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Texte signé Carine-Laure Desguin paru dans la revue AURA 115 "De mal en pis" pour le thème LE CERCLE

Publié le par christine brunet /aloys

 

De mal en pis

 

 

   Vous me convoquez. Je réponds positivement malgré la montagne de boulot que je dois attaquer d’un moment à l’autre. J'attends dès lors depuis trente-cinq minutes dans une salle non chauffée qui ressemble à un cube vide. Un 24 novembre à dix-huit heures. Et à présent que je suis face à vous, monsieur ? monsieur ? monsieur le commissaire ? je ne connais pas plus la raison de ma convocation que votre nom ou votre grade. Vous pianotez sur votre ordinateur les infos que vous lisez sur ma carte d’identité via un autre ordinateur. Mon groupe sanguin, ça vous intéresserait de le connaître? Et mon ADN, ça vous dit ?

   Ne vous emballez pas. C’est compliqué.

   Compliqué ? Expliquez-moi alors.

   Votre carte d’identité.

   Je l’ai renouvelée à temps.

   Oui. La date est correcte.

   Vous vous moquez de moi !

   Pas vraiment, non. Steve Raf, vous connaissez ?

   Oui, c’est moi !

   Votre carte d’identité, une fois introduite dans le décodeur, signale que vous vous appelez Paul François.

    Ah ah ah, je suis écrivain. Steve Raf, c’est mon pseudonyme ! Parce que Paul François, c’est pas … vous comprenez.

    Non, je ne comprends pas, monsieur François.

    Steve Raf, ça donne une touche amerloque. J’écris des romans policiers, vous comprenez, alors les meurtres qui pullulent et le sang qui pisse, ça me connaît.

    Ça tombe à pic.

    Ah ?

    Vous ne comprenez toujours pas ?

    Arrêtez de tourner en rond et soyez direct. Du boulot m’attend, je ne suis pas un glandeur moi monsieur.

    C’est au sujet du meurtre. Dans cet appartement juste au-dessus du vôtre. Le meurtre de cette veuve, madame Crépillon.

    Tout ce que je sais je l’ai dit mille fois. J’étais absent à cette période-là. Je ne peux rien dire de plus. Je ne connaissais pas cette dame. Et puis, cette histoire est révolue, jetée aux oubliettes. Trois mois, ça fait bien trois mois que cette pauvre dame mange les pissenlits par la racine.

    Expliquez-moi alors comment un tapuscrit signé Paul François se trouvait dans le coffre de la victime. Dans le coffre d’une banque que je ne vous citerai pas.

    Vous plaisantez ?

    J’ai l’air de plaisanter ? Et puis, dites-moi, vous aussi vous tournez en rond. Vous dites ne pas connaître la victime. Un tapuscrit signé Paul François est découvert dans le coffre de cette victime. L’histoire, je l’ai lue. Elle mentionne le nom d’Yvonne Crépillon, justement. Yvonne Crépillon, assassinée lâchement. Par un hula-hoop tourné 314 fois autour de son cou. Et, vous ne l’ignorez pas, la victime a été étouffée de cette façon. Je continue ?

   Je ne comprends pas. Je n’ai pas écrit cette histoire. Je m’en souviendrais quand même !

   Soit. Demain matin, une perquisition aura lieu chez vous. J’attendais autre chose de vous lors de cet entretien. Pour un écrivain, vous manquez d’imagination, vraiment. Et vous ne me demandez même pas le titre de ce livre. C’est qu’alors, vous le connaissez, non, ce titre ?

   Non, je suis comment dire … éberlué d’apprendre tout ça. Le titre ? Quel est le titre de ce livre ?

   Sans doute un titre provisoire car non pas écrit sur une ligne droite mais écrit sur la circonférence imaginaire d’un cercle, écrit en rond quoi.

   Un cercle dites-vous ?

   Oui, étrange n’est-ce pas ?

   Mais quel est ce titre, putain, quel est ce titre ?

   Il faut tourner la tête pour lire ce titre, presque se la dévisser.

   Putain, quel est ce titre ?

   Trois virgule quatorze.

   Trois virgule quatorze ?

   Oui, Trois virgule quatorze.

   Je pensais à un autre titre, diamétralement opposé.

   Et vous semblez en connaître un rayon, malgré tout. Étrange tout ça.

 

Carine-Laure Desguin

http://carineldesguin.canalblog.com

Publié dans Article presse, Textes

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Christina Prévi vous propose un extrait de « Un soir de lune » (Extrait de son recueil Parenthèses singulières)

Publié le par christine brunet /aloys

 

Félix n’ouvrait plus la porte, il s’enfermait chez lui, inconsolable. Chaque soir, il replongeait dans un abîme sans fond. Ses amis avaient essayé de l’en sortir, son jeune frère avait tenté de l’associer à son bonheur. Il n’espérait pas un oubli total, mais qu’au moins son frère retrouve, si possible, du goût pour la vie de famille. Il aurait aimé partager sa joie avec lui, devant le babillage de son petit garçon de 9 mois.

 

Peine perdue, Félix s’enfonçait dans la mélancolie, et ce, depuis ce funeste accident et personne ne pouvait l’en extraire. Sa femme Leslie et leur fillette de deux ans lui avaient été arrachées et cette réalité-là était irrémédiable. Il ne leur parlerait jamais plus, n’enfouirait plus son visage dans leur chevelure. Au seul souvenir de leur doux parfum, il ressentait atrocement cette double absence.

 

Sa vie n’avait plus ni saveur, ni intérêt et rien ne le reliait au présent. Après le drame, il avait été abruti de calmants pour ne pas hurler sa douleur, continuer à respirer, tout simplement… Une mort de plus aurait été insoutenable pour ses proches, on avait du l’en convaincre ; ses chères disparues, auraient-elles apprécié de le voir se détruire ? Dans le cas inverse, n’aurait-il pas souhaité que Leslie survive à sa peine ? Félix s’était rangé à la raison et faisait bonne figure…

 

Chaque soir, il replongeait dans un douloureux hébétement. Il ne s’éclairait plus, n’ouvrait à personne… Il cultivait son isolement dans la pénombre, devant le fauteuil rouge du salon, où trônait une photo de Leslie. Il la revoyait, lovée dans ce siège, du temps ou elle nourrissait encore Lilla au sein. Et à droite du fauteuil, sur la chaise d’enfant, un portrait de la fillette était appuyé au dossier.

 

Sitôt la porte refermée, Félix lançait d’une voix creuse : « Bonsoir mes chéries ! » Il allumait la veilleuse, s’asseyait face à leur image et leur faisait la conversation, il buvait un verre d’eau, oubliait parfois de manger, s’endormait sur place, y passait la nuit… Au matin, il refaisait les gestes routiniers, indispensables pour tenir debout : se doucher, se changer, un café, une biscotte, les clés « Au revoir mes chéries ! »

Il mettait le contact, se rendait au boulot. Il honorait ses tâches et répondait aux questions, il ne brillait ni par zèle ni par négligence. Il s’éteignait lentement, faisait juste ce qu’il devait, ce qu’il fallait, rien de plus, rien de moins.

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Bénédicte Decleye nous propose quelques textes extraits du recueil "A tendre vers toi - A la vie, à la mort"

Publié le par christine brunet /aloys

 

 

L’haptonomie

    En suspens, en éveil

Je te sens ! ma merveille…

Ressenti, dans mes hanches

Cette nuit, mon cœur flanche

Papillon de mes veilles

Ce temps long,

Ces réveils

Me sont

Précieux

 

 

 

L’orphané*

Je te porte, encore

Dans mes bras, dans mon corps

Mon petit, tout petit trésor

A la vie, à la mort

 

Materni thé

– la monoparentalité -

La journée avait été longue. Lassante. J’étais fourbue, de ces fatigues qui coupent les jambes et cassent le dos. J’avais froid. J’étais à bout. Si j’avais eu le choix, j’aurais rejoint mon lit, immédiatement. Je rêvais de me rouler en boule, pelotonnée. Lâcher prise de tout. Mais je suis une maman. Séparée. De trois jeunes enfants. A 18 heures, la journée n’était pas encore achevée…

 

L’envol

Et parfois, les mots manquent

Pourtant, il faut les exhumer

De son cœur, de son ventre, béants

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Micheline Boland nous propose un texte pour la période de Noël: "Substitution"

Publié le par christine brunet /aloys

Substitution

 

Des brindilles, de bien maigres bûchettes et rondins, ils n'avaient plus guère que cela à pouvoir apporter. Ils avaient dépensé tout leur avoir pour acheter ce bahut dont l'envie leur brûlait le cœur et la pensée depuis quelques mois. Ils avaient espéré que l'hiver serait clément et qu'ils auraient peu de frais de chauffage et de vêtements. Ils avaient eu l'audace de compter sur la bienveillance du temps et des éléments naturels. Ils n'avaient pas envisagé qu'ils allaient être invités pour Noël chez des voisins auxquels ils devraient, comme c'est l'habitude dans leur région, offrir une bûche du plus bel effet et du meilleur bois. Ce cadeau était, en ce temps-là, le seul partage matériel des frais du réveillon.

 

Ces misérables branchages qu'ils avaient récoltés dans les endroits boisés des environs, jamais ils n'oseraient en faire don. Ils étaient tout juste utiles à pouvoir cuisiner et à réchauffer un peu leur foyer le soir venu, quand le travail terminé ils se laissaient aller à la rêverie au coin de l'âtre sous une douce couverture. Pour ces activités, peu importait, en effet, la présentation du combustible, seuls comptaient les résultats. Pour illuminer un réveillon de Noël, il s'agissait, cependant, de faire un présent non seulement fonctionnel, mais aussi ravissant. La forme avait, ici au moins, autant d'importance que l'usage prévu.

 

Alors ils firent appel à leur imagination pour dissimuler leur pauvreté du moment. Elle pensa broder un napperon représentant une bûche ou encore en graver une sur un petit panneau qu'elle possédait. Elle imagina aussi donner de modestes rondins individuels, joliment emballés dans un papier qu'elle décorerait avec soin, afin que chacun au moment opportun alimente le feu. Mais il estima que cela n'aiderait pas vraiment leurs hôtes à réduire leurs dépenses. Tout cela était juste symboliquement acceptable. De manière tangible, cela ne faisait pas le poids avec l'offrande traditionnelle.

 

Comme ils avaient des œufs, de la farine, de la confiture, du sucre et du lait, elle proposa de réaliser un gâteau ce qui serait une réelle contribution personnelle au repas et ne révélerait aucunement leur précarité actuelle. Il accepta son initiative, tout en l'invitant à donner au gâteau la forme de l'objet attendu.

 

Elle roula donc sa pâte après l'avoir soigneusement aplatie et garnie d'un peu de confiture. Elle orna son œuvre de nœuds et d'un entrelacs en confiture représentant les veines et les aspérités d'une écorce.

 

D'un air joyeux, ils offrirent leur délicieuse pâtisserie, prétextant qu'un peu de renouveau ne fait jamais de mal à personne.

 

Leur innovation eut tant de succès que bientôt à travers le pays tout entier, puis à travers quantité de contrées de plus en plus lointaines, de tels gâteaux furent confectionnés. Ces pâtisseries furent par la suite garnies de crème au beurre, nappées de moka ou de chocolat, fourrées aux marrons. Leur base devint une génoise moelleuse à souhait, tant l'homme cherche à améliorer ses créations.

 

Qui penserait que l'origine de la coutume fut un manque provisoire de ressources ?  Qui oserait prétendre qu'il n'y a point d'issues heureuses aux imprévus de la vie ?

 

Qu'un chemin soit inabordable, nous en trouverons tous bien un qui nous conduira d'une manière différente vers cet endroit où nous espérions aller. Notre imagination n'est-elle pas notre plus sûr allié ? Notre capacité à découvrir tant d'autres voies n'est-elle pas ce qui nous rend uniques parmi tous les êtres de la création ?

 

Micheline Boland

 

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Benoît Jacquemart nous propose un autre extrait de son roman "Les oiseaux de Lunga"

Publié le par christine brunet /aloys

Le train remontait paresseusement en direction d’Inverness. C’était un long voyage qu’avaient entamé un monsieur d’âge déjà avancé et la dame qui l’accompagnait. Elle ressemblait à une gouvernante. Une gouvernante moderne, qui trimballait un énorme sac à dos, en plus d’une antique valise, laquelle devait appartenir au vieux. Celui-ci portait un petit sac de voyage en tweed qu’il serrait la plupart du temps contre lui.

Leur présence et leur aspect pouvaient paraître incongrus mais ici, personne ne se posait de question. Ils devaient être anglais, ou même continentaux, tout le monde s’en fichait, ça les regardait. L’homme, un peu plus de 70 ans, portait un costume qui devait avoir au moins la moitié de son âge. Une cravate en tartan lui donnait un air local, mais c’était sans doute une coquetterie due à son passage par l’Écosse. Il arborait une chevelure encore bien fournie, châtain clair, à peine striée çà et là de quelques fils gris, surtout près des tempes. Un bel homme, avait noté une contrôleuse de ScotRail.

La gouvernante était une femme entre deux âges, au visage plutôt avenant. Elle avait des cheveux très blonds coupés en carré avec une frange qui lui cachait une partie du front, mais pas les yeux, d’un vert profond. Elle n’avait pas l’image de la gouvernante des vieux romans anglais, au chignon strict et à la tenue qui l’était tout autant. Elle avait toutefois sacrifié à cette antique tradition en portant un tailleur anthracite dont la seule fantaisie était une discrète collerette en dentelle noire. Elle portait aussi d’épais bas foncés et des escarpins qui semblaient presque des chaussures de marche. Mais si on ne s’attardait pas trop longtemps à détailler l’accoutrement de la dame, elle passait inaperçue. Ce qui était bien le but. Seul l’énorme sac à dos semblait totalement déplacé dans le portrait que l’on pouvait se faire du personnage, mais si l’on mettait ce détail sur le compte d’une excentricité somme toute très british, l’attention que l’on aurait pu lui porter était de courte durée.

Adélaïde Piraumont et Anthelme, son père, avaient mis un soin particulier à peaufiner leur nouvelle apparence, celle qui leur permettrait de disparaître définitivement. Ils étaient méconnaissables pour des gens qui ne les auraient jamais vus et même si, par extraordinaire, un portrait d’eux était diffusé sous forme d’avis de recherche, il y avait peu de chance que quiconque se souvienne du vieux et de sa gouvernante, dans un train en route pour le nord de l’Écosse. Surtout que, espéraient-ils, si un avis de recherche venait à être diffusé, cela ferait déjà plusieurs jours qu’ils auraient terminé leur voyage en train.

 

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Un texte signé Louis Delville "La nuit"

Publié le par christine brunet /aloys

LA NUIT

 

Jérôme avait peur du noir et rien n'y faisait : pas plus les menaces que les encouragements, les cadeaux que les sourires.

 

Cela a commencé vers ses quatre ans. Ses parents avaient fêté le réveillon de Noël chez les voisins en le laissant seul. Oh, pas longtemps ! Papa ou Maman étaient venus toutes les heures et tout se passait bien jusqu'à minuit et quelques minutes, les vœux, l'échange des petits cadeaux, le champagne. Tout cela avait retardé la présence rassurante et Jérôme réveillé par le bruit s'était retrouvé tout seul. Bien sûr, il n'avait rien dit : à quatre ans on est grand et fort, mais le mal était fait.

 

Pas question d'aller dormir après dix heures du soir, pas de dancing avec les copains et les copines. À chaque occasion, Jérôme trouvait un bon prétexte.

 

La vie vous offre de ces cadeaux…Jérôme a rencontré Catherine qui tout comme lui a peur de la nuit. Ils se sont mariés, leurs deux enfants sont nés en plein jour et la famille est heureuse. Jérôme qui travaille pour un grand parfumeur vient de recevoir une promotion : créer un parfum pour un grand couturier, John Helaga. Il rencontre le maître qui lui donne des indications sur ce qu'il veut. Jérôme se met au travail. Pendant des semaines, il peaufine "son" bébé. Il rend visite au couturier et ils décident ensemble de la suite. 

 

De petites touches en petites touches, le parfum s'améliore, devient plus subtil, plus fin, jusqu'au jour où il plaît à son créateur et à John Helaga. Reste à trouver un nom. On fait appel aux meilleurs publicistes. Rien, il n'en sort rien. C'est Jérôme qui propose : "Et si on l'appelait La Nuit ?"

 

Bingo ! John Helaga est emballé. Cela correspond parfaitement à sa prochaine collection qui fait la part belle à la couleur noire !

 

Succès! Formidable, génial, mariage réussi. Les titres des journaux sont enthousiastes. Jérôme et John, John et Jérôme, on ne parle que d'eux !

 

Croyez-moi, ou ne me croyez pas, depuis ce jour Jérôme n'a plus peur la nuit. 

 

On se demande bien pourquoi ! 



 

Louis Delville

 

Extrait de "La vraie vérité"

 

 

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"La manifestation", un texte signé Micheline Boland

Publié le par christine brunet /aloys

LA MANIFESTATION



 

Patrick qui souffrait d'allergies avait l'intention de participer à une manifestation ayant pour objectif de défendre la liberté sanitaire et m'avait invitée à l'accompagner. Patrick refusait de se faire vacciner contre la covd-19, c'est ce qui le poussait à se joindre au rassemblement. Il m'avait dit : "J'espère juste qu'on pourra ainsi faire bouger les choses et qu'on ne s'en prendra plus à nos libertés en nous obligeant à présenter un pass sanitaire." J'avais rencontré Patrick au cours d'une soirée d'anniversaire chez des amis et j'étais tombée sous son charme. Très vite, nous avions débuté notre histoire. Patrick était un artiste : il faisait du théâtre et du chant choral, peignait et travaillait comme décorateur d'intérieur dans la petite entreprise de ses parents. Patrick manifestait un caractère calme et doux. Manifester à ses côtés ne me paraissait pas plus dangereux que de faire du shopping, d'aller nous balader ensemble le long d'une plage ou en forêt. J'avais donc décidé de l'accompagner.

  Nous étions partis en train pour rejoindre une cohorte que j'imaginais aussi pacifique que nous. Certes, il y avait beaucoup de monde, certes des gens arboraient des pancartes et des banderoles, certes des gens martelaient "non à l'obligation vaccinale", "non à une dictature" ou jouaient du tambour pour attirer l'attention, certes des policiers encadraient le cortège laissant penser que des incidents pouvaient éventuellement survenir, mais j'étais loin d'imaginer la suite.

Je n'avais pas hurlé, chanté, sauté, couru… Je me contentais de marcher en tenant la main de Patrick qui commenta "C'est chouette, on est nombreux !" Je faisais partie de la masse anonyme et ordinaire. 

Et puis la violence était venue, je ne sais d'où, je ne saurais dire comment. Elle était arrivée alors que la manifestation devait bientôt commencer à se disperser. Nous étions, en effet, quasiment à la fin du parcours lorsque j'avais aperçu des gens suspects. Certains étaient cagoulés et armés de gourdins. Ils entreprenaient de briser des vitres de voiture, mettaient des vitrines en morceaux et pillaient des boutiques. Comment aurais-je pu cautionner ces actes de violence ?  Tout à coup, j'avais entendu crier "fils de pute de bourgeois" et à quelques mètres de nous j'avais vu tabasser un homme qui sortait d'une rue latérale.  

Des policiers étaient rapidement apparus et étaient aussitôt intervenus. Je ne comprenais rien. Tout allait si vite.  Qu'est-ce que je faisais là ?  Patrick avait attrapé mon bras, m'avait entraînée avec lui sans que je prenne conscience ce qu'il se passait. J'avais reçu un coup sur la tête… Puis il y avait eu un trou rempli d'une brume épaisse… Plus tard, à ma sortie de l'hôpital, j'ai repassé en boucle la mauvaise scène qui avait été filmée avec un téléphone portable et qui pour moi n'est qu'une scène extraite d'un film noir, très noir…  



 

Micheline Boland



 

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Micheline Boland nous propose un texte "Le Pont"

Publié le par christine brunet /aloys

LE PONT

 

Chez mes parents, il y a un tableau dans le living. L'œuvre, une aquarelle, représente à l'avant plan un petit pont en bois qui enjambe un ruisselet et conduit à un endroit boisé. Il ne s'agit pas d'une œuvre impressionniste ou plus ou moins abstraite, mais plutôt d'une œuvre réaliste. Y sont représentés de hauts arbres, des feuillages ainsi que des branches dénudées. Les couleurs sont assez chaudes. En fermant les yeux, il me semble que j'entends un léger craquement tandis que je m'imagine parcourir le pont avec mon amoureux. Ce paysage, j'ai appris à le connaître depuis peu. Il ne m'est devenu familier que depuis ma rencontre avec Christopher à une soirée d'anniversaire. C'est là que Christopher et moi nous promenons souvent main dans la main en bavardant et apprenant ainsi à nous connaître. Un chemin s'y faufile entre les feuillus. De temps à autre, nous y croisons un couple de tourtereaux, nous y rencontrons des gosses qui jouent à cache-cache ou des gens promenant leur chien. 

J'ai toujours envisagé que cette aquarelle était une œuvre de François un ami d'enfance de mon père, mais aujourd'hui, je me dis que ce n'est peut-être qu'une déduction erronée. Comment François qui habite une autre région aurait-il pu, en effet, connaître ce coin ?  

Mes parents et moi prenons un café après le repas du soir. Mon père lit son journal, ma mère fume sa cigarette quotidienne. Mon regard s'attarde sur le tableau accroché face à moi. Ma mère s'en étonne et s'en amuse. Elle sourit : "Qu'est-ce que tu as à regarder ainsi ce tableau ? Tu donnes l'impression de ne l'avoir jamais vu…."

Je réponds simplement : "Je me demandais qui l'avait peint…"

"Bonne question ! C'est une des rares œuvres de ton père… C'est là que je l'emmenais quand nous nous sommes connus… Et figure-toi que c'est aussi là-bas que ma mère et mon père se promenaient quand ils étaient jeunes, que ton oncle Pierre entraînait Monique, ta tante, avant leur mariage…C'est un endroit particulier pour la famille, un lieu qui lui porte bonheur… Historiquement une partie du petit bois appartenait d'ailleurs à la famille, puis l'administration communale a exproprié cette partie afin de construire des habitations sociales. C'est ce qu'on m'a raconté. C'est peut-être pour cette raison, que nous y sommes attachés. Quand tu étais gamine, on t'y conduisait volontiers… Tu y jouais à l'abri du danger, tu ne risquais guère de t'y perdre, car tu étais une enfant prudente."

Le temps file… Je me rends de loin en loin chez mes parents. Quand je vois un arbre, la peinture du living se rappelle à moi. Un petit bois c'est beau, ça passe les décennies en conservant son charme, c'est habillé d'une magie qui traverse les saisons de manière agréable. 

Le temps file et mon père participe à une exposition de peintures organisée à l'occasion de la rénovation du centre culturel. Il y présente l'aquarelle du living ainsi que des fusains mettant en scène l'église, la place communale et le vieux puits.  

Je crois que j'aurais pu aimer à jamais ce petit bois s'il n'y avait eu le fait-divers qui vient de le mettre en évidence à la une de journaux. Un homme installé depuis peu dans la localité s'y est pendu suite à une faillite suivie d'une rupture amoureuse. C'est un couple qui se baladait avec son vieux toutou qui avait fait la découverte. Un journaliste, qui a interviewé des proches  de cet homme, suggère que c'est en voyant l'œuvre de mon père qu'il avait eu l'idée d'aller visiter le petit bois, puis quelques semaines plus tard de s'y rendre pour mettre fin à ses jours plutôt que d'avaler des cachets comme il l'avait évoqué de manière désinvolte à la fin d'un repas trop bien arrosé… 

Un jour, peut-être arriverai-je de nouveau à apprécier le petit bois et à y savourer l'instant présent ? Ne pourrait-il suffire d'y vivre un bonheur tout chaud pour enfermer la tragédie dans la boîte aux oublis ?

 

Micheline Boland

 

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Le banquier... Un autre texte signé Louis Delville que nous propose Micheline Boland

Publié le par christine brunet /aloys

Le banquier

 

Depuis trois ans, je cherchais à me débarrasser de Luc Lepert et à devenir le bras droit de Henry de Classieux, le banquier réputé.

 Un arriviste, ce Lepert. Alors, j'ai décidé  de critiquer son boulot, d'ébruiter sa vie sentimentale ratée. J'ai même laissé entendre que… et la rumeur s'était répandue…

 Aujourd'hui, Luc Lepert s'est pendu dans son bureau. Le boss m'a appelé : "Marc, je te confie le poste de Luc. Demain, tu pars au Japon et vendredi 11 mars 2011, réunion à notre succursale de Fukushima."

 12 mars 2011 dans "Le Jour" : Un seul européen parmi les victimes de Fukushima, Marc B, numéro deux de la banque Classieux.

 

Louis Delville 

 

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Philippe Desterbecq nous propose un texte... "Tout ça pour un camembert !"

Publié le par christine brunet /aloys

 

Tout ça pour un camembert !

- Vous n’allez quand même pas me dire que vous avez assassiné votre mari à cause d’un camembert ? 

- Si fait ! Comme je vous l’dis, monsieur l’inspecteur. Cuic ! Et bon débarras ! 

- Mais madame Simon, vous vous rendez compte de ce que vous avez fait ? Il s’agit d’un meurtre quand même et un meurtre commis de sang froid qui plus est ! 

- Ben…faut dire que j’ai toujours eu le sang chaud, moi ! Et ne m’appelez plus madame Simon, s’il vous plait, monsieur l’inspecteur. Le Simon, cuic, on n’en parle plus ! Il n’existe plus ! Et on devrait me décerner une médaille pour cet acte de bravoure : un goret en moins sur la terre ! 

- Et comment qu’on va en parler, madame Simon, euh madame…

- Berger. C’est le nom que m’a donné mon paternel avant de se tirer vite fait. A part la petite graine et son nom, il n’a rien légué à ma mère. Vous voyez que ma p’tite vie, elle commençait bien mal…

- Votre enfance, on en parlera plus tard, si vous voulez bien. Pour l’instant, je voudrais bien savoir ce qui vous a poussée à assassiner votre mari et, en plus, avec un camembert, comme déclencheur…

- Oh n’en faites pas un fromage, monsieur l’inspecteur ! Quand on tue un rat, y a personne pour se r’tourner ! 

- Allez, commençons par le commencement. Expliquez-vous.

- Ben, c’est bien simple, le Simon, y rentre saoul comme une bourrique, comme à son habitude. Il ouvre le frigo, il bouscule les bocaux et les Tupperware à la recherche de son fromage puant. Ne le trouvant pas, il se retourne vers moi et m’dit : « Eh la Corinne, t’as pas vu mon camembert, par hasard ? ».  Moi, j’sais très bien que j’l’ai jeté, son puant. Il empestait toute la cuisine à chaque fois que j’ouvrais le frigo. Tant et tant que c’est à peine si j’osais encore l’ouvrir, le frigo !
J’savais bien qu’il allait encore me cogner, mais bon, ça, j’en avais l’habitude, alors, un coup de plus ou de moins, c’est pas ça qu’allait m’arrêter. Les premiers gnons, je les ai reçus lors de notre nuit de noces, alors, vous voyez, m’sieur l’inspecteur… Vous voulez que je vous la raconte, not’nuit de noces, monsieur l’inspecteur ? 

- Pas maintenant, madame Si…, madame Berger. Plus tard, si vous voulez bien. Tenez-vous-en aux faits, je vous en prie. 

- Bien, où j’en étais déjà ? Ah oui ! Le camembert ! Il a bien vu à mon visage que j’étais pas bien droite dans mes bottes. Même quand il était plein comme une bourrique, il pouvait voir quand j’essayais de l’entuber. J’ai d’abord fait l’innocente, j’lui ai dit que j’y étais pour rien, qu’il avait sûrement bouffé son fromage la veille et qu’il s’en souvenait plus, mais il m’a pas crue. Et là, sur le coup, j’peux vous dire que j’ai vraiment  été conne ! L’emballage ! L’emballage du camembert que l’chat avait bouffé sur mon invitation, au lieu de m’en débarrasser, j’l’avais tout bonnement jeté dans la poubelle. Le Simon, il était pas si con qu’il en avait l’air. Il l’a trouvé dans la poubelle, l’emballage du puant ! Et là, j’ai reçu la raclée de ma vie ! J’vous l’ai dit : j’étais habituée aux gnons de toutes sortes, mais là, j’sais pas trop c’qui m’a pris, d’un coup, j’ai éclaté. J’ai hurlé comme une possédée : « J’en peux plus, j’en peux plus de toi, de tes coups, de tes colères, de tes beuveries ! C’est fini, plus jamais tu me frapperas ! J’ai empoigné le couteau de boucher avec lequel j’avais attaqué la dinde que j’avais achetée pour le réveillon et hop ! Au lieu de le planter dans la pauvre bête, j’l’ai planté en plein dans sa carotide ! Faut voir tout le sang qui s’est écoulé sur le tapis que je venais de récurer ! Du gâchis ! Un si beau tapis ! 

- Madame Berger, vous n’avez donc aucun remords ? 

- Ben si, m’sieur l’inspecteur. Tout ce sang, s’il n’avait pas imprégné mon tapis, j’aurais pu le récupérer et en faire du boudin. J’adore le boudin noir. Pas vous, inspecteur ? 

- Pas vraiment ! Je préfère le camembert…

 

 

 

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