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textes

Début de la troisième partie du thriller de Bob Boutique 'Bluff'

Publié le par christine brunet /aloys

(L'héroïne arrive en Islande...)

Un lac d’opaline


La route qui mène de l’auberge de jeunesse vers Reykjavik est su-perbe, mais étrange, car elle traverse un immense champ de lave que recouvre une épaisse mousse grisâtre de plusieurs centimètres d’épaisseur, comme ces couches de polyuréthane qu’on emploie pour isoler un grenier par exemple. C’est tellement impressionnant, quasi lunaire, que Liddy s’arrête pour prendre des photos et gamba-der sur ces blocs de basalte matelassés dans lesquels elle se laisse tomber en riant de bonheur, les bras en croix comme dans de la neige. Côté océan, à cent mètres, la plage est noire. Elle s’agenouille sur le sol sans que cela ne salisse ses Jeans. C’est granuleux comme du sable, mais noir et les vagues, qui viennent mourir à ses pieds, ont quasi la même couleur.
De l’autre côté de la route quasi déserte (un rare véhicule toutes les cinq minutes) s’alignent de petites montagnes sombres qui, de loin, ressemblent à des terrils de charbon écrêtés. Ce sont en fait des vol-cans éteints d’à peine cent mètres de hauteur qu’elle rejoint en cou-rant et sautant sur les rochers moussus comme une gamine. Elle es-calade le flanc poussiéreux du premier à quatre pattes et atteint enfin, le souffle court, le haut du cratère derrière lequel apparaît un enton-noir au fond duquel dort un lac d’un vert phosphorescent. On dirait une énorme émeraude sertie dans un écrin de roche noire. Elle est subjuguée !
- Tu devrais voir ça, Rita ! crie-t-elle en tournant comme une gi-rouette sur elle-même au risque de glisser au fond du lac comme sur un toboggan. C’est le début du monde, c’est mer-veilleux, fantastique et je t’aime !
Elle finit par s’asseoir en équilibre sur l’arête du cône volcanique, les bras enroulés autour des genoux, et enlève ses grosses lunettes de myope afin de mieux contempler le paysage de science-fiction qui l’entoure. Elle n’a pas froid et pour cause. Ses joues sont rouges d’excitation ; elle est bien emmitouflée dans son polaire et il fait au moins quatorze degrés sans un souffle de vent.
- Tu devrais voir ça… chuchote-t-elle dans un murmure en tour-nant la tête autour d’elle dans un long travelling.
Dans la plaine apparaissent çà et là des plaques jaunes, ocres ou cui-vrées d’où s’échappent des volutes de fumées sulfureuses qui diffu-sent dans l’air des effluves douçâtres d’oeuf pourri. On se croirait dans un décor de jeu vidéo.
Alors qu’en bas sur la nationale l’attend sa petite Yaris rouge désor-mais aussi menue qu’un jouet.


Mais…

 

Bob Boutique

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Opération Taranis de Didier Veziano... Extrait

Publié le par christine brunet /aloys

 

Paris - Bureau du Premier Ministre.

— Monsieur Le Premier ministre, désolée de vous déranger, mais j’ai le général Le Garrec en ligne qui demande à vous parler en urgence.

— Passez-le-moi ! ordonna-t-il à son assistante.

Le Premier ministre mit la main sur le combiné et pria les deux personnes en face de lui de bien vouloir le laisser seul un instant. Il attendit qu’elles soient sorties avant d’entamer la discussion avec le directeur de la DGSE, impatient de prendre connaissance des dernières avancées de l’enquête.

— Général, j’espère que vous avez des informations rassurantes ?

— Affirmatif, Monsieur le Premier ministre. On a certainement retrouvé la trace de Yousef Zayad. Et il se pourrait que l’on ait également retrouvé celle du responsable opérationnel en France.

— Pourquoi ai-je l’impression de ne ressentir aucune certitude dans vos propos ?

— Peut-on se voir très rapidement, Monsieur le Premier ministre ? J’ai des choses importantes à vous annoncer et surtout des solutions à vous proposer. Je pense qu’il serait utile que le ministre de la Défense soit présent également. En revanche, étant donné le caractère particulièrement… confidentiel que je souhaite donner à cet entretien, il ne me paraît pas opportun que votre conseiller soit présent dans un premier temps.

Le Premier ministre hésita quelques instants avant d’accepter. Il fixa un rendez-vous dans l’heure, une nouvelle fois au grand dam de son assistante qui soupira à l’idée de devoir encore bouleverser son agenda. Quant au ministre de la Défense, il fallut mettre en avant le caractère extraordinaire de la situation pour qu’il accepte de se rendre disponible immédiatement.

Le Garrec arriva dix minutes en avance au rendez-vous. En fait, le temps de prendre son dossier, de fumer le quart d’une cigarette, il avait quitté son bureau du boulevard Mortier pour se rendre sans tarder à l’Hôtel Matignon, gyrophare sur le toit.

Les trois hommes s’installèrent dans le salon privé du bureau du Premier ministre qui, dans une brève introduction, expliqua au ministre de la Défense qu’il ne faisait plus aucun doute qu’une action terroriste de grande envergure était en préparation sur le sol français. Il lui fit part également du pessimisme qui avait plombé la dernière réunion entre lui et le Général. Le ministre de la Défense ne semblait pas particulièrement ravi d’avoir été tenu à l’écart. Ne pouvant extérioriser sa colère vis-à-vis du Général, il se contenta de lui lancer un regard noir, lui signifiant ainsi que les choses n’en resteraient pas là.

— Voilà où nous en étions, mon cher ami, lorsque nous nous sommes quittés avec le Général, conclut le Premier ministre.

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Christina Previ pour propose un court extrait d'"Itinérance d'un oiseau bleu"

Publié le par christine brunet /aloys

 

Extrait : « Une vieille bassine »

Sous une lucarne, une vieille bassine en zinc recevait un filet d’eau, provenant d’un joint défectueux de la tabatière, qui lui emplissait lentement le ventre. Il n’y avait pas de quoi s’inquiéter… Nul risque que survienne un quelconque débordement !

Cette bassine semblait faire partie du décor depuis toujours. l’été, son vieux métal rouillé subissait immanquablement la brûlure des rayons du soleil et l’hiver, sa pauvre carcasse se contractait vraisemblablement sous la morsure du froid.

Pourquoi donc me donnait-elle l’impression d’une vieille connaissance ? Cette cuve terne et déformée semblait vouloir me dire quelque chose…

 

Christina Previ

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Séverine Baaziz nous propose un texte pour la rentrée d'Aloys !

Publié le par christine brunet /aloys

Un jour, il y eut un orage. Un terrible orage. 
Les vents secouèrent chaque parcelle de vie, la colère s’empara de la lumière du soleil, la foudre défigura le ciel de balafres aveuglantes. Quant au tonnerre assourdissant, il fit trembler et les murs et les âmes. 
Des heures apocalyptiques jusqu’à ce que, facétieux, l’orage se retire, foudroyant au passage les boîtes à images de toute une campagne.
De longues semaines privant les villageois de leurs fenêtres sur le monde. 
De longues semaines rendant invisible l’impensable. 
Quand les premiers rectangles animés se mirent à fonctionner à nouveau, les yeux ébahis n’en crurent pas leurs oreilles.
Partout, la paix avait éclaté.
Innombrables avaient été les cagnottes de milliardaires, éradiquant ainsi la pauvreté, la faim, les maladies.
Toujours plus étonnant, la végétation avait aspiré toute la pollution des hommes.
Et ce n’était qu’un début.
C’est fou, quand on y pense. Il avait suffi que l’orage déplace l’axe de rotation de la Terre de quelques centimètres pour qu’elle tourne rond.
Enfin et parfaitement rond.

 

Séverine Baaziz

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Christina Previ nous propose un court extrait de son recueil "Itinérance d'un oiseau bleu"

Publié le par christine brunet /aloys

 

Extrait : « Une visite inattendue »

Son chat, en ronronnant, s’est installé près d’elle. Il a tourné en rond, reniflé, gratté puis il a adopté ce siège disponible pour sa sieste.

Ils se sentent bien là, tous les deux, dans la douceur de la grande cuisine. Au bout d’un moment Louise se détend, ses vieux os parfois si douloureux, lui offrent à présent un répit qu’elle apprécie justement.

 

Devant elle, la fenêtre permet au regard d’errer dans le jardin. Le temps est incertain, le soleil bien timide et le vent, ce coquin, fait trembler les sapins.

Louise s’est assoupie, elle flotte dans un état de bienheureuse béatitude, un de ces moments où l’on a l’impression de voler du temps au temps, où le corps semble en état d’apesanteur bien agréable.

 

Autrefois, durant l’été, installés côte à côte devant la porte, Maurice et elle admiraient leur jardin, le ciel, ou les couchers du soleil, en bavardant de tout et de rien.

Les souvenirs s’enchaînent dans la tête de Louise, elle se revoit au bras de Maurice, le jour de leur mariage dans cette belle église St Martin…

 

 

Christina Previ

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Nous retrouvons les héros d'Opération Taranis... Le roman policier/espionnage de Didier Veziano

Publié le par christine brunet /aloys

 

Beyrouth, à quelques pas du camp de l’ONG


 

Leyna avait quitté le camp pour rappeler en toute discrétion. Depuis le message reçu son ordinateur elle avait rejoué la scène plusieurs fois, un peu inquiète. Elle vérifia que la cabine téléphonique était en état de fonctionner. Quand Kervan décrocha, il y eut d’abord un silence. Pas très long. Juste le temps de respirer, de laisser les souvenirs s’arrimer les uns aux autres. L’armée, les opérations qui avaient réuni leurs unités, le rapprochement, le début d’une relation devenue floue avec le temps. Puis ils prirent des nouvelles d’une façon assez neutre. Rien de bien original à raconter. Surtout quelques sentiments à dissimuler. Attentive au ton de sa voix, Leyna le laissa ensuite lui faire un résumé. C’était synthétique. C’était du Kervan. Il lui expliqua dans les grandes lignes dans quel cadre il intervenait dorénavant et elle ne parut pas étonnée. Il aborda ensuite le véritable objet de son appel : la mission confiée par les autorités et son bien-fondé au regard du drame qui se jouait en ce moment même en France. Leyna connaissait Kervan, ses ressorts et ses sensibilités. Alors, lorsqu’il lui dit  « J’ai vraiment besoin de toi sur ce coup-là », elle resta silencieuse de longues secondes avant de lui répondre, fataliste.

— Tu sais bien que c’est fini pour moi, tout ça, Kervan. Je ne suis plus dans le trip. Ma vie est ici, au milieu de ces gosses, et tu le sais bien.

— Oui, Leyna, je le sais. Mais je sais aussi pourquoi ces gosses sont dans cette misère, pourquoi leur avenir se confond avec l’horizon de leur camp et les plaques de tôle qui leur servent de maison. C’est à cause de types comme ces deux furieux qui font de la surenchère dans l’horreur. On a le devoir de les empêcher de nuire…

— En continuant, nous aussi, à faire de la surenchère ? le coupa-t-elle. On ne s’en sort plus dans ce cas-là, Kervan. C’est un cycle infernal.

Au bout du fil, Kervan se braqua. Leurs différences idéologiques avaient souvent fait l’objet de vives discussions. Il retrouvait là les mêmes fondements.

— Ce n’est pas la même chose, bordel ! On n’est pas comme eux, Leyna. On n’a jamais tué des innocents, je me trompe ?

— Où est la différence si on regarde bien ? En agissant ainsi, on participe aussi à la mort d’innocents. Que va-t-il se passer d’après toi si tu butes ces types ? Il y en aura d’autres qui prendront le relais en voulant les venger. Et que crois-tu qu’ils feront ? Ils tueront d’autres innocents et on n’en sortira jamais. C’est ça que je veux te faire comprendre.

Leyna avait imaginé une autre discussion. Elle lui en voulait un peu. Elle aurait préféré ne jamais le rappeler.

— Alors, c’est parfait, Leyna ! s’emporta Kervan. Laissons faire et attendons en priant que les hommes deviennent sages. Ça fait des milliers d’années que l’on espère, le cul assis sur une chaise. Mais tu as raison, on n’est plus à un ou deux siècles près, pas vrai ? En tout cas, je reste persuadé qu’il faut débarrasser le monde de ces parasites. Et malgré tout ce que tu peux penser, je n’éprouve aucun regret à les exterminer. Quand un robinet fuit, il faut des gens pour passer la serpillière mais il en faut aussi pour fermer le robinet. Je fais partie de la deuxième catégorie. Maintenant, tu fais comme tu veux, Leyna. Tu peux continuer à sortir les violons et dénoncer la folie des hommes sur le ton du  « aimons-nous les uns les autres » et continuer à passer la serpillière, mais j’espère que tu ne pleureras pas quand on dénombrera des centaines de morts en France, un soir, au journal télévisé. Tu pourras te dire fièrement : « Moi, je n’ai pas participé à la surenchère ! ».

— Tu n’as pas le droit de dire ça, c’est dégueulasse !

— Alors aide-moi, Leyna, merde !

Il y eut un nouveau silence. Kervan craignait la réponse définitive de Leyna. Le pire était qu’il ne pourrait pas lui en vouloir en cas de refus. Il fit retomber la tension.

— Je te laisse réfléchir. Tu peux me rappeler à ce numéro demain si tu veux et…

Leyna ne le laissa pas finir.

— Qu’est-ce que tu attends de moi, au juste ?

 

Dans la maison de Kervan, quelque part en Provence.

 

Kervan chercha dans le paysage qui s’étendait à perte de vue, la force d’oublier un instant sa tristesse. Quand il retourna dans la maison, ce fut pour aller chercher dans le tiroir d’une commode une boîte en carton. Il en sortit un magnétophone, un téléphone encore dans son emballage d’origine, y installa une carte SIM neuve puis alla s’asseoir face au magnétophone posé sur la table. Il attendit quelques secondes et composa un numéro. Au bout de quatre sonneries, son interlocuteur décrocha.

— Allô !

Kervan ne répondit pas tout de suite, ce qui eut le don d’agacer son correspondant.

— Allô ! Qui est à l’appareil ?

— Écoutez ça, ça va vous intéresser…

Kervan approcha le téléphone du magnétophone, à l’ancienne, appuya sur la touche « play » et laissa la bande se dérouler. Il y eu d’abord un léger souffle qui se dissippa au bout de trois secondes.

« Vous voulez savoir si le Premier ministre est au courant, n’est-ce pas ? Eh bien, non. Ou plutôt, oui et non. Il sait juste que l’on a tout fait pour que la France n’apparaisse pas derrière tout ça. Il a même donné des ordres en ce sens, si vous voulez tout savoir ».

Kervan appuya sur la touche « stop ».

— Vous voulez écouter la suite ? Sachez que j’ai aussi les images. Elles sont suffisamment précises pour voir distinctement les détails inscrits sur l’étiquette de la bouteille de champagne. Bon, j’exagère un peu. Il faudrait un agrandissement pour voir le code postal du château où il a été mis en bouteille. En revanche, de face, vous êtes parfait. Pas besoin d’agrandissement.

À l’autre bout du fil, Kervan perçut une respiration lourde. De Saint-Armand accusait le coup et réalisait que maintenant Kervan avait rattrapé son retard dans ce qui était devenu une traque impitoyable où chacun serait tour à tour gibier et chasseur. Il essaya de reprendre l’initiative.

— Arrêtez ce jeu, Kervan. Vous vous attaquez à beaucoup plus fort que vous. Vous ne faites pas le poids. Vous ne serez en sécurité nulle part, ni à Abidjan ni ailleurs. Vous n’avez aucune idée de ce qui peut vous arriver si vous persistez dans cette voie.

Kervan s’appuya contre le dossier de sa chaise.

— C’est possible, mais voyons la situation sous un autre angle. Tous les deux nous allons dorénavant devoir vivre en regardant sans cesse dernière nous, je suppose que vous en êtes conscient ? Dans la rue, au pied d’un immeuble, dans les transports, un lieu public, partout. Alors posez-vous juste une question de Saint-Armand: qui de nous deux est le mieux armé pour vivre cette situation au quotidien ? Et puis, j’ai un autre avantage par rapport à vous.

Il laissa un silence.

— je n’ai plus rien à perdre…

Il raccrocha sur ces paroles en imaginant les cors raisonnant au loin au milieu des aboiements d’une meute de chiens excités.

 

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"C'était pas une bonne idée, Sam", un texte de Carine-Laure Desguin publié dans la revue AURA 96

Publié le par christine brunet /aloys

C’était pas une bonne idée, Sam

 

Dans le bureau du directeur d’une résidence pour personnes âgées. Dialogue entre le directeur et Sam, l’ergothérapeute.

— C'était pas une bonne idée, ma femme me l'avait bien dit, je revois encore sa mine déconfite lorsqu’elle a écouté vos quelques mots enragés sur la messagerie : Sam, tout cela n'annonce rien d’autre que de vilains nuages dans ce ciel bleu.

— Vous auriez dû écouter votre femme! Voyez dans quel pétrin nous pataugeons à cause de vous et de vos idées tellement artiiiiistiiiiiques?

— Mais monsieur le directeur, c'est vous-même qui avez accordé les subsides. La facture était bien détaillée. X mètres carrés de carton, des couleurs, des marqueurs, des trucs pour graver, des ...

— Taisez-vous! Tout cela me rend malade! Quand je pense que vous avez été filmé et que ces séquences passeront bientôt dans les journaux télévisés belges et puis ce sera sur TV5! TV5 Monde ! Monde, Sam !

— Pour ces autorisations-là également, monsieur le directeur, avec tout le respect que je vous dois, c'est vous qui avez signé.

— Bien sûr, tout est de ma faute! 

— J’ai pas dit ça...

— J'attends d'un moment à l'autre un mail de la hiérarchie. J'ai bien sûr prévenu les supérieurs. De toute façon, les hautes sphères ont déjà reçu des plaintes venant des familles. Vous pensez bien, une pareille situation n'a jamais existé. Et n'aurait jamais dû exister! Comment avez-vous eu cette idée saugrenue, dites-moi? L'idée est-elle bien de vous car vous me paraissiez tellement limité, parfois! Même vos  décorations de Noël ne ressemblent à rien du tout! Et ne parlons pas de celles de Pâques! Tous ces oeufs étalés n'importe où et n'importe comment...Et tous ces cœurs que vous suspendez à des rubans rouges pour la Saint-Valentin, c’est d’une banalité !

— Ce sont les participations actives de nos résidents, monsieur le directeur, ce sont eux qui décident et...

— Taisez-vous, Sam! 

— Vous me demandiez comment cette idée m'était venue...

 Soit, je vous écoute! 

 

— J'ai déjà essayé pas mal d'animations. Et rassembler vingt-cinq personnes n'est pas chose facile, les avis et les goûts divergent. La danse par exemple. Tout le monde n'aime pas la danse. Et puis il y a le tango, le rock, la valse. Rassembler vingt-cinq personnes. Et vingt-cinq, monsieur le directeur, c'est un nombre impair.

— Et alors? 

— Ben pour danser, on est souvent deux...Sans compter que la parité n'existe pas non plus. 

— Et alors? Ah oui, je comprends. Et le chant? Vous n'avez pas imaginé qu'une chorale qui passe derrière les écrans de télévision aurait été moins catastrophique que cette animation ridicule et malveillante et qui a fait de nos résidents de pauvres victimes piégées par un animateur amputé de toute empathie? 

— Le chant, oui, le chant. Mais cela demande des heures de répétition et nos résidents désertent souvent les séances qui demandent des heures d'entraînement. 

 Vous avez réponse à tout! Et qu'est-ce qui vous a pris, Sam, mais qu'est-ce qui vous a pris? 

 Cette animation rassemblait nos vingt-cinq résidents. Même les plus confus peuvent s'exprimer par la manipulation des pinceaux et des couleurs, c'est bien connu, ça. Les plus habiles ont joué avec leur stylo-graveur. Tout le monde était content, monsieur le directeur. Quant à vous, monsieur le directeur, autant de mètres carrés de ce carton biodégradable, ça ne vous a pas mis la puce à l'oreille?

— C'était écologique! On passerait à la télévision et la résidence serait mise à l'honneur! Et cette idée de tutto qui a fait le buzz sur You Tube ! Dix mille vues en un jour ! Ah pour être glorieux, c’est glorieux !

— Ben voilà, la résidence est mise à l’honneur….Et cette activité a reçu un beau succès de la part de nos résidents et extra-muros aussi puisque nous recevons des commandes.

— Taisez-vous, Sam, taisez-vous ! Jamais je ne digèrerai ça ! Ce sont des personnes âgées ! Ils le savent, Sam, qu’ils sont ici dans leur avant-dernière résidence ! Mais de là à leur faire réaliser par eux-mêmes leur cercueil en carton biodégradable, il y a de la marge, Sam, il y a de la marge ! Pourquoi pas une visite guidée dans les cimetières devant leurs futures caveaux et stèles et je ne sais trop quoi ? N’est-ce pas ?

 

— Nos résidents sont contents. Tous ravis d’avoir participé à cette séance d’ergothérapie. Pour une fois, cette activité a fait l’unanimité. Madeleine a dessiné des fleurs. Maurice a collé ses photos de famille sans oublier celles de Lapsus, son chien. Sergio a composé des mots-croisés et Marie-Charlotte a agrafé son écharpe. Mireille a…

— Taisez-vous, Sam, taisez-vous. Et puis foutez le camp d’ici, foutez-le camp d’ici !

 

Carine-Laure Desguin

 

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Nicole Graziosi nous propose un texte...

Publié le par christine brunet /aloys

« Mais enfin qu’est-ce que tu attends pour le renvoyer ce manuscrit ? L’éditeur l’a accepté ?Alors, faudrait quand-même que tu te décides ...» disait-on depuis pas mal de temps.

 

Eh bien voilà, c’est fait !

 

Le titre ? « La fille aux yeux bandés ». L’auteur : Nicole Graziosi.

 

Incessamment sous peu, va donc paraître chez Chloé des Lys « La fille aux yeux bandés », le troisième de mes livres chez ce même éditeur.

( Pour mémoire, les deux précédents sont : « Mais comment s’appelle-t-elle ? » et Tendresses et venins »).

 

Le propos ?

 

A quelques mois d'intervalle, Dorine enterre ses deux parents. Elle les enterre sans larme, sans chagrin, sans émotion. « Je n’ai que le chagrin de n’en pas avoir » nous dit-elle. Pourquoi une telle prise de distance ?

 

Au fil de sa vie revisitée, ses yeux s’ouvrent sur les diffamations hypocrites dont elle fut l’objet. De chocs émotionnels en révélations sournoises, elle découvre une vie parallèle créée de toutes pièces et qui lui est totalement étrangère. Dès lors, sa vie est dominée par son désir de comprendre les motivations de ceux qu’elle ne se résout pas à appeler autrement que ses « géniteurs ».

 

Extraits :

Si quelqu’un désire prononcer quelques paroles ... Nul n’en a manifesté l’intention. J’y ai bien songé, un peu, mais qu’aurais-je pu dire ?

« Que le diable t’emporte furent tes dernières paroles à mon intention. Il t’a emportée avant moi. Je te laisse en pays de connaissance. Je te laisse dans ses mains. A diable donc ! »

On nous a dit « Il est très tard. Il ne faut pas attendre parce qu’on va fermer. Venez chercher l’urne demain. Cette façon de nous éconduire était un peu choquante. Grève ou pas grève. Canicule ou pas canicule.

Mon coeur n’est que cendre. Cendre de ce que j’aurais pu, cendre de ce que j’aurais dû.

Des « il faut pardonner », des « il faut accepter », des « c’était quand même votre mère », j’en ai entendu. Trop. Les gens m’ennuient avec leur feinte compassion, avec leurs tons larmoyants, leurs phrases toutes faites, ils m’ennuient avec leurs mines éplorées. De quoi se mêlent-ils, à la fin. Ils aiment renifler du chagrin ? Alors il leur faut frapper à une autre porte. Ici, il n’y a pas de chagrin. Il n’y a pas de regret. Il n’y a pas de larmes. Il n’y a rien.

 

............................

 

Il y eut ma rencontre avec les allemands. Pour revenir de l’école, j’avais opté, ce jour-là, pour l’itinéraire qui comportait un morceau de la « Vieille Route» toujours déserte. Elle était bordée de hauts murs de pierres entre lesquelles avaient germé quelques graines de fleurs. Soudain, à un tournant, je vis des soldats allemands.

Je savais qu’ils étaient des méchants, que les gens se plaignaient de devoir par leur faute manger du pain noir et des topinambours, qu’il fallait faire d’interminables queues pour se procurer un petit bout de viande ou quelques grammes de beurre.

Je n’ignorais pas qu’en allant à Grenoble, même les femmes enceintes et les vieillards devaient quitter le tram à La Tronche, quel que soit le temps, et traverser à pied le Pont de l'Hôpital après avoir subi une fouille minutieuse.

 

Tout le monde connaissait l’histoire de ce monsieur qui, à la question

« pistolett ? » du soldat qui avait palpé dans la poche de son pantalon un objet inquiétant, lui avait répondu goguenard « non, non, pipe !» alors que de peur, son voisin claquait des dents ».

.......

J’avais tout cela en tête, ce jour-là, lorsque je me retrouvai face à l’ennemi. Ils étaient en grand nombre, ces soldats, alignés sur le bord droit de la route, fusils bien parallèlement pointés vers son milieu. Que faire ? Demi-tour et prendre l’autre chemin ? C’eut été avouer ma peur. Je continuai donc. Lorsque je fus bien engagée sur ma trajectoire, un cri me fit sursauter, puis la moitié des soldats se porta sur le côté gauche, fusils dirigés vers la route, dans un bruit de bottes assourdissant pour mes jeunes oreilles. Je fis ainsi le chemin au milieu des fusils, sans broncher, sans accélérer, sans les regarder. Ce ne fut qu’une fois sur le chemin, abritée des regards par une haie de lauriers, que je me mis à courir. Mon acte de bravoure, je le gardai secret. Ce fut ma fierté.

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Christian Eychloma nous propose une nouvelle "Contretemps"

Publié le par christine brunet /aloys

Contretemps


 

Frédéric, dit Frédo, entrouvrit les paupières pour les refermer aussitôt. Puis il renifla avec un haut-le-cœur un air qui puait le moisi. Il demeura quelques minutes hébété, la tête vide, avant de se rappeler brusquement où il se trouvait. Il ouvrit les yeux, en grand cette fois.

Le labo n’était que très faiblement éclairé par une rangée de veilleuses. Plutôt étonné, il se débarrassa de son cathéter et se redressa péniblement, soulevant un petit nuage de poussière en posant ses avant-bras sur les bords de son sarcophage. Quand donc les techniciens de l’équipe de suivi en avaient-ils fait coulisser le couvercle ? Et pourquoi n’y avait-il personne ici pour l’assister pendant sa phase de réveil ?

Il ressentit cruellement le froid sous son fin pyjama bleu. Il avait l’impression de s’être allongé dans cette foutue boîte il y avait à peine une heure ou deux, sous la lumière des néons. Après avoir dit adieu à tout le monde, et surtout à sa femme, en pleurs mais résignée. Après tout, il n’anticipait son départ pour « le grand voyage » que d’une semaine tout au plus, ce qu’elle n’ignorait pas. Les médecins ne les avaient laissés sur aucune illusion en leur annonçant son décès imminent.

Considérant l’état de l’art en matière médicale, il était condamné à très brève échéance. Irrémédiablement. L’état de l’art du début du vingt et unième siècle, s’entendait ! Car c’était sans compter avec les toutes récentes techniques d’hibernation, mises au point pour les futures missions spatiales de longue durée. Et, coup de chance, on cherchait justement un cobaye. Alors, autant tenter le coup…

Les toubibs lui avaient fait valoir que, puisqu’il allait mourir, il n’avait absolument rien à perdre à s’en remettre aux progrès de la science et à les laisser « geler » ses processus biologiques pendant qu’il vivait encore. Et dans un siècle ou deux, qui sait, on le réveillerait en lui annonçant la bonne nouvelle. Son mal ne serait plus incurable. Il aurait à nouveau devant lui trente, quarante, cinquante ans d’une existence en parfaite santé, peut-être plus !

Bon… tous ceux qui auraient fait partie de sa vie, ses amis, ses parents, ses enfants, son épouse, tous seraient morts depuis longtemps. Cette idée, plus une certaine appréhension de ce à quoi ressemblerait cette société future qui, peut-être, l’attendait, l’avait beaucoup dérangé. Mais valait-il mieux carrément choisir le néant ?

Et maintenant, où en était-il, au juste ? Dire que quelque chose était allé de travers lui apparut comme un doux euphémisme. De plus en plus inquiet, les jambes flageolantes, se guidant dans la pénombre sur le panneau lumineux indiquant la sortie, il s’approcha lentement du pupitre de contrôle dont les équipements bourdonnaient faiblement.

Fichtre… cela devait faire un bout de temps que le ménage n’avait pas été fait. Écartant machinalement de la main une toile d’araignée, il se pencha sur l’écran éteint de la console et remua ce qui ressemblait à un dispositif de pointage pour provoquer l’affichage d’un genre de tableur, s’étonnant un peu de retrouver un environnement technologique somme toute assez familier.

Clignant des yeux, il regarda de plus près ce qu’il finit par reconnaître comme un calendrier. Et là, il sentit son cœur faire un bond. Était-il juste en train de rêver ? Était-il vraiment en 2421 ? Mais si tel était le cas, depuis quand le bâtiment était-il abandonné ? Et pourquoi ? Et comment se faisait-il alors qu’il y eût encore une alimentation électrique, aussi réduite fût-elle ?

Les panneaux solaires, bien sûr. Ces fameux « nouveaux » panneaux à la durée de vie faramineuse et qui avaient apparemment assez bien tenu leur promesse. Mais au fait, considérant l’absence de tout technicien dans les parages, qui donc avait pris la décision de le réveiller, et pourquoi ? Il se souvint alors du dispositif de sécurité dont on lui avait parlé et qui était justement prévu pour provoquer sa sortie d’hibernation en cas de baisse de tension durable…

Il se redressa en se tenant le dos, sentant peu à peu ses anciennes douleurs refaire surface. Au moins n’avait-il plus rien senti pendant ces quelques heures, heu… ces quatre siècles de sommeil artificiel ! Il s’agissait maintenant de comprendre ce qui avait bien pu se passer, et pour ceci aller évidemment jeter un coup d’œil dehors…

Essayant d’imaginer à quoi pouvait bien ressembler une ville du 25e siècle, il clopina vers la sortie du labo et tira aussi fort qu’il le pouvait sur la porte qui résista. Serrant les dents, il tira encore et encore, par petites secousses. Lorsque la porte consentit enfin à s’entrouvrir, il s’aperçut qu’elle était bloquée par des ronces. Grand Dieu… depuis combien de temps l’avait-on oublié là ? Après bien des efforts, il parvint à ouvrir suffisamment pour se faufiler à l’extérieur. Et la surprise le cloua sur place.

Une espèce de jungle - comment aurait-il pu appeler ça ? - lui barrait la route de tous côtés en lui masquant presque complètement la vue du ciel. De grands arbres et des lianes enchevêtrées, d’épais fourrés, et une dense végétation recouvrant par endroits le toit de l’édifice. Et des chants d’oiseaux. Beaucoup de chants d’oiseaux. Il sentit une boule se former dans son estomac.

Il essuya la sueur qui perlait à son front sous l’effet de la chaleur soudaine et se mit à réfléchir à toute vitesse. Il se souvenait évidemment de ce à quoi ressemblait ce coin comme s’il venait à peine de le quitter. Le complexe universitaire offrait une vue magnifique sur la ville que l’on pouvait apercevoir en contrebas, depuis un belvédère tout proche. C’était tout droit. C’était là qu’il devait aller s’il voulait avoir une première idée de ce qui avait bien pu arriver.

Il repéra sur sa droite un espace moins touffu qui pourrait peut-être lui permettre d’y accéder. Il se glissa avec peine entre les troncs, écartant au passage les branches qui lui griffaient le visage et chassant involontairement des tas de petits animaux qui fuyaient à toute vitesse à travers les fougères. Fourbu, les pieds ensanglantés, le pyjama déchiré, il parvint enfin au bord d’un ravin.

Paralysé de stupeur, il demeura longtemps hagard, contemplant sans y croire l’immense forêt s’étalant à une centaine de mètres en-dessous. Hormis quelques « protubérances » pouvant faire penser à ce qui resterait d’anciennes tours, rien, absolument rien, ne subsistait de ce qu’il venait de laisser au 21e siècle. La nature avait apparemment partout repris ses droits. Plus âme qui vive dans un paysage de commencement du monde. Plus âme humaine, en tout cas… Il se retourna brusquement en entendant un grognement sourd. Non, plusieurs grognements.

Des loups ? Des chiens, à mieux les regarder. De plus en plus nombreux. Toute une « meute », en fait. De gros chiens plus que menaçants, babines retroussées sur de puissants crocs. Une espèce visiblement redevenue sauvage et ayant de toute évidence, depuis belle lurette, oublié son attitude servile et sa crainte de l’homme. Des fauves s’apprêtant tout simplement à le dévorer.

Il était sans arme, malade, exténué, aussi dépourvu de défense qu’un nouveau-né. Avec un rire d’autodérision, il fit face au vide et sauta.

Il lui sembla que la chute durait longtemps, longtemps, avant un choc terrible et une douleur fulgurante. Puis… plus rien.

Frédo venait de se rendormir. Pour l’éternité.

 

 

Publié dans Textes, Nouvelle

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'Un départ sans bagage', un texte signé Carine-Laure Desguin publié dans la revue Aura 96

Publié le par christine brunet /aloys

Un départ sans bagage


 

Edwine de Chartroye et Marie-Chantal de Bassecour, à l’heure du thé, dans le château de cette dernière.

Edwine (déposant sa tasse de thé et s’essuyant délicatement les lèvres).C’est extraordinaire, n’est-ce pas Marie-Chantal ?

Marie-Chantal (rivant le regard tantôt sur son ordinateur tantôt vers son amie). Diantre, je ne décroche pas de toute cette effervescence ! Quelle bonne idée très chère que d’avoir suscité ma curiosité envers une telle richesse, Gontran et moi sommes si seuls parfois dans notre château. De nos jours, les serviteurs sont avares et préfèrent rentrer chez eux le plus tôt possible et les ambiances ici deviennent plates et moroses, vous comprenez. Les soirées d’hiver sont tellement longues devant la grande cheminée en marbre de Campan, hélas éteinte. Mais depuis que nous surfons, chacun de notre côté, je le précise, nous activons nos neurones et de ce fait, chère amie, nous oublions le froid qui envahit nos vieilles pierres. Quelle économie ! Gontran est très heureux de tout cela, je ressens encore de petits frissons qui me secouent le corps mais le froid, ce froid hostile et sans pitié qui vous transperce les os et vous empêche toute réflexion est désormais largement occulté. Mes doigts s’agitent sur le clavier et tout my body se réchauffe. Quelle économie d’énergie ! Gontran vous remercie mille fois ! Thank you very much ! Il aurait aimé vous faire part de sa gratitude de vive voix mais il est retenu, m’a-t-il certifié, par le vicomte de Neuville, une affaire de terres agricoles. Vous savez, les affaires sont les affaires.

Edwine. Oui, je comprends. Et donc très chère Marie-Chantal, vous avez trouvé votre bonheur devant cet écran. C’est ainsi que les pauvres survivent, en surfant sur le Net. Ils ne peuvent s’offrir la vraie vie, celle où l’on change de sac Delvaux chaque soir ou presque, lors d’un dîner à la Tour d’Argent, par exemple. Alors les pauvres végètent sur le virtuel, c’est moins cher. Le savez-vous que les pauvres adorent surfer ? Ils voyagent à bon compte….

Marie-Chantal (s’efforçant malgré elle de fermer l’écran de son PC). Oui mais eux ne cessent de se plaindre ! Tandis que moi, je me régale. Si vous saviez tout ce que je lis sur ces réseaux !

Edwine (étonnée). Ah, vous connaissez donc ce qu’on nomme « les réseaux » ?

Marie-Chantal (l’air gêné et se résignant à éteindre son ordinateur). Très chère, on reproche assez souvent à la noblesse de ne pas être proche du peuple. Ce triste fait est désormais de l’histoire ancienne. Pour ma part, je connais tous les soucis de mes voisins les plus démunis.

Edwine (de plus en plus étonnée). C’est affreux ce que vous dites là! Ne vous focalisez pas sur les soucis des pauvres ! Marie-Chantal, pour l’amour du ciel, ne vous méprenez pas !

Marie-Chantal (déterminée dans ses explications). Affreux ? Pensez-vous ! Les pauvres sont comme nous, le saviez-vous ?

Edwine (qui n’en finit pas d’être étonnée). Les pauvres seraient comme nous ? Quelle horreur ! Nous ne sommes quand même pas comme ces gens-là ! Marie-Chantal ! Rassurez-moi !

Marie-Chantal. (sur un ton professoral). Non, je veux dire que leurs soucis sont identiques aux nôtres. Tout comme nous, ils ont des fins de mois difficiles. Se chauffer, se nourrir, se vêtir, tout cela reste un véritable tour de force. Tout comme nous, leur façade tombe en lambeaux et ils connaissent même la mise en place des seaux dans le grenier afin de récolter les eaux qui fuitent de leur toiture. Mais ils sont tellement primaires qu’ils ne pensent même pas à s’en servir le matin pour leur toilette ! Quel gâchis ! Et j’en passe !

Edwine (l’air dubitatif). C’est merveilleux de votre part, Marie-Chantal, de lire toutes ces doléances. Tout cela enrichit votre contribution aux œuvres de bienfaisance, en quelque sorte. Et donc les gens du village dialoguent comme ça, tout de go, avec vous ?

Marie-Chantal. Ah mais sur les réseaux, je ne m’appelle pas Marie-Chantal de Bassecour !

Edwine. Ah non ?

Marie-Chantal. Edwine, c’est vous qui m’aviez initiée aux joies de ce monde virtuel et vous semblez tout découvrir tout à coup !

Edwine. C’est que très chère Marie-Chantal, Charles-Edouard limite mes voyages virtuels…

Marie-Chantal (qui prend l’air malicieux d’une personne très fière d’elle). Ah, si j’écoutais Gontran, je serais moi aussi limitée ! Si Gontran savait que je me connecte aux réseaux, il serait furieux ! J’use donc de subterfuges. J’ai bien accès à ces leçons quotidiennes d’English, oui, oui, mais…

Edwine. Je ne vous comprends pas.

Marie-Chantal. Très chère, croyez-vous que Marie-Chantal de Bassecour serait la bienvenue sur Facebook ? Non, bien sûr ! Sur les réseaux, je me nomme Chantal Poulette !

Edwine. Chantal Poulette ? Et votre photo ? Vous n’avez donc pas intégré une photo à votre profil ?

Marie-Chantal. Cela serait bien trop risqué. Les pauvres ne m’en diraient pas assez, ils ont une certaine retenue devant la noblesse, vous ne l’ignorez pas. Ils nous gratifient de salamalecs ridicules, de fausses belles manières, et j’en passe. Lorsqu’ils s’adressent à Chantal Poulette qui a comme photo de profil une crête de coq, cela les met en confiance et ils étalent alors toutes leurs préoccupations quotidiennes. Cela est très comique.

Edwine (ébahie). Et tout cela est autorisé ? C’est quand même une usurpation d’identité !

Marie-Chantal. Vous connaissez une Chantal Poulette, Edwine ?

Edwine. Non, je viens d’apprendre que c’était vous !

Marie-Chantal. Eh bien dans ce cas, il n’y a pas d’usurpation d’identité, c’est aussi simple que cela ! Et donc, ce pauvre Gontran est à mille lieues de s’imaginer qui je côtoie. Il serait furieux. Mais j’ai tellement de plaisir à lire tous ces commentaires plus loufoques les uns que les autres. Ah, si vous saviez ce que ces gens-là écrivent. Enfin, écrivent…disons qu’ils… griffouillent… Edwine, c’est pourtant vous qui m’avez initiée à ce monde virtuel. Et vous, que lisez-vous sur le Net ?

Edwine. Oh vous savez, moi…En fait, je m’occupe du courrier de Charles-Edouard, je réponds aux mails de ses différentes sociétés. C’est ainsi que j’ai découvert que certaines de ses sociétés n’étaient que des façades, elles n’existaient pas. Tout comme Chantal Poulette…

Marie-Chantal. Quelle horreur ! Vous travaillez alors ! Je l’ignorais !

Edwine. Travailler, travailler, c’est un bien grand mot. Disons que je classe tous ces mails. Je trie.

Marie-Chantal. Et c’est tout ? C’est si fade tout ça.

Et bla bla bla et bla bla bla.


 

Dans un pavillon de chasse à deux pas du château, Charles-Édouard de Chartroye et Gontran de Bassecour discutent fermement.

Charles-Édouard. Mon cher Gontran, c’est la stricte vérité, j’ai découvert cela par hasard. Je pourrais ouvrir mon ordinateur et me connecter à ce réseau tellement médiocre parce que populaire afin de vous prouver tout cela mais…

Gontran. Je vous crois, je vous crois. Chantal Poulette ! Quel horrible pseudonyme ! Tout mais pas ça ! Que Marie-Chantal se surnomme « Princesse de Noailles », la « du Barry », la « Montespan » à la rigueur, mais Chantal Poulette…Comment est-il possible de choir si bas ?

Charles-Édouard. Je ne vous le fais pas dire !

Gontran. Et que préconisez-vous ? Je me sens tellement désarmé face à cette situation…qui ne peut durer plus longtemps ! Votre Edwine trifouille dans toutes vos affaires administratives et ma Marie-Chantal ridiculise le nom des de Bassecour en se nommant Chantal Poulette ! Poulette ! Quel gâchis ce progrès technologique, quel gâchis !

Charles-Édouard. Il faut que toutes deux, elles quittent le Net, ni l’une ni l’autre ne peuvent continuer ces simagrées ! Et de votre côté, estimez-vous heureux que Marie-Chantal ne s’immisce pas dans vos affaires personnelles…

Gontran. Vous avez raison mon ami. Elles doivent s’éloigner au plus vite de cette planète virtuelle. Dès demain, j’annule abonnements et connexions. Tant pis pour les cours d’anglais, le peuple a assez ri des de Bassecour ! Et vous, cher ami ?

Charles-Édouard. Idem ! Il n’est plus question qu’Edwine décortique toutes mes magouilles administratives. Dès demain, j’annule également abonnements et connexions ! Nos épouses doivent quitter Internet et au diable le monde numérique !

Carine-Laure Desguin

 

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