Acte 1 concours "Fureur de lire, fureur d'écrire" - Texte 2
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Ma jeunesse ne fut qu’aventureux voyages… *
Les livres ont enchanté mon enfance. Et je pense même qu’au fond, au fond du fond du fond, je suis toujours l’enfant de ces livres…
On a mis très tôt sous mes yeux émerveillés, en fait bien avant que je n’apprenne à lire, des ouvrages magnifiquement illustrés. Des albums aux pages richement colorées survitaminant mon imagination avec d’étranges pirates à la jambe de bois, bandeau sur l’œil, sabre en main et perroquet sur l’épaule, posant fièrement sur le pont d’un vieux navire cinglant toutes voiles dehors vers le grand large. Ou aussi avec de monstrueux animaux, tous plus effrayants les uns que les autres, traversant, la gueule menaçante, d’étranges paysages ou, ailes membraneuses déployées, s’élançant puissamment dans le ciel d’un monde depuis longtemps disparu.
Mais surtout, surtout, ces images de hardis chasseurs à moitié nus, aux longs cheveux noirs coiffés de plumes bigarrées, galopant furieusement tout en décochant des volées de flèches sur des troupeaux de bisons affolés. Et que dire de ces étranges « coureurs des bois », vêtus d’une veste en peau de daim et coiffés d’un bonnet en fourrure de raton laveur, parcourant des contrées inexplorées, le fusil à silex en main et la poire à poudre à la ceinture, ou descendant à grands coups de pagaie, à bord de leur long canoë, des rivières tumultueuses ?
Car sans avoir fait de moi un « fou d’Amérique », ces magnifiques représentations et, plus tard, ces captivants récits, ont imprégné mon cerveau tout neuf d’un univers que je n’aurais jamais pu soupçonner : les grandes plaines de cet immense pays, ses somptueuses montagnes Rocheuses, la richesse de sa faune sauvage et ses extraordinaires peuples autochtones qui continuent de m’interpeller en sourdine.
Très tôt, ces illustrations suscitèrent une telle curiosité que je fatiguais mon entourage par mes incessantes questions. Il fallait absolument que j’en sache davantage, que je finisse par comprendre les explications que, me disait-on, les pages imprimées du livre m’apporteraient lorsque je saurais lire.
Lire ? Bien sûr que j’aurais voulu savoir lire ! Il me devenait en fait insupportable de devoir toujours compter sur mon adorable arrière grand-mère pour me délecter de ces fabuleuses histoires ! C’est donc elle qui m’offrit avec joie mon premier abécédaire. Et là aussi, avec des tas d’intrigantes images : toutes sortes d’animaux, de personnages, et… oui, oui, une très belle en particulier, avec un « I » comme Indien ! Et tenez, là, une autre encore, avec un « C » comme Cow-boy !
Puis je grandis, renforçai mon aptitude à la lecture, étoffant mon vocabulaire et ne parlant plus que de braves guerriers, de papooses, de squaws, de tepees, de tomawaks,… tout en empilant sur mes étagères les ouvrages classiques de la « Bibliothèque Verte ». Jules Verne, Alexandre Dumas, Jack London… Pas mal ! Mais lorsque ma mère m’offrit Le Dernier des Mohican, je sus avec certitude qu’il me faudrait un jour me rendre sur les lieux mêmes où s’était déroulé cet incroyable conflit entre l’armée anglaise et les troupes du général Montcalm et ses alliés iroquois !
Et le temps passa. Il passe toujours, refoulant l’innocence de l’enfant derrière les prosaïques préoccupations de l’adulte. Et comme si cela avait été planifié de toute éternité, le jour arriva où mes activités professionnelles me permirent enfin de visiter à loisir cette Amérique depuis longtemps fantasmée.
Dire que je fus déçu serait aller un peu loin, ne m’attendant pas à retrouver le Tennessee de Davy Crockett ou le Mississippi de Mark Twain ! J’appréciais toujours autant la variété des paysages chaque fois que j’avais l’occasion de passer avec mon épouse une ou deux semaines de congé sur place, me demandant toutefois souvent, confortablement installé au volant de ma voiture climatisée, ce qu’avait été la dure réalité de ces pionniers traversant le pays dans des chariots bâchés !
Mais bon, foin de tout ça, mes souvenirs d’enfant étaient loin derrière, assez loin même, j’avais depuis longtemps beaucoup d’autres lectures et centres d’intérêt… Et ce fut dans une librairie où je me rendais pour acheter quelques ouvrages techniques introuvables en France que… pan ! Le coup en traître, celui auquel on ne s’attend pas ! Sous mes yeux à nouveau éblouis, la couverture enjôleuse de Lewis and Clark : The Journey West… Vous réalisez bien ? La première expédition terrestre à traverser le futur territoire des États-Unis, de la côte est jusqu’à la côte pacifique… Rien de moins !
Je dévorai le bouquin en quelques soirées dans ma chambre d’hôtel… Grandiose ! Imaginez-vous les dangers et difficultés d’un tel voyage : les rapides du Missouri, la faim, le froid, les attaques d’ours, ces terribles grizzlis dont on découvrait la puissance et la férocité, l’hostilité des indigènes… Et la jeune et belle Sacagawea, la guide et interprète sioux, future épouse de Toussaint Charbonneau, trappeur canadien-français, qui permirent à eux deux le succès de l’expédition.
Je venais bel et bien d’être rattrapé par mes rêves de gosse !
* Pastiche d’un célèbre vers de Baudelaire…