L’un comme l’autre n’ont croisé aucune patrouille hostile circulant au sol. Quant aux drones, ils sont silencieux et la présence du couple dans cette maison est peut-être déjà connue. Max reprend ses esprits et demande : « Judith, que veux-tu me dire ? Parce que tu me caches quelque chose n’est-ce pas ? Cela fait des mois que je ressens qu’à propos de la mort de Jeff, tu en connais bien plus que moi. »

   Max, je voudrais t’expliquer ce que j’ai vu ce matin-là, le matin de la mort de Jeff, murmure Judith, peinant à exprimer tout ce qu’elle a vu, effrayée par les possibles réactions de son compagnon.

   Tu étais donc là ?

   C’était tellement tendu entre toi et moi, Max. Il m’arrivait alors de venir jusqu’ici. Jeff m’écoutait … Surtout ne t’imagine pas que lui et moi … enfin tu me comprends, je …

   Et qu’as-tu vu exactement ? répond Max en empêchant Judith d’achever sa phrase. Dis-moi tout, je t’en prie, tu sais très bien que les circonstances de la mort de mon jumeau me perturbent depuis à présent six mois.

   Tu ne me croiras pas, Max, tu penseras que j’ai halluciné, lâche Judith, toujours hésitante, le corps épuisé appuyé contre le mur de l’autre côté de la pièce et jetant un regard attristé vers Max.

   Judith, lorsque nous ressortirons de cette maison, nous n’y reviendrons jamais. Tu as vu quelque chose de très grave. Et pourquoi gardes-tu tout ça au fond de toi ?

   Je pense à cette scène chaque jour. Je crains de dévoiler ce que j’ai vu. C’était horrible, irréel. Aujourd’hui encore, je me demande si je n’ai pas rêvé. Oh Max, cette vie est si cruelle. Qu’est-il arrivé ? Pourquoi le monde a-t-il basculé vers tellement d’horreurs ?

   Nous vivons désormais dans un nouveau monde. Celui d’avant ne reviendra jamais. Tu le sais, j’ai une haine qui grandit au fond de moi à cause de tout ce gâchis sur la planète. Judith, pour la dernière fois, révèle-moi cette vérité, qui a tué Jeff ? demande Max en s’approchant de Judith et en la prenant dans ses bras.

   Les larmes aux yeux, Judith commence à s’épancher : « Max, tu te souviens de ce jeu vidéo, le « Jeu des étoiles ». Sur les forums, c’est la folie avec ce jeu, tout le monde en parle, tu avais raison … Dans ce jeu, il est question de monstres, d’entités difformes, un corps d’humain surplombé d’une tête de reptile … Jeff et Kathleen Lauzer ont enquêté au sujet de ce jeu. Ils ont découvert lors de leurs voyages astraux sous hypnose que ces monstres existent, Max, ils existent. Et parfois, ils apparaissent devant les internautes. Je sais, c’est incroyable, ajoute Judith, mais si on en croit la philosophie bouddhiste, la force de la pensée permet de donner vie à des entités et certains groupes d’internautes ont réussi à créer ces monstres. »

   Et quel rapport avec la mort de Jeff ? insiste Max sur un ton protecteur, et serrant par moment très fort Judih entre ses bras.

   Ce matin-là, je suis allée jusque chez Jeff. Comme d’habitude, j’ai jeté un œil par la fenêtre et j’ai frappé deux fois sur la vitre, c’était notre code, dit-elle toute tremblante. Jeff était assis devant son ordinateur, il a tourné la tête vers moi et dans ses yeux j’ai vu une telle frayeur, jamais je n’ai vu Jeff dans un état pareil. Il s’est levé, s’est approché de la fenêtre et a crié quelque chose que je n’ai pas compris. À ce moment-là, une force invisible l’a ramené brutalement sur le fauteuil, celui-là, là, dit-elle en tournant la tête vers le fauteuil. Ton frère ne bougeait plus, j’ai compris tout de suite qu’il était mort. J’étais tétanisée. Je suis restée scotchée à la vitre. Et puis j’ai vu l’inimaginable, Max, l’inimaginable. A traversé la pièce en ne touchant pas le sol, une espèce de créature reptilienne, un horrible lézard. Il m’a regardée en ricanant et s’est volatilisé, oui, volatilisé, il a disparu de mes yeux. Je n’ai rien compris, rien du tout. Mais Jeff était mort … Est-il mort de peur ? Cette créature lui a-t-elle injecté quelque chose ? Jeff me l’avait expliqué, je viens de te le dire, des internautes avaient réussi à donner vie à des monstres pareils à ceux qui circulent dans « Le jeu des étoiles ». Oh Max … je ne … lâche-t-elle encore avant de s’évanouir et s’effondrer comme une masse devant son compagnon abasourdi et totalement incapable de retenir la malheureuse. Épuisée par le stress, la précarité de cette vie et toute cette charge émotionnelle enfouie en elle depuis si longtemps, Judith n’a pu s’empêcher de craquer. Max, en même temps anéanti par ces révélations et apeuré par le malaise de Judith, s’agenouille devant le corps si maigre, presque décharné, et surtout inerte. Au moment où il crie Judith reviens, reviens, tout en prenant entre ses mains moites le visage transparent aux yeux révulsés, trois hommes armés et cagoulés déboulent dans la pièce puante et sombre. Le plus grand de ces militaires hurle en pointant sa kalachnikov modèle 2032 sur le front de Max : « Ta meuf a fabulé, ton frère s’est suicidé. Point. Toi, tu vas nous suivre. » et il poursuit en s’adressant à ses acolytes : « Celle-ci, embarquons-la aussi mais avant, violons-là, ça l’achèvera et lui apprendra à fermer sa gueule. »

FIN

Carine-Laure Desguin

http://carineldesguin.canalblog.com

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"L’étrange décès de Jeff Niessen", une nouvelle en épisodes signée Carine-laure Desguin - 4

Publié le par christine brunet /aloys

 

En ce début de soirée, la lumière du jour éclaire encore la rue, mais la digue de Cuesmes est déjà déserte. Max se faufile derrière la haie et rive son regard sur les eaux sales de la Trouille. La semaine dernière, un cadavre était accroché à des branchages et gisait là sans doute depuis des jours.  C’est l’odeur pestilentielle des chairs en décomposition qui attira l’attention d’un riverain. La milice arriva de suite et évacua la dépouille. Aucune enquête sans doute car le riverain, celui-là même qui découvrit le cadavre et donna l’alerte ne fut pas interrogé et personne ne lui demanda son identité. Ce genre de situation est presque journalière. On retrouve des cadavres d’hommes, de femmes et même d’enfants dans la Touille, dans la Haine, et aussi dans le « parc » du Vaux-Hall, cinq hectares d’une nature à présent sauvage et qui recèle des coins abandonnés et obscurs dans lequel meurtres et suicides deviennent ordinaires.  

Le parcours jusqu’à la rue de Maisières, une désolation totale. Max ne croise pas un seul chat. Et pour cause, chiens et chats ont terminé leur vie dans les casseroles de l’une ou l’autre famille affamée. À chaque fois qu’il ressent la présence d’un drone au-dessus d’un quartier qu’il arpente, Max se dissimule dans le porche d’un immeuble ou pénètre dans une maison abandonnée. Rue des Arquebusiers, les occupants du 18 ont migré vers la campagne boraine comme bon nombre de citadins. Là, chacun a le droit de cultiver un lopin de terre bien déterminé. C’est dans ces maisons abandonnées et devenues insalubres que les curieux découvrent des livres d’histoire dans lesquels les faits historiques sont falsifiés et les états actuels déclarés comme sauveurs sous la bannière du nouveau nouvel ordre mondial (NNOM). Tout n’est que mise en scène au service de l’état. Max ressasse sa dernière conversation avec Judith. Que cache-elle donc qu’il ne peut découvrir ? Ces années de galère ont foutu en l’air leur vie de couple, ils ne partagent plus rien ensemble et ça, il le regrette. Depuis la mort de Jeff, leurs sentiments se sont de plus en plus éclipsés.

Les relents d’urine et de merde du côté de la rue du Hautbois lui provoquent une nausée incontrôlable. Surtout ne pas vomir, surtout rester silencieux. Le moindre bruit attirerait la curiosité d’un quidam ou l’autre planté derrière sa fenêtre qui, sans tarder, dénoncerait le moindre dissident réfractaire au couvre-feu. L’état paie un max de telles dénonciations et encourage donc des kyrielles de mensonges. Max se souvient d’un éveilleur embarqué vers un camp où l’on apprend « la bonne conduite » aux plus récalcitrants. Il n’a jamais revu le malheureux.

Rue de Maisières à Nimy, une petite rue perpendiculaire à la rue des Viaducs. Max ne venait pas si souvent dans ce quartier, c’est plutôt Jeff qui venait jusqu’à la digue de Cuesmes. Les deux frères se voyaient aussi chez d’autres potes, éveilleurs de conscience comme eux. À la mort de Jeff, tout changea, la méfiance était de rigueur chez les uns et les autres, personne ne faisait plus confiance à personne. Tout ça ne fit que renforcer la haine que Max nourrissait envers l’état et ce NNOM. Ce sentiment malsain lui grignota le cerveau jour après jour.

Le 13 rue de Maisières, c’est aussi la maison familiale des deux frères, c’est là qu’ils ont vécu leur enfance et leur adolescence. Un coup d’œil furtif tout autour de lui, Max aperçoit de la lumière à une fenêtre de la villa située juste en face du 13. Méfiance, les mouchards sont partout. Max serre très fort entre ses doigts les clés du 13. Il s’aperçoit que la porte est entrouverte et que les dispositifs installés par la police ont disparu. Cela n’étonne pas Max, d’autres éveilleurs ont sans doute tenté de dissimuler des preuves de leur passage. Mais tout le matériel numérique a sans doute été embarqué par les supposés enquêteurs.

 Une fois rentré dans la maison, Max bifurque à gauche et puis vers le living, il laisse là le long couloir qui mène tout au fond du logis vers la cuisine. Les tentures de l’unique fenêtre du rez-de-chaussée sont en lambeaux. Max est prudent, sa lampe de poche est allumée au minimum. Soudain, il ressent un vertige, il se rattrape à la poignée d’une porte. Le fauteuil en tissu sur lequel Jeff a été retrouvé mort est resté là, dans un coin de la pièce, il est troué de partout et poussiéreux. Une souris s’échappe du dessous du fauteuil. Max s’appuie contre le mur, il craint de vaciller. Il n’a rien avalé de toute la journée et n’a bu que quelques gorgées d’eau. Sa vue se brouille. Il revoit ses parents dans la petite cour derrière la véranda. En plein soleil, sa mère est allongée dans un transat, son père revient du jardin et descend les cinq marches en béton. Jeff empoigne un pistolet à eau et commence à asperger ses parents et puis pointe son arme vers Max qui s’écroule, mimant un homme mort. Tout le monde éclate de rire.

La porte qui sépare les deux pièces en enfilade claque. Un courant d’air qui ramène Max devant la triste réalité. Il reste paralysé devant le spectacle, les meubles sont vides, des livres sont éparpillés sur le sol. Une odeur de moisissure agresse ses narines. Il lui est impossible d’avancer et de fouiller quoi que ce soit. Il regrette même êtes venu jusque là. À quoi bon ? Il connaissait son frère, jamais Jeff n’aurait laissé une clé USB dissimulée quelque part et il ne reste aucun ordinateur. Max reste appuyé là contre le mur, les mains glissées derrière le dos. Il reste cependant conscient que c’est la dernière fois qu’il revoit la maison de son enfance. D’ici quelques heures, elle sera réquisitionnée par l’état, comme tous les biens des personnes seules lorsqu’elles décèdent. Les enfants uniquement héritent d’une partie de leurs parents. Pour l’état, les frères et sœurs, neveux et nièces, cousins et cousines n’existent pas. Les familles s’appauvrissent, et puis éclatent.

Le 13 rue de Maisières deviendra à coup sûr un mouroir, un espace destiné aux citoyens qui veulent en finir avec la vie. Aucun dossier à remplir, quatre lignes de justification suffisent. Des bourreaux se chargeront de la pénible mission au moyen d’une chimie bon marché. L’agonie persiste parfois jusqu’à plusieurs heures, cela dépend de l’état de santé initial du demandeur et des compétences du bourreau.  Soudain, Max ressent une présence, une respiration, un souffle. Une silhouette se découpe dans l’ombre de la pièce. Max n’en croit pas ses yeux. Judith ! Celle-ci pénètre dans la pièce sur la pointe des pieds, elle craint la réaction de son compagnon.

A suivre

Carine-laure Desguin

http://carineldesguin.canalblog.com

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"L’étrange décès de Jeff Niessen", une nouvelle en épisodes signée Carine-laure Desguin - 3

Publié le par christine brunet /aloys

  

Jeff partait dans des délires loufdingues, tu le sais bien, coupe Judith, comme pour injecter des doutes dans toute cette histoire. Les recherches de ton frère lui montaient à la tête. Et ses voyages dans la supraconscience ou je ne sais plus trop avec Kathleen, ça l’a entassé plus qu'autre chose, continue-t-elle afin de détourner Max des dossiers si subtils sur lesquels travaillaient Jeff.

   Ne salis pas la mémoire de mon frère tu veux bien, il est mort! Mort! 

   Jeff exagérait, insiste Judith.

   Je voudrais revoir son appartement et peut-être cette fois découvrir quelque chose d'important, une piste qui me permettrait de comprendre cette mort, murmure Max, dédaignant le dernier mot assez offensant de sa compagne.

   Dépêche-toi alors, Max. L'enquête est close. L'ordre sera vite donné d'évacuer ses affaires et de les liquider. Rien ne te sera restitué, crois-moi, lâche Judith.

   Ce soir, je vais jusque chez Jeff. Quelque chose m’éclairera, c’est sûr, j’ai trop la haine. La haine contre cette société de merde qui a tué mon frère. Ce soir, c’est décidé, j’y vais.

   Ce soir ? Tu n'as aucun laissez-passer, la milice de nuit te repèrera bien vite et que diras-tu ? Que tu te rends dans l'appart d'un éveilleur mort depuis six mois afin de fouiller dans ses affaires ? Tu te feras embarquer et emprisonner. Nous sommes en 2032, n'oublie pas. Le citoyen n'a plus aucun droit. Il est devenu une menace. L'état peut tout, lui. Un revenu minimum pour tous, et hop, l’état reste tranquillos. Quasi aucun trajet hors de chez soi n’est autorisé. Je continue ? Eh bien oui, je continue. Tu m'avais promis une vie à la campagne voici presque dix ans. Un petit jardin. Nos légumes. Un élevage de poules. Une certaine autarcie quoi. Et ? Et rien de tout cela. Cet état de putain de merde nous cloisonne ici. Avec une liste d'interdits qui n’en finit pas. Interdit d'avoir un enfant après 25 ans. Interdit de ceci ou de cela. L'état nous impose même le choix des livres puisque c’est lui qui les publie … Et les livres d’histoire sont falsifiés.  Et toi que fais- tu ? Tu espères aller faire le ménage chez ton frère !  

   Parle moins fort, voilà ce que tu me disais voici quelques minutes. Si le vieux d’à côté t'entend, les flics débarqueront et nous demanderont des comptes. Autant rester discrets.

   Le vieux ? Un vieux de 68 ans... qu'il profite car dans deux ans, hop, plus aucun soin pour lui s’il contracte la moindre maladie. Seule option, crever seul chez soi. Et s’il veut l’euthanasie, ce sera accepté de suite par le premier toubib venu, oh ça oui ! Économie pour la sécurité sociale et devinez la cause de tout ça ? Le Covid !

   Je pars de suite, Judith. Tu passeras ta crise de nerf sans moi. La rue de Maisières à Nimy, c’est à deux pas d’ici.

   Fais comme tu veux, Max. Évidemment, de la digue de Cuesmes ici à Mons jusqu’à la rue de Maisières, une paille n’est-ce pas ? Ah mais oui, vous autres les éveilleurs vous disposez d'un vaisseau spatial éolien qui reste invisible pour les milices terriennes et les drones … Et peut-être même que vous maîtrisez l’effet d’Oz !

   Tais-toi Judith, tu m'exaspères. Tu ne comprends rien à rien. Tu ferais mieux de chanter afin de garder en toi un max de mots. On ne comprend pas de quel côté tu es, parfois. Du côté des éveilleurs ou du côté de cet état de merde ? Tu souffles le chaud et puis le froid. Tu deviens bipolaire ! Parfois je me demande si Jeff n’a pas été victime d’une taupe. Toi, peut-être ? Sur l’ordi, tu as recherché des infos au sujet du Tibet, pourquoi ? Jeff s’intéressait aussi à ce pays. Pourquoi toutes ces cachoteries entre toi et lui ?

   Tu deviens fou, Max.  Et en plus, tu me fliques ! Tout le monde soupçonne tout le monde, je comprends. Oui, parfois je fais des recherches aux heures que l’état nous le permet, oui. Ce que je rassemble reste sans doute de ce fait des informations erronées, car aiguillées par le mainstream. C’est mon droit, non ? Mais entre toi et moi, je pensais que c’était autre chose que ces mesquineries de bas étage, non ?

   Avec mon frère tu avais une attitude ambiguë, Judith, poursuit Max. Je l’ai remarqué plusieurs fois. Ne nie pas. 

   J’étais à son écoute plus que toi lorsque Jeff s’épanchait sur des sujets plus sensibles, plus spirituels, ça oui. Comme par exemple ses recherches sur le Tibet, justement. Jeff et Kathleen découvraient des choses extraordinaires, des choses qui dépassent notre imagination. Tu étais plus hermétique à tout ça, Max, voilà. Mais rien de plus, Max, rien de plus. Et au cas où cela te viendrait à l’esprit, ce n’est pas moi qui ai assassiné ton frère ! ajoute-t-elle avec des sanglots dans la voix. Judith s’approche alors de Max qui est, depuis le début de ce dialogue et après avoir décollé son regard de l’ordinateur, dos contre l’unique meuble de cuisine, bras croisés. Max fixe Judith avec agressivité. Celle-ci tend les bras et tente d’embrasser son compagnon mais celui-ci, d’un seul geste, fait volte-face et repousse Judith. Celle-ci reste stupéfaite, des larmes commencent à envahir ses joues et elle s’assoit par terre, sur le vieux carrelage humide, les mains entourant son visage, anéantie par le comportement tellement sauvage en paroles et en gestes de son conjoint. Max attrape une veste en jeans crado suspendue au porte-manteau et, sans prononcer un seul mot, sort en claquant la porte.

 

A suivre

Carine-Laure Desguin

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"L’étrange décès de Jeff Niessen", une nouvelle en épisodes signée Carine-laure Desguin - 2

Publié le par christine brunet /aloys

 

   Retire cette idée de ta tête et calme-toi un peu, Max. Inutile d’attirer l’attention. Tu sais bien que les voisins appellent les flics pour moins que ça et que nous sommes fichés « éveilleurs ». Pour en revenir à la mort de Jeff, bien sûr que le gouvernement assassine les éveilleurs les plus futés. Combien sont morts depuis 2020 ? On ne le saura jamais. Le plus souvent ils sont empoisonnés. Parfois même par des amis ou pire, par leur propre famille. Pour un peu plus de liberté ou quelques tunes ajoutées sur leur carte de crédit, certains pourris monnaieraient n'importe quoi, la mort d’un conjoint, celle d’un ami, celle d’un voisin. Les gens sont si malheureux depuis 2020, ils font n’importe quoi, ils dénoncent n’importe qui, même à tort. Et, de toute façon, il n’y a jamais d’enquête. Tu te rends compte que les enfants nés cette année-là et celles d’après ne connaissent que ces deux mots, Covid et restriction. Si leurs parents n’ont pas gardé, malgré les interdictions, de bandes dessinées chez eux, ils ne connaissent même pas le visage de Thergal, ni même celui de Tintin ! Quelle tristesse ! Tout ça pour ne pas que les enfants prennent goût aux voyages et à l’aventure ! Et puis j’en ai ma claque de ces légumes lyophilisés qui ne se diluent même plus, dit Judith sur un ton dépité en balayant d’un coup de main trop subtil toutes ces poudres en dehors de son plan de travail. J’en gaspille des décilitres d’eau à force de m’obstiner dans ces absurdes préparations de repas macabres, les factures vont encore exploser. Max n’entend même pas le désarroi de sa compagne. La rage dans le ventre, il continue de plus belle à dérouler le laïus commencé par sa compagne : « Un virus lancé pour dépeupler la planète, trouver des prétextes pour contrôler chaque humain un maximum, développer l’intelligence artificielle, et j’en passe. Ah oui, cette monnaie unique, on n’aura pas attendu dix ans avant de nous la foutre dans les pattes ! Jeff connaissait tout l’envers du décor, tout. Et surtout, le pourquoi de tout cela. Il était remonté très très loin, ça je n’en doute pas un seul instant. L’histoire de l’Humanité, il la connaissait sur le bout des doigts. D’où tenait-il tout ça, je n’en sais trop rien. Je regrette de m’être montré parfois trop hermétique avec lui. »

   Calme-toi, Max, nous sommes de toute façon pieds et poings liés. Cela fait douze ans qu’ils nous promettent de nous sortir de cette pseudo- pandémie. Au contraire, on s’enfonce de plus en plus. Confinés depuis 2020, des informations au compte-gouttes, et ces médias mainstream qui nous font gober du grand n’importe quoi … Alors, la mort de Jeff, tout le monde s’en fout. Combien de morts suspectes dans cette ville ? Et ailleurs sur la planète ? Dis, Max, continue Judith comme pour éclipser les propos de son compagnon lorsqu’il amorce les enquêtes de son frère, au lieu de nous apitoyer sur tout ça, concentrons-nous et écrivons, chantons, usons et abusons le plus possible des mots connus. Tu te souviens que vers 2024 on chantait à tue-tête avec Jeff des chansons à présent disparues volontairement des réseaux ? Ils disent même que Ferrat n’a jamais existé ! Ils ont balayé l’existence de tellement d’artistes ! Oh Max, changeons-nous les idées…

   Max reste fixé sur la mort de Jeff : « Jeff est mort assassiné. Aucune autopsie, c’est le protocole instauré depuis cette pseudo-pandémie de merde, soi-disant pas assez de preuves pour mettre en évidence un assassinat. Empoisonné, certain de ça. Il bossait sur plusieurs sujets. Et puis il y a cette Kathleen Lauzer, l’hypnologue qui « l’éclairait » dans ses enquêtes. Jeff disait qu’il voyageait bien au-delà du possible grâce à elle et qu’il avait des réponses à tellement de questions. Les séances d’hypnose régressive ésotérique étaient d’après lui une mine d’informations.  

  Tu n’as plus eu de nouvelles de Kathleen depuis la mort de Jeff ? s’enquiert Judith.

   Aucune, justement, c’est bizarre. Au fond, je ne lui en veux pas, rétorque Max. D’ailleurs, je ne suis nullement étonné. Kathleen connaissait tous les dossiers de Jeff, forcément. Elle se protège, elle a raison. Si Jeff a été assassiné, Kathleen est en danger elle aussi. Ma main à couper que le noyau de tout cela, c’est ce jeu vidéo, « Le jeu des étoiles ». Ce jeu n’est pas innocent dans cette histoire et d’une façon comme une autre, il est responsable de la mort de mon frère. C’était un de ses derniers dossiers qu’il classait « hot », il m’avait annoncé que les révélations liées à ce truc risquaient de faire du bruit. Et pas que pour les aficionados du dark web, crois-moi. Ce dossier-là, c’est du lourd, tellement lourd. Kathleen avait enquêté et « le jeu des étoiles » pouvait d’après elle provoquer pas mal de dégâts. Voilà ce que Jeff m’avait murmuré. Il pressentait que je n’étais pas ouvert à tout ça, il ne m’a donc confié aucun détail.

   « Le jeu des étoiles », un jeu vidéo ? Tu as déjà vu un jeu vidéo qui tuait, toi ? interroge Judith sur un ton faussement naïf.

   Non, mais vu les allusions que parfois Jeff lançait, et puis tout ce qu’il m’expliquait … Le monde des ombres orchestré par des archontes et celui de la lumière … Hallucinant. Si cela est réel, c’est renversant, incroyable. Max raconte tout ça en insistant sur chaque syllabe de chaque mot.

A suivre

Carine-Laure Desguin

http://carineldesguin.canalblog.com

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"L’étrange décès de Jeff Niessen", une nouvelle en épisodes signée Carine-laure Desguin - 1

Publié le par christine brunet /aloys

L’étrange décès de Jeff Niessen

 

   Les traits du visage crispés, les yeux exorbités, les lèvres pincées, Max Niessen retient les tonnes de rage et de rancoeur qui bouillonnent en lui envers cette société actuelle, une société de merde. Le nouveau monde, celui dont personne ne voulait. Ce putain d’ordi, il se retient pour ne pas le balancer par l’unique fenêtre du rez-de-chaussée de la petite maison ouvrière du 82 digue de Cuesmes. Après tout, cet œil de Moscou en puissance, qu’il croupisse au fond des eaux troubles de la Trouille, la rivière qui coule juste en face de l’habitation. L’homme de trente-cinq balais à l’allure émaciée de mec mal nourri ne parvient pas à décrocher son regard du dernier e-mail de Lydia Alexandru, la juge d'instruction en charge d’orchestrer l'enquête relative à la mort de son jumeau, Jeff Niessen. Il lit et relit ces quelques lignes :

 

Très cher monsieur Niessen, 

 

Par cet e-mail permettez-moi de vous signaler que nous mettons un terme à l’enquête relative au décès inexpliqué de votre frère, Jeff Niessen, décès survenu aux alentours de novembre 2031. Nous concluons à une mort naturelle, faute d’éléments qui prouveraient le contraire. Il convient d'ajouter que vu les circonstances actuelles, cette pandémie qui se perpétue et qui nous oblige à travailler en équipe et moyens d’investigation réduits conformément aux protocoles de l’état belge, ce dossier se referme hélas définitivement. Aucun recours de votre part ne pourra être entendu. 

 

Cordialement, 

 

Lydia Alexandru

 

   Contrarié ? demande avec inquiétude Judith Sissau, souvent à l’affût des émotions en dents de scie de son volcanique compagnon, Max Niessen. La trentenaire qui s’évertue à préparer un frugal repas dans une cuisine sans confort composée de meubles et d’objets de récup n’entend que des jurons depuis plusieurs minutes et elle tend à présent l’oreille, la réponse de son compagnon qui se tient à trois mètres d’elle tout au plus se fait attendre.

 

   Bien plus que ça ! Dépité, écœuré, les mots me manquent ! Pas vraiment surpris par cette « justice » qui n’en n’est plus vraiment une. Le mot justice ne signifie plus rien du tout, rien. C’était déjà un mot insipide et factice avant 2020, alors aujourd’hui, au printemps 2032… Et puis mon frère n'était qu'un éveilleur de conscience parmi d'autres, alors à quoi bon perdre son temps à enquêter sur la mort d’un ennemi de l’état, n’est-ce pas… ?

   Jeff mettait en évidence tellement de choses. Trop sans doute. Il a pris des risques énormes. Il s’est mis en péril bien trop de fois, pauvre Jeff, soupire Judith sur un ton d’impuissance et occupée à réhydrater tant bien que mal poireaux et œufs lyophilisés.

Les produits en poudre sont les seules denrées ou presque accessibles à la plupart des citadins. Les aliments frais ne s’achètent qu’à un prix de dingue, du marché noir en quelque sorte, comme lors de la guerre 40-45. Nous sommes en 2032, à Mons. D’après les infos mainstream, la pandémie de 2020 n’a jamais été éradiquée, le virus ne cesse de muter et reste mortel pour la plupart des quidams qui le chope. Les états de toute la planète usent de décisions drastiques afin, proclament-ils, de limiter le nombre de mortalités : les voyages entre pays sont interdits (et même à l’intérieur d’un même état, les déplacements sont limités), une monnaie unique est opérationnelle depuis 2028, le télétravail est obligatoire, chaque individu reçoit une allocation et un ordinateur via lequel certains sites ne sont opérationnels qu’à des heures déterminées par chaque état. Partout sur la planète des éveilleurs de conscience font leur boulot, informer la population d’une manière comme une autre afin que le peuple comprenne qu’il subit une manipulation de masse et que tous les moyens sont bons à l’élite pour asservir chaque citoyen, pour exercer sur lui un contrôle maximum. La pandémie ne serait qu’un prétexte pour imposer au citoyen de chaque pays des règles de vie liberticides. Dans leur petite maison de la digue de Cuesmes, à deux pas du centre-ville de Mons, Max et Judith continuent leur conversation.

   Tu le regrettes à présent, s’insurge Max. Pourtant, tu doutais de ce qu'il disait, toutes ses enquêtes qu’il ne craignait de dévoiler sur les réseaux depuis des années. Bien plus audacieux que moi, le frérot. Tu m’as si souvent dit qu’il déconnait, qu’il disait tout ça pour se donner de l’importance, qu’il perdait son temps, continue Max qui hausse le ton et qui, depuis son espace bureau, regarde Judith avec tellement d’agressivité dans les yeux. Ou bien tu débitais ça parce que tu pensais le contraire ? Une façon comme une autre de noyer le poisson ? continue-t-il sur un ton de mépris.

   Max, ne cherche pas le conflit cela ne servirait à rien. Jeff ne ressuscitera pas, conclut Judith qui commence elle aussi à s’énerver car elle constate avec dépit les difficultés qu’elle rencontre pour réhydrater les légumes lyophilisés. La poudre de poireaux ne se dilue pas, elle forme de petits agglomérats gélatineux. Ce qu’elle n’ose pas avouer, c’est qu’elle vient de revendre à une voisine des gélules de vitamines contre ces lyophilisats merdiques. Les arnaques sont journalières depuis que les productions locales sont limitées. On vend même de la sciure de bois dans des sachets étiquettés lyophilisats de carottes ou poireaux ou oignons … Judith connaît toutes ces malversations sur le bout des doigts mais cette voisine lui inspirait confiance. Erreur. Elle n’ose avouer sa gaffe à Max qui trouverait dès lors un prétexte de plus pour déverser sa colère.

   Je voudrais qu'il ne soit pas mort pour rien. Et puis ce n'est pas une mort naturelle. C'est un meurtre. Un meurtre ! s’écrie Max en tapant si fort son poing contre le mur qu’un des cadres tombe et se brise, laissant s’échapper une photo représentant la tour de Warande, souvenir lointain d’un lieu situé sur la côte belge qu’il est à présent interdit de visiter, puisqu’il n’est autorisé, depuis 2020, de ne circuler que cinquante kilomètres autour de chez soi. Dans le cas contraire, des drones vous ramènent illico dans l’espace militaire le plus proche de chez vous. Vous êtes alors pucé jusqu’à la fin de vos jours. Aucun recours pour faire machine arrière. Les drones sont des ordinateurs aériens, rien ne leur échappe. Ils connaissent tout de chaque individu, du parcours scolaire jusqu’au groupe sanguin en passant par l’arbre généalogique et le compte bancaire.

A suivre

 

Carine-laure Desguin

http://carineldesguin.canalblog.com

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Micheline Boland nous propose une nouvelle "Souffle de colère"

Publié le par christine brunet /aloys

SOUFFLE DE COLÈRE

 

 

Il a près de soixante ans. Il était enseignant, mais à présent il ne travaille plus. Après de graves problèmes de santé qui l'ont fragilisé, il a choisi de demander sa prépension. Chaque jour, il fait à pied le tour de la ville. C'est un homme de haute taille, plutôt maigre, au visage pâle, habillé

de manière classique d'un pantalon de flanelle grise, d'une chemise blanche, d'un foulard  et d'une veste bleus. Il porte un masque. C'est une habitude qu'il a gardée suite à la pandémie de Covid-19. Il dit "Bonjour" à tous ceux qu'il croise, jeunes ou vieux, beaux ou laids, connus ou inconnus. Il est en colère contre ceux qui l'ignorent, qui ne lui répondent pas, qui ne le regardent pas, qui ne lui adressent même pas un petit signe de tête.

Il est en colère contre son histoire de vie. Il est de ceux qui ont perdu leurs deux parents avant d'atteindre la trentaine. Il est de ceux qui ont subi plusieurs interventions chirurgicales et ont dû bénéficier de séances de chimiothérapie. L'avenir, lui semble-t-il, ne peut guère continuer qu'à lui réserver des perspectives peu encourageantes. "On n'échappe pas à sa destinée", se plaisait à répéter sa mère bien avant son décès des suites d'un cancer. Pourtant, il lui semble adopter des comportements adéquats. Il est ordonné, ponctuel, méticuleux, économe. Il range, il nettoie, il contrôle ses écrits, il règle ses factures, il mange sainement, il fait quotidiennement des exercices de gymnastique, il prie. Il vit dans le grand appartement hérité de ses parents, il dispose chaque mois d'une pension satisfaisante et possède un pécule suffisant pour faire face à d'éventuels imprévus.

Il est en colère contre ceux qui sèment le désordre, qui salissent, qui ne respectent pas les règles, qui se livrent à des incivilités.

Ce jour-là, il a salué une petite vieille qui ne l'a pas salué en retour. Ce jour-là, il a proposé, à cette  petite vieille, qu'il voyait embarrassée et hésitante face à l'escalier qui menait à l'entrée de la poste, de l'aider à gravir les trois marches. La petite vieille a refusé, l'a fixé d'un regard froid, lui a lancé : "C'est peut-être gentil, mais mêlez-vous de vos affaires. Laissez-moi en paix, bon sang !". La colère a affleuré en lui comme aurait soufflé une bourrasque de vent sur de fragiles fleurs sauvages. La colère a affleuré, mais il l'a contenue en se forçant à rebrousser chemin.

En marchant, il s'est souvenu d'incidents datant de deux ans. En une seule semaine, il avait décoché un coup de poing à un homme qui refusait de présenter des excuses à une femme qu'il venait de bousculer en rue pour tenter vraisemblablement de lui prendre son portefeuille et giflé un jeune homme qui, dans la librairie tenue par sa filleule, avait laissé des traces de chocolat sur la couverture en carton d'un livre qu'il avait parcouru tout en refusant de reconnaître les faits et d'en assumer les conséquences.  Ces incidents auraient pu l'amener à passer en justice avait affirmé un copain greffier à qui il s'était confié.  "C'est de la brutalité. Cela aurait pu te coûter cher. Je crois que consulter un psy te ferait sans doute du bien…", avait conclu d'ailleurs son copain. 

Ce jour-là, en rentrant chez lui, il a bu un thé et a prié le Ciel d'empêcher que cette colère ne se concrétise jamais en une sorte d'éclair de folie meurtrière.  

 

Micheline Boland

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Concours 2 - Amour à mort - Texte 5

Publié le par christine brunet /aloys

ACCIDENTS

 

Leur amour était un secret qu'ils n'ont longtemps partagé qu'avec moi, car ils s'étaient rencontrés chez mes parents lors de la fête d'anniversaire de mes seize ans. Au début de leurs relations je les aidais à échanger des messages.  Marine était ma cousine et Simon était mon ami d'enfance. Des images me reviennent de leur tendre connivence. Je me souviens les avoir observés un premier mai de la fenêtre de ma chambre, ils étaient assis au jardin et j'avais pu voir la tête de Marine posée au creux de l'épaule de Simon. C'était pour moi comme si le temps s'était arrêté, comme si leur bonheur devait durer toute leur vie.

Ces images ne s'effacent pas, pourtant elles datent de plus de quarante ans. L'année de ses vingt ans, Marine était décédée des suites d'un accident de voiture. Simon en avait éprouvé un chagrin qu'il estimait insoutenable parce qu'il se sentait coupable de ne pas l'avoir accompagnée au vernissage de l'exposition de peinture où elle s'était rendue ce soir-là.

Simon n'était plus parvenu à s'investir réellement que dans ses études. En quelques jours, ses projets de vie de couple s'étaient dérobés. Il était, en effet, convaincu que Marine était irremplaçable.

Tout comme moi Simon avait terminé une filière universitaire de cinq ans. Son diplôme en poche, il avait mis toute son énergie dans son travail et il avait obtenu rapidement une promotion. Quand nous rencontrions, en soirée, je le sentais triste et absent. Je le sais aujourd'hui, il se perdait certainement dans des idées noires, s'imaginant que seule la présence de Marine lui aurait permis de vivre pleinement petits et grands plaisirs. 

Une avant-veille de Noël, alors que je le ramenais chez lui après un repas au restaurant, il me confia : "Je voudrais glisser très loin dans le passé, retrouver mes dix-huit ans pour goûter l'exaltation et les espoirs de ce temps-là. Ne pourrais-tu m'aider à m'éloigner de cette existence sans saveur ?" Je n'avais pas demandé davantage de précision, car je l'avais compris à demi-mots. Je lui avais suggéré de prendre rendez-vous chez un psy, de s'épancher sur le papier, de s'éloigner de ses routines, de sa région. "Ne m'abandonne pas. Quand je vois dans son armoire à pharmacie les médicaments que prend ma mère suite à son burnout, le temps d'un éclair, je me dis que je pourrais les engloutir tous, m'en servir comme d'une arme. Puis je pense immédiatement à quel impact cela aurait sur ma famille, sur la boîte,… Je ne passe pas à l'acte, je n'y passerai jamais bien sûr. Je n'apprécie plus que de m'oublier dans le travail. Tu comprends n'est-ce-pas ?"

Simon avait consulté un psychologue, il avait commencé à écrire un journal, il avait refait du jogging. Il était sorti avec une collègue beaucoup plus jeune que lui, ils avaient envisagé de s'installer ensemble.

"Je fais semblant de vivre", m'avait-il pourtant confié plus tard. "C'est une image bien entendu", avait-il ajouté.  "Je mange, je lis, j'écris, je parle, je cours, je conduis, je travaille, mais pas avec l'intensité dont je me serais cru capable…", avait-il encore dit.

Le jour de Pâques, Simon est mort lui aussi des suites d'un accident. Coïncidence ou pas que ce soit dans des circonstances qui ressemblent à celles du décès de Marine ? Volontairement ou pas ? Les questions restent en moi.  

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Concours 2 - Amour à mort - Texte 4

Publié le par christine brunet /aloys

LA UNE DU JOURNAL

 

"Suicide, accident ou crime ? L'enquête le dira, mais elle ne fait que commencer. Laura Dupont laisse deux enfants et un mari désarçonnés…" Tels étaient le titre et le début de l'article du journaliste dans la gazette locale de la cité balnéaire où je suis chargé de mission. 

Laura et Thierry Dupont. Le couple faisait souvent la une du journal local. Ils étaient amoureux, riches, beaux, dynamiques, cultivés, sympathiques, plutôt charismatiques. Comédiens, ils étaient à la tête du théâtre du Sentier où se jouaient aussi bien des comédies musicales que des pièces classiques ou contemporaines, où se produisaient durant l'été aussi bien des chanteurs que des humoristes.  Leur vie n'était pourtant pas un long fleuve tranquille. Laura et Thierry avaient cédé l'un et l'autre à la tentation de fort éphémères infidélités qui selon eux ne remettaient aucunement en question l'amour qu'ils se portaient. "Nous sommes ouverts, nous nous aimons et nous savons fermer les yeux sur des erreurs ponctuelles", répondaient-ils quand quelqu'un de leur entourage immédiat osait aborder le sujet.

Et pourtant, je sais que tout n'était pas si simple. Moi l'abbé Maxime Gillemin, j'ai reçu Thierry en confession. Il m'a tout avoué. Lors de leur promenade nocturne, il a poussé Laura du haut de la falaise, car il ne supportait pas qu'elle envisagea de le quitter pour un bellâtre fortuné, acteur lui aussi, de dix ans son cadet. Il n'avait rien prémédité. Cela avait été une sorte de réflexe consécutif à l'aveu de son épouse quand, après la pause durant laquelle Laura s'était confiée, ils avaient repris leur marche et avaient atteint le haut de la falaise, là où vingt-deux ans plus tôt ils s'étaient juré un amour éternel. Après le drame, il avait agi dans un état second. Il avait fait de longs détours avant de regagner à pied son domicile. Il n'avait rencontré personne et ce soir-là, les deux garçons dormaient chez des amis.  Maintenant, il regrette son geste, il pleure, mais refuse de se dénoncer pour protéger ses enfants. Il avait dans un premier temps maîtrisé ses émotions lorsque Laura lui avait fait part de sa décision, lui demandant juste d'attendre le début des grandes vacances avant d'annoncer la fâcheuse nouvelle aux enfants et à la famille. Je suis tenu au secret de la confession. Je suis torturé. Thierry refuse de se dénoncer pour protéger ses deux fils. Il a déjà prévu le scénario qu'il fournira aux enquêteurs pour les convaincre de son innocence. Il promet de soutenir du mieux qu'il le pourra sa belle-famille face à cette catastrophe. Je perçois en lui une telle souffrance !  Il répète :"Si je pouvais faire marche arrière. Si, oui, si seulement c'était possible…"

Après enquête, il s'avère que la thèse de l'accident a été retenue. Un an et demi après, Thierry Dupont a publié un livre qui connaît un beau succès. "Mes lèvres sur ton cercueil" se vend comme jamais encore un ouvrage ne s'est vendu dans la région. Nous avons tous de près ou de loin, vécu des tragédies, pour la plupart nous sommes curieux de prendre connaissance de  l'émerveillement amoureux qu'ont connu des couples de vedettes. "Mes lèvres sur ton cercueil" est un mélange de prose et de poésie, il contient l'expression de sentiments douloureux et de passions profondes. N'est-ce pas la transparence du ressenti  et la clarté des confidences que l'on cherche dans ce genre de notes biographiques ?  Comme il est écrit dans l'Ecclésiaste "il est un moment pour tout et un temps pour toute activité sous le ciel".

Thierry a pris grand soin de sa belle-mère qui a été victime d'un AVC peu après le décès de sa fille. C'est un gendre idéal comme il est un père idéal et fut le plus souvent un mari idéal, soutenant Laura, l'aidant, la conseillant, la choyant. 

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Concours 2 - Amour à mort - Texte 3

Publié le par christine brunet /aloys

Avec elle, j’ai dormi à la belle étoile, visité villes et villages, avant de m’arrêter dans cette belle cité où nicher.  Avec elle, je me suis fait des amis, si différents de moi mais si intéressants.  Avec elle, j’ai simplement rêvé en regardant les étoiles.

Dans un instant, je vais mourir.

Peut-être l’ai-je trop aimée ? 

Mais peut-on aimer trop ?

Peu importe, car je l’aime encore et ne regrette rien.

Même si la culpabilité me ronge de n’avoir pas écouté ceux qui m’avaient prévenu, ceux qui voyaient ce qui nous arrivait.  Mais j’ai choisi de regarder ailleurs ; par bêtise ; par insouciance ; par facilité.

Par peur surtout.

Je pensais que rien de mal ne pouvait nous arriver, que notre bonheur était immuable… comme je me trompais.  Et quand elle a commencé à devenir de plus en plus silencieuse, à cacher ses bleus sous un sourire sans éclat, je n’ai rien compris, sot que je suis !

Il a fallu qu’elle me quitte définitivement pour qu’enfin je me réveille.  L’absence et son silence assourdissant étant plus efficaces que n’importe quel discours pour que j’ouvre les yeux sur un monde vide, sur un cauchemar sans fin.

Car il me l’a enlevée, l’a violée et asservie, pensant être le seul à avoir le droit d’en jouir ! Le triste sire, qui se croit si important alors qu’il est si petit.

Je vais mourir.

Cela ne m’inquiète pas, sans elle quelle raison ai-je de vivre ?

Mon réveil a pris trop de temps, un temps que je n’avais pas, un temps qui s’est enfui avec elle, avant de m’engluer, puis s’arrêter.

Quand je me suis redressé, que j’ai voulu me battre pour la récupérer, il était bien trop tard.  Enfermée dans une sombre forteresse, elle m’était devenue inaccessible.  Peut-être, un jour, quelqu’un abattra-t-il ces murs ?  En attendant, je ne peux que rêver d’elle, sa douceur, sa joie, sa lumière.

La mort a eu moins de difficulté à me trouver.  Tant mieux, je ne me cachais pas.

Mais comment ai-je pu laisser faire cela ?  Comment ai-je pu être aussi aveugle ?

Il est trop tard pour se poser ces questions et vain de vouloir y répondre.

Aucun retour en arrière n’est possible.

Je vais mourir.

Pas elle.

Je le sais.

Elle, elle courbera l’échine, un temps, puis se redressera et il ne pourra rien faire pour l’arrêter.    

Elle prendra son temps et nombre d’amants et il ne pourra rien faire, que trembler sous son souffle.

Puis elle prendra son envol et il disparaîtra, comme bien d’autres avant lui.

Car, tel le phénix, elle renaît de ses cendres et, d’un battement d’aile, embrase le cœur des hommes en leur offrant le droit au choix.

Elle est d’une essence rêvée, celle de la dignité.

Elle est la liberté.

Et je l’aime à en mourir.

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Concours 2 - Amour à mort - Texte 2

Publié le par christine brunet /aloys

DOMINIQUE ET MARIE-LOUISE

 

Dans leur jardin, Dominique  et Marie-Louise aimaient à la belle saison, passer de longues heures à bavarder chacun allongé dans un transat sous un grand parasol. Ils n'étaient jamais à court de sujets de conversation. Ils ne s'ennuyaient jamais quand ils étaient ensemble. Dominique  trouvait toujours les sourires de Marie-Louise aussi charmants que durant leur jeunesse. Il la trouvait toujours aussi jolie même si elle avait un peu grossi et avait le visage un peu ridé. Marie-Louise appréciait toujours autant la belle voix grave de son époux.

Tous deux, adoraient danser des slows sur une musique douce qui datait de leur jeunesse. Enlacés, ils tanguaient pareils à de jeunes amoureux à l'occasion de fêtes familiales, de mariages, de réveillons. Les mains de Dominique posées tendrement sur ses épaules, Marie-Louise ne s'en lassait jamais. Les balades dominicales main dans la main le long du chemin de halage, tous deux en raffolaient.   Leurs journées se dépliaient dans une suite de clins d'œil, de sourires, de caresses, d'effleurements, de corvées partagées, de loisirs communs. Quand ils étaient deux, ils redevenaient un peu des adolescents.  

Cela faisait près de cinquante ans qu'ils s'étaient mariés. Ils avaient un fils, une belle-fille, deux petits-fils, beaucoup d'amis. Tous deux avaient fait carrière dans l'enseignement, c'était d'ailleurs lors d'un intérim dans une école de la ville que Dominique  avait vu Marie-Louise pour la première. 

Soudain, la mort vint de manière inattendue et brutale. À soixante-quinze ans, Marie-Louise, qui était apparemment en bonne santé, décéda subitement d'un arrêt cardiaque. Dominique fut beaucoup entouré par sa petite famille, ses voisins et ses amis. Il commença néanmoins à s'abandonner de plus en plus au chagrin et à la mélancolie. Lorsqu'un oncle et une tante de Marie-Louise, tous deux octogénaires étaient décédés à deux heures d'intervalle dans un accident à leur retour de vacances passées au bord du Lac de Garde, Dominique et Marie-Louise avaient tous deux  jugé que c'était une mort idéale pour un couple tellement uni même si la tristesse de leurs enfants, beaux-enfants et petits-enfants avait été immense et que cela restait pour eux un réel traumatisme.

Quelques mois après la disparition de Marie-Louise, Dominique  fit, m'avoua-t-il, un rêve étrange. Dans ce rêve Marie-Louise tout de blanc vêtue lui tendait la main et l'invitait à la rejoindre pour danser. Ils tournoyaient lentement, elle chuchotait des paroles inaudibles… Ils étaient collés l'un à l'autre, elle disait "reste", c'était là le seul mot qu'il saisissait parfaitement. 

Ce rêve revint les deux nuits suivantes et poursuivit ensuite Dominique du matin jusqu'au soir une semaine durant. Un dimanche après-midi alors que sa belle-fille et son fils venaient lui apporter deux sacs de course, ils découvrirent Dominique allongé sur le canapé du salon. Il avait revêtu son costume bleu foncé, une chemise blanche, une cravate bordeaux. Il avait chaussé ses mocassins noirs. Il avait rendu son dernier souffle, laissé une lettre dans laquelle il faisait part de son désespoir et avouait avoir eu recours à un surdosage d'antidépresseurs pour mettre fin à ses jours. Il avait obéi à la supplication de Marie-Louise, il était resté avec elle dans un rêve interminable…

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