CARINE-LAURE DESGUIN : Albertine Sarrazin
L'autre jour, une de mes vieilles connaissances se fracture le scaphoïde. Le scaphoïde, vous savez, ce petit os du pied. Sur un ton humoristique ( je n'dis pas "moqueur", elle s'rait pas contente...), je lui dis :
- On connaissait "L'astragale" d'Albertine Sarrazin. A présent, il y a "Le scaphoïde " de XXX !
Elle et moi, nous avons bien ri. Surtout moi...
Ce soir-là, ce nom, Albertine Sarrazin, me revient en mémoire..."L'Astragale", roman autobiographique, écriture magnifique, authentique. Dans un style littéraire prometteur, cette adolescente révoltée raconte ses années difficiles, sa jeunesse rudoyée par des incarcérations successives. Et puis l'évasion, ce haut mur duquel elle chuta et se brisa l'astragale, ce petit os du pied, voisin du scaphoïde...L'intrépide ne peut se relever et, à ce moment-là, le destin s'arrête. Il s'appelle Julien.
Albertine sarrazin, c'est une étoile. Elle est passée comme un sirroco, pour nous ouvrir les yeux, le coeur. Et c'est elle qui saigna.
Pourquoi emprisonner les jeunes ? Quelles sont les routes caillouteuses qui les conduisent vers des actes irréparables ? Albertine, c'est tout ça ! Mais c'est aussi l'intelligence, la révolte et un grand, un tout grand talent littéraire.
Savez-vous qu'elle était née à Alger en 1937 ? Et décédée à Paris, en 1967 ? Trente ans !
Albertine Sarrazin, un destin...
Après avoir relu "L'astragale", j'ai écrit ce texte...
Les bougainvillées et autres éclatantes
Fleurs d'Alger se fanent s'étiolent en ce dix-sept
Septembre mille neuf cent trente-sept
Alger est belle et blanche et chaude
Les enfants des rues de pierres et ceux
Des pierres précieuses et creuses
Creusent l'enfance et ignorent les mépris
L'enfance est innocence et ignore
Tous les lampions des haines précoces
Des abandonnés des jours essentiels
Il ne suffit que d'un jour féroce
Un jour de honte et d'oubli
D'une fille malheureuse devant cette porte
Toute seule avec ses pensées d'amour
des cris un panier de bébé autour
Des semaines à se demander lever
la tête vers le ciel d'Alger si blanche
Vers ce ciel si bleu et démoralisé
Pourtant à pleurer il se venge
Une petite étoile brillante
N'éclatera plus sur les bras nus
De la jeune fille si jeune si imprudente
Si seule au coeur brisé déçu
Toutes ces angoisses ces déserts
Dans les plis de son coeur de cierge
L'enfant qu'elle n'entendra plus
Qui est-elle et d'où vient-elle
Cette jeune fille ne sourira plus
Exilée de la vie sans lumière ni chandelle
Angelot fragile dans les anges déchus
Elle peine de laisser là dans des bras inconnus
Ce petit enfant cet oisillon sans ailes
Au regard pétillant à la vie dévêtue
Est-elle fée est-elle magicienne
Est-elle passante gueuse ou mendiante
Estampillée d'une passion bohémienne
Agenouillée et bientôt trébuchante
Elle hésite elle marche quelques pas
Puis se confond dans les hibiscus
A Alger le moindre faux pas
Sonne le glas sans attendre l'angélus
Jamais dans la vie ne pardonnera
D'avoir oublié une princesse
D'avoir renoncé aux caresses
Que d'autres ne donneront pas
Du père de l'enfant nous ne savons rien
Est-il roi prince ou artisan
Fils de tout ou fils de rien
Est-il militaire prêtre ou médecin
Usurier algérien ou français mécréant
C'est aujourd'hui le jour béni
Ou maudit de la Sainte- Albertine
Ils te nommèrent donc ainsi
De nom Damien de prénom Albertine
A peine venue aux gens
Déjà des fleuves de larmes
Inhument lignées de parents
Et noient les mélodrames
Enfant du soleil enfant d'Algérie
Aux yeux de velours d'arrogance et de force
Ton corps est subtil tes élans sont précoces
Des étoiles sont en toi et tu aimes la vie
Derrière les murs tout blancs
De l'assistance publique
Tu t'éveilles et pendant deux ans
Inoffensive les cadeaux de la république
T'ouvrent vides et merveilles
A qui donneras-tu ton premier sourire
Un visage un lit un drap des fleurs
Petite fille du soleil et peut-être du désir
Ta vie est ici ta naissance est ailleurs
Combien sont venus regarder tes papiers
Questionner observer et puis réfléchir
L'affaire est sérieuse et n'est pas garantie
Difficile d'aimer un enfant adopté
Albertine Sarrazin, je ne sais pas si j'écrirai la suite de ton histoire ...Tu sais bien que j'attends des nouvelles de mon premier roman ! Tu dois me comprendre ! Tu sais ce que j'aurais aimé ? Et bien, j'aurais aimé, si tu avais vécu, j'aurais aimé aller prendre un verre avec toi.
A Paris...
Ah oui, j'oubliais..Dis, si tu me lis, toi dont le petit scaphoïde s'est cassé, merci à toi, XXX !
Carine-laure DESGUIN
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