Acte 1 concours "Fureur de lire, fureur d'écrire" - Texte 5
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FANTAISIE
Les premières fois, je me dis qu’il ne pouvait s’agir que de rêves… Quelle était cette voix ? D’abord étouffée, elle m’enveloppait comme un lit de plumes de mots indistincts, point menaçants. Je crus même entendre : « Viens ! »
Petit à petit, nuit après nuit, elle se fit cristalline. Ni féminine ni masculine. Une voix étrange. Plus précisément : un brassage de voix. Un son immémorial. Presque réconfortant. Oui, c’est ça, « réconfortant ».
À la veille de ma rentrée en classe de sixième, après un souper de plus dans la terreur de voir mon père exploser, tout casser ou nous mettre la main dessus, parce qu’il détestait sa vie de mécanicien, parce qu’il détestait tout – à part rabaisser les gens –, je m’assis sur la moquette défraîchie de ma chambre et priai le bon Dieu, la Vierge Marie et tous les anges pour qu’il disparaisse de nos vies. Ou pour être enlevée par de gentils extraterrestres. Pourquoi ma marâtre supportait-elle cela ? Grâce à ces cigarettes qui sentent très mauvais, peut-être… Pourquoi maman avait croisé la route d’un malade mental, un soir, il y a des années, ne revenant jamais près de moi ?
Je sursautai… Papa allait ouvrir la porte, fou de colère pour je ne sais quelle raison ! Mais non, ce n’était pas lui. La voix étrange venait de crier mon prénom : Marie. Je n’avais finalement pas rêvé. Elle s’élevait de quelque part dans ma chambre. Près des livres. D’abord, je paniquai, pensai être devenue folle, laissai passer quelques minutes. La voix insista. Je me levai et me dirigeai d’un pas lent vers la bibliothèque. Des dizaines d’ouvrages s’y serraient, bien rangés et par ordre alphabétique. L’un d’eux diffusait une lumière verte semi-transparente. C’était un beau livre à l’ancienne, avec une reliure en cuir ouvragée représentant un univers féérique. Je l’avais trouvé dans la rue, dans une boîte à livres, à proximité d’un restaurant indien. Comment avait-on pu abandonner pareille merveille dans la rue ? Quelle honte !
L’ouvrage tomba au sol brusquement, me faisant sursauter derechef, et s’ouvrit comme par magie. Je m’accroupis, quelque peu inquiète, et observai les merveilleuses illustrations. Une réunion de personnages de Charles Perrault, de Joseph Pinchon, de Jean de Brunhoff, d’Hergé et de Marcel Marlier.
Je crus mourir quand je fus désintégrée puis aspirée par le livre, mais là, au milieu d’une forêt enchanteresse, m’accueillit une fée… Et quelle fée ! La fée marraine de Cendrillon ! Ainsi, je fus délivrée d’une vie de désenchantements et de maltraitance, et je devins l’amie du Chat botté, de Bécassine, de Babar, de Tintin ou encore Martine. Pour de nouvelles aventures enchantées…
Dernière chose ! Si jamais ce livre tombait entre vos mains, ne soyez pas étonnés… Car les histoires changent chaque fois. Au gré de notre fantaisie.