Carine-Laure Desguin nous propose une nouvelle en épisodes : Deux jours pour l’éternité - 3
Encore très soucieux de la scène dont il vient d’être témoin, Franck Nussdorfer remonte vers la digue tout en ne pouvant chasser de sa vue l’image de ce disque géant d’un gris-bleu se mêlant si bien au bleu-vert des vagues et se glissant entre elles dans un silence quasi-mortifère. Une fois arrivé sur la digue, il jette encore un regard interrogatif vers la plage et là, suprême stupeur. Tous les coquillages se sont rassemblés de manière à former une figure géométrique, un cercle, un gigantesque cercle d’au moins cinquante mètres de diamètre. À l’intérieur de ce cercle, d’autres cercles parfaits, le tout conférant une structure visuelle impeccable, sans aucune fausse note. Les crops circles ne sont à ce jour visibles que dans les champs de maïs ou de blé, et de préférence en Angleterre. Et pas sur la plage d’une petite station balnéaire belge. Ça, Franck Nussdorfer le sait.
Eh bien, si Gillian voyait ça, elle s’écrierait « Ils sont là, ils arrivent, c’est un crop circle parfait annonçant la venue prochaine des extra-terrestres, je te l’ai toujours dit, Franck Nussdorfer ! »
Oh Franck, casse-toi d’ici au plus vite, ne reste pas le jouet d’un mauvais jeu vidéo ! Ce ne sont que des hologrammes, ceci n’est pas la réalité !
La plage est encore déserte et à présent, il est presque midi. Le temps grisâtre et cet interminable crachin n’engagent pas à la promenade. Sur la digue, Franck croise des promeneurs. Aucun ne fait mine de descendre sur la plage et, vu le calme ambiant, aucun n’a encore remarqué qu’au loin, un crop circle formé de coquilles vivantes attend de communiquer d’une façon ou d’une autre.
Franck Nussdorfer presse le pas, il a hâte de raconter sa mésaventure à Gillian. En longeant les maisons de la Kerkstraat, il constate avec étonnement que les travaux de voierie ont déjà presqu’atteint son immeuble. Et qu’à quelques mètres de là, juste en face de son garage, deux combis de flics sont stationnés.
Dans l’ascenseur un voisin lui lance « Ah vous voilà enfin de retour, monsieur Nussdorfer, quel soulagement de vous revoir sain et sauf ! Et votre épouse qui justement ne … » Franck se contente de sourire béatement en opinant de la tête, il ne prend pas le temps d’écouter la fin de la phrase du voisin, il avance. Son cœur bat très fort, il craint pour Gillian. Il n’a même pas pris la peine de lui envoyer un SMS comme il le fait d’habitude lorsqu’il se balade sur la plage. Il s’énerve, il ne parvient pas à introduire la clé dans la serrure de la porte, sa main tremble trop fort. Il tambourine de toutes ses forces sur la porte. C’est un flic au visage perplexe qui lui ouvre.
- Gillian, Gillian ! hurle-t-il en bousculant le flic.
Gillian est assise sur le coin du divan, elle affiche un air abattu. Autour d’elle, des papiers éparpillés, des GSM, et tout un tas de photos. Les yeux de Gillian sont rougis, elle sanglote lorsqu’elle voit son mari : « Oh Franck, mais où étais-tu donc passé ? »
Franck ne comprend plus rien. Il aperçoit un autre flic à l’autre bout de la pièce. Ces flics sont donc présents pour lui. Parce qu’il est allé comme chaque matin se dégourdir les jambes sur la plage et qu’il reviendrait avec une heure de retard ?
- Gillian, explique-moi !
- Mais Franck, c’est toi qui dois nous expliquer ! Tu es parti avant-hier et te revoilà seulement aujourd’hui! Je t’ai envoyé des centaines de messages et d’appels téléphoniques et pour toute réponse je n’avais que ta ridicule messagerie !
- Gillian, je ne comprends vraiment pas, vraiment pas. Je suis parti comme d’habitude, tu dormais encore. Et puis me revoici, à peine deux heures plus tard !
- Oh Franck, tu ne peux pas comprendre tout ce qu’il m’est passé par la tête. J’ai contacté tous les hôpitaux, et même les morgues. J’ai craint le pire, je te le répète, le pire. Surtout depuis les actualités surprenantes de ces dernières heures !
Un des deux flics toussote afin de marquer sa présence et demande à Franck ce qu’il s’est réellement passé. Des recherches ont été effectuées à des kilomètres à la ronde et les appels téléphoniques, on ne les compte plus. Sur sa lancée, il s’excuse, il ne s’est pas présenté, « Inspecteur Jeff Cattrysse et voici mon collègue, l’inspecteur David Bartels. »
- Monsieur Nussdorfer, où étiez-vous donc ces quarante-huit dernières heures?
Franck s’assoit et tente de se ressaisir. Il ne comprend rien, l’ex-scientifique ne maîtrise pas du tout cette situation énigmatique. Aurait-il perdu connaissance à son propre insu ? Mais non, il s’en serait aperçu dès qu’il aurait repris ses esprits. Gillian essuie ses larmes, l’émotion reste vive. Les deux flics s’impatientent, ils attendent une explication.
- Prenez-vous des médicaments qui pourraient justifier cette « absence » ? demande Cattrysse tout en mimant au moyen de ses deux index les guillemets au moment où il articule le mot absence.
- Non, les médicaments que j’utilise sont tout à fait inoffensifs et anodins, ils n’ont aucun effet secondaire.h
- Écoutez, monsieur Nussdoffer, vous êtes chez vous et c’est très bien. Nous vous proposons une hospitalisation afin d’écarter tout souci de santé. Vous avez déjà été victime paraît-il d’une attaque cérébrale. Il serait dommage de zapper un problème médical important. Et ensuite, revenez au poste de police, il y aura des documents à remplir, poursuit Cattrysse sur un ton qui ne cache pas un certain énervement.
- Je suis désolé de vous avoir causé autant de soucis, vraiment. Mais je cherche encore ce qu’il m’est arrivé, murmure Franck Nussdoffer tout en haussant les épaules afin de marquer son interrogation.
- Vous n’auriez pas par hasard passé ces deux derniers jours chez une petite amie ? demande Cattrysse afin d’enfoncer le clou un maximum.
- Nous allons vous laisser tous les deux, reprend Bartels, un peu gêné par la question acerbe de son collègue.
A suivre
Carine-Laure Desguin
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