Concours acte 4 : texte 5
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Lettre d’un mécontent
Madame,
Je ne sais pas quels hommes vous avez eu le malheur – ou qui ont eu le malheur, en fin de compte… - de côtoyer, mais je n’aime pas du tout, mais alors là… pas du tout, la part que vous m’avez donnée dans votre roman ridicule. Appelons-le roman, d’ailleurs… Pfuit !
Vous avez le toupet de me faire qualifier par un des personnages de « c… molle ». Parce que je ne quitte pas ma femme pour ma maîtresse, par exemple. Ma femme est certes moche, mais fait une soupe aux orties sans pareil, dont ma maîtresse déteste le goût pour commencer. Et puis bon… elle a du bien, que ma maîtresse n’a pas. Elle n’a même plus l’attrait de la nouveauté ma maîtresse, puisque ça fait, relisez votre « roman » si vous en avez la force, ça fait 10 ans que la pauvre cruche – qu’en dire d’autre ? – attend que ce soit le bon moment pour annoncer à ma femme que je la quitte. Notre petit Albert était trop jeune, puis devait faire sa communion, puis bien débuter à l’université. Pendant ce temps-là, eh bien ma belle-mère est enfin passée de vie – si on peut dire – à trépas comme vous l’avez raconté en détail au chapitre 12, et ma femme était inconsolable. Sans compter que ça a représenté un bel avantage économique. Ma maîtresse a déprimé, puisque pour réconforter mon épouse de cette perte atroce, je lui ai offert avec son argent une croisière aux Bahamas.
Vous jubilez stupidement quand Cruchette, lassée de 10 ans d’attente, se lance dans un dialogue honteux que vous avez eu grand plaisir à composer. Cruchette se rend au rendez-vous que je lui ai accordé et auquel je suis arrivé en retard : on était, souvenez-vous, au printemps et la soupe aux orties bien fraiches m’avait retenu à table… Elle avait quelque chose d’important à me dire. Je ne craignais rien, les ultimatum étaient épuisés, le dernier ayant eu comme réponse que le mariage d’Albert ne pouvait briller de tout son faste dans une ambiance de divorce. Elle voulait sans doute savoir si je passerai un ou deux week-end avec elle pendant l’été, pour s’organiser. Cruchette avait toujours besoin d’organiser, vous la décrivez d’ailleurs très charitablement comme une belle jeune femme soignée, à l’appartement lumineux et un tout petit peu en désordre pour témoigner de la vie. Oui, les poils de son foutu chat Mironton – vous aimez les animaux sans doute ? – donnaient de la vie, on peut le dire. Bref… Cruchette m’annonce qu’elle prend juste une coupe de champagne puisque je peux certainement me la permettre, et vous me prêtez une expression stupéfaite et un regard fixe. Je ne suis pas comme ça au naturel. J’étais suffoqué devant son impolitesse, l’argent de ma belle-mère n’était pas là pour lui offrir le champagne, pour commencer !
Ensuite elle m’annonce qu’elle me laisse à mes orties, ma femme riche et moche, mon Albert qui marche au pas vers un mariage aussi débile que celui de ses parents, et a décidé qu’à 35 ans, elle avait enfin fini son purgatoire sur terre. Et vous me laissez sans parole ! Vous lui prêtez un air moderne, heureux, sûr de soi, et moi je suis une c… molle aux yeux de merlan frit. Elle va plus fort encore, je suis terrorisé par la vie, par les décisions, et serai un tyran de l’indécision toute ma vie. Non, elle n’a rencontré personne, elle veut juste enlever de sa vie la tumeur que je suis ! Une tumeur !!!
Et puis vous lui faites rencontrer monsieur Idéal deux chapitres plus loin… Si vous croyez qu’avec de telles niaiseries vous serez lue encore longtemps ailleurs que dans votre comité de quartier, préparez-vous à la déprime vous aussi !
Bien à vous, Mr C… molle.