Coraline Buchet nous propose un premier extrait de son ouvrage "Une petite Belge en Aotearoa Nouvelle-Zélande"
Nous entrons dans le sérieux du sujet par la lente montée à travers la gorge d’Harman. Pas de sentier. Morgan et Rob nous guident dans un zigzag entre les rochers. Nous devons traverser le torrent plusieurs fois. Bras dessus, bras dessous, je m’accroche à Morgan et plonge jusqu’à la taille dans une eau glaciale. Elle s’immisce dans mon legging, coule dans mes guêtres et finit en flaque dans mes bottines. Les pans de roche en surplomb font se réverbérer le son rugissant de l’eau. Le noir de la nuit amplifie les ombres. Je perds toute notion de la réalité, abrutie par le vacarme et par l’impression d’enfermement. Mon cœur s’emballe. Mes jambes brûlent tandis que mon corps a froid. Devant parfois sauter d’un rocher à l’autre, avec le sac à dos qui n’aide en rien, mon équilibre est mis à l’épreuve. J’hésite, maladroite, mon oreille interne perturbée par le son trop fort. Je fonds en larme plusieurs fois dans l’anonymat de la nuit. Ma fierté pourtant, me fait serrer les dents. Abby me serre contre elle à un moment donné et m’encourage. Notre progression est lente mais certaine. Lorsqu’enfin nous quittons la rivière pour marcher le long d’un sentier entouré d’herbe, les lumières du jour nous saluent. Quel soulagement ! Nous arrivons à Harman Saddle où nous faisons le plein d’eau et mangeons un bout. Le brouillard se lève lentement pour dévoiler le ciel bleu. Le soleil illumine alors les sommets nouvellement couverts d’une poudre blanche. L’atmosphère est immobile. Pas de neige. L’hiver est vraiment tardif. Les hommes s’inquiètent d’en avoir assez de l’autre côté de Whitehorn Pass. Mais il n’y a qu’en allant voir que nous le saurons. Leur regard se veut rassurant. Nous avons fait le plus difficile. Je reprends courage. Trempés, nous ne nous attardons pas.