Acte 1 concours "Fureur de lire, fureur d'écrire" - Texte 4
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Avant d’arriver ici, je n’avais jamais tenu un livre en mains. J’exagère à peine. J’ai quand même fait des études - enfin, je rectifie, j’ai commencé des études - et l’école obligeait les élèves à lire certains vieux machins tout pourris comme des Zola ou Hugo ou encore des auteurs russes dont on n’avait rien à faire. Je me souviens d’un bouquin intitulé « Chiens perdus sans colliers » (j’ai oublié le nom de l’auteur, désolé) qui m’avait plus ou moins intéressé. Je crois bien que je l’ai lu jusqu’au bout, mais je ne me souviens absolument pas de l’histoire. La fameuse « Princesse de Clèves », « Nana » ou autres « Pêcheurs d’hommes » m’ont laissé totalement indifférent et je me suis toujours arrangé par piquer de gré ou de force le résumé ou l’analyse du texte à un de mes camarades.
Ensuite, j’ai vécu une vie loin de la littérature ; j’ai quitté l’école très tôt et j’ai été ce qu’on peut appeler « un petit délinquant » avant de plonger dans la drogue, dans l’argent sale, de rencontrer de vrais caïds (à côté d’eux, je n’étais qu’un minus) et de me lancer dans la « grande délinquance ».
Je ne vais pas vous raconter ma vie : elle ne vous intéresserait pas. Mon enfance malheureuse, les coups que je recevais de mon père, l’alcoolisme de ma mère, le manque d’argent, la misère, qu’est-ce que vous en avez à faire ? Et évidemment, aucun livre à la maison !
De larcins en larcins, j’ai fini par me faire prendre, vous le pensez bien. Je purge actuellement une peine de prison de cinq ans. Cinq ans à m’ennuyer comme un rat mort, à recevoir des coups d’autres détenus, à courber la tête lorsqu’un maton m’insulte, mais ça non plus, ça ne vous intéresse pas. La misère des autres vous dérange plutôt, je le sais.
Finalement, j’ai trouvé une porte vers la liberté. Je vous explique :
On m’a mis dans une cellule avec un pygmée, un tout petit homme qui, en plus, est noir. On peut dire que la vie ne l’a pas gâté non plus.
Au début, je me suis un peu foutu de sa poire, je l’ai un peu bousculé, oh, pas trop, allez, il fallait quand même que je lui montre qui était le chef ! Jamais il ne s’est rebiffé ! Il est toujours resté plongé dans ses livres sans presque m’adresser la parole et sans jamais se révolter contre mon attitude, je l’avoue, pas très sympathique.
Je ne comprenais pas ce qu’il pouvait trouver dans ces bouquins qu’il louait dans la bibliothèque de la prison. Il en lisait presque un par jour ! Je l’ai souvent charrié ; je lui ai parfois arraché le livre des mains, et puis, j’ai voulu savoir ce qui l’attirait tant dans ces histoires de personnes imaginaires.
Et puis, je m’ennuyais ferme dans ma petite cellule alors, autant lire que ne rien faire, non ?
Le premier roman que j’ai lu en prison, je l’ai arraché des mains de mon pygmée. Je me suis assis le plus confortablement possible et j’ai commencé la lecture. C’est la première fois que le petit homme s’est un peu révolté : « Tu pourrais attendre que j’aie fini pour le lire, non ? » m’a dit-il dit timidement.
Je ne lui ai pas répondu et je me suis lancé dans « Nous rêvions juste de liberté » de Henri Loevenbruck. Ce fut le coup de massue ! Cette extraordinaire histoire d’amitié entre 4 voyous qui rêvaient de liberté m’a complètement retourné l’esprit. Incroyable ! C’était donc ça lire ! C’était oublier le lieu, le temps, la misère, la honte, l’ennui pour vivre la vie des autres ! Je n’en revenais pas !
Plus jamais je n’ai refermé la porte : celle qui est ouverte sur un monde enchanté…