Un article dans le blog "Les blelles phrases" pour Chloé DERASSE et son recueil "Un point c'est vivre"
Tournaisienne de naissance et Bruxelloise d’adoption, Chloé Derasse n’est déjà plus tout à fait une nouvelle venue dans le microcosme littéraire belge. En 2019, cette jeune auteure avait en effet publié un premier roman intitulé Douceur violette aux Editions… Chloé des Lys (ça ne s’invente pas !), avant de récidiver un an plus tard avec une nouvelle parue dans la collection « Opuscules » des Editions Lamiroy. En 2021, elle nous revient avec un étonnant et séduisant recueil de poèmes en vers libres (de nouveau chez Chloé des Lys) dont le titre constitue à lui seul tout un programme : Un point c’est Vivre. Le quatrième de couverture nous apprend qu’il s’agit avant tout d’un « petit dictionnaire des émotions » (ou en tout cas des actes et des ressentis) qui tissent la trame de nos existences individuelles : avancer, avoir faim, construire, jouer, pleurer, rire, etc.
L’originalité n’est pas la moindre des qualités de cet ouvrage qui tranche résolument avec la production poétique habituelle. Originalité dans l’idée même qui préside à la conception du livre, originalité encore dans le choix des thématiques abordées, originalité enfin quand l’auteure, en guise de préface / conclusion, n’hésite pas à s’adresser directement au lecteur en lui laissant la « liberté (…) de compléter à l’infini » les pages qu’il vient de lire. Celui-ci peut dès lors se les approprier de manière plus personnelle tout en leur adjoignant éventuellement sa contribution propre.
L’un des autres atouts d’Un point c’est Vivre réside dans le style adopté par Chloé Derasse. Celle-ci ne s’embarrasse nullement de constructions alambiquées ni d’apprêts littéraires par trop ampoulés. Au contraire, le ton de ses textes est direct, vif, spontané, aux antipodes de toute poésie hermétique ou à prétention « savante », et cela participe indubitablement au charme de ce recueil pas comme les autres. Nulle trace d’un quelconque intellectualisme non plus : l’écriture, agréable à lire et bien rythmée, s’ancre résolument dans le vécu concret de l’auteure qui est aussi celui de l’être humain en général.
On notera qu’affleure parfois ça et là une certaine candeur un brin juvénile, mais loin de causer un quelconque préjudice à l’ouvrage, celle-ci ne fait que rehausser encore l’impression de fraîcheur et d’authenticité qui en émane. Par ailleurs, de petites touches d’humour présentes au fil des pages se marient harmonieusement au ton général du livre : « Pouvoir avaler un éléphant, une girafe ou un ours. Avoir l’estomac qui gargouille (…) », ou encore « Pleurer à chaudes larmes plus grosses que celles d’un crocodile ayant avalé le capitaine Crochet »… D’autres passages se font quant à eux l’écho d’une malicieuse féminité : « Sourire faussement au policier qui nous arrête sur le bord de la route après une soirée trop arrosée. Une touche de mascara, un coup de rouge à lèvres, un clin d’œil complice, un sourire forcé. Un peu de bagou et une amende évitée. »
Au total, c’est une véritable leçon de philosophie pratique, à la fois éclairante et roborative, qui nous est donnée avec Un point c’est Vivre. Mais l’ouvrage constitue aussi un hymne à la Vie, dans tout ce que celle-ci peut comporter d’extatique ou au contraire de douloureux. Chloé Derasse possède en effet cette qualité rare qui consiste à paraître gaie même lorsqu’elle évoque les épisodes tragiques qui jalonnent inévitablement nos destinées personnelles. D’autre part, sous des qualités littéraires évidentes, transparaît en filigrane l’émouvant courage d’une jeune femme envers qui le destin ne semble pas s’être toujours montré des plus cléments.
On s’en voudrait de ne pas mentionner ici les belles illustrations d’Amarande Rivière, volontairement épurées mais puissamment suggestives, qui entrent en parfaite symbiose avec les textes figurant en vis-à-vis. A lui seul, le dessin de couverture vaut le détour par son aspect à la fois très signifiant… et absolument charmant ! Bref, lire Un point c’est Vivre, c’est comme boire un grand verre de jus d’orange par un après-midi de canicule : cela vous donne une formidable sensation de fraîcheur particulièrement bienvenue en ces temps d’actualité morose !
Louis MATHOUX