Chasse singulière, une nouvelle de Philippe Wolfenberg

Publié le par christine brunet /aloys

 

 

Les états d'âme de la Lune et du Soleil

 

 

Chasse singulière

 

 

Au sortir de la douche, elle ressemble à la Vénus de Botticelli. Elle me lance un regard de chatte alanguie et, à l’instar de ce félidé en partie domestique, ronronne de plaisir quand ma main caresse le bas de son dos.

J’entame mon deuxième toast nappé de marmelade au citron lorsqu’elle pénètre dans la salle à manger.

Jus d’orange et café ?

Oui ! Merci… Il reste des œufs brouillés ?

Sans attendre ma réponse, elle soulève la cloche qui recouvre un plat posé sur la table et se sert généreusement.

Tu es en appétit, ce matin…

Toujours… Avant une partie de chasse…

Aujourd’hui, nous allons nous mesurer à un gibier de choix…

A ses mots, elle ferme les yeux et, dans un sourire, m’offre la vision sensuelle de sa dentition parfaite. Un court instant, j’imagine une panthère fantasmant sur la mise à mort d’une future proie. Sa voix me ramène à la réalité.

A quoi penses-tu ?

J’ai très envie de t’embrasser…

Comme si elle n’avait attendu que cela, elle se lève d’un bond et vient passer le bout de sa langue sur ma bouche.

Pour les câlins, je suis toujours partante… Il suffit de demander… Ou d’exiger…

Je t’aime, mon adorable soumise…

Moi aussi, mon unique maître… Mais nos invités vont s’impatienter…

Bien ! Allons les rejoindre…

 

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Sophia est la seule femme du groupe ; raison pour laquelle, alors que nous descendons les marches du perron, toutes les têtes se tournent pour admirer son corps aux formes généreuses et fermes que sa tenue seyante met en valeur. Je n’en éprouve aucune jalousie mais, au contraire, un sentiment d’orgueil puisqu’elle m’appartient… Ou, plutôt, puisque sa volonté est d’être mienne. Même si, parfois, je la soupçonne de feindre la docilité pour mieux me mener par le bout du nez.

Messieurs, lors des précédentes traques, nous vous avons proposé, ma compagne et moi, un politicien véreux, un dealer et un proxénète. Pour l’heure, il vous faudra vous surpasser : le président du club de chasse local est, en effet, la cible du jour. Bonne chance à tous et que le meilleur gagne !

Chacun enfourche sa monture et s’égaille aux quatre coins du parc immense ceinturé par un haut mur.

 

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Au terme d’un galop effréné, j’ai mené mon cheval au sommet d’une colline qui me permet de jouir d’une vue exceptionnelle sur la majeure partie du domaine. Bien que j’aie une connaissance parfaite de ce dernier, je ne me lasse jamais d’admirer les parties boisées, entrecoupées de landes où foisonnent la bruyère et le genêt, le large ruisseau qui serpente au fond d’un ravin et s’agrémente, irrégulièrement, de multiples cascades et, enfin, le palais italien, érigé sur une butte et entouré de pelouses verdoyantes.

Revenant à l’essentiel, je vois, en contrebas, une silhouette traverser les eaux, peu profondes à cet endroit, d’un étang où se reflète le pâle soleil de cette journée brumeuse. Notre homme est rusé ; il cherche à camoufler son odeur à l’odorat développé des chiens dont on entend les aboiements dans le lointain.

Je décide de descendre à pied afin de faire le moins de bruit possible.

Le fugitif se croit, momentanément, protégé par les murs d’une tour en ruine. Je m’approche en silence avec l’intention de le prendre à revers mais m’aperçois que mon alter ego féminin a eu la même idée. Avec beaucoup de mal, j’étouffe, alors, un juron de dépit.

Accroupi derrière un buisson, j’assiste au face à face entre l’incarnation d’Artémis et sa victime à venir. Cet acharné de la gâchette n’est plus que l’ombre de lui-même. Trempé de sueur, gesticulant tel un pantin hystérique, il menace, supplie puis, au grand agacement de Sophia, se met à sangloter d’une manière pitoyable.

Assez ! Faites donc preuve de la même dignité que tous les animaux que vous avez massacrés…

Vous me comparez à…

Non ! Eux ne tuent pas par plaisir… Je me souviens d’une photo… La dépouille d’un superbe renard… Et, à ses côtés, vous et votre air satisfait… Vous me dégoutez ! A mort !

Le jugement est tombé… Une pression du doigt sur la gâchette de l’arbalète libère le carreau qui traverse la gorge du condamné, ressort par la nuque, dans une gerbe de sang, avant de se ficher dans le tronc d’un pin parasol de belle taille.

Je me relève et applaudis.

Bravo !

Elle se retourne brusquement.

Tu étais là ?

Joli tir !

Tu es fier de moi ?

Bien sûr ! Mais ne le suis-je pas toujours ?

Souvent…

Elle a dans les yeux la même lueur qui brille dans ceux des enfants qui sont convaincus d’avoir fait ce qu’on attendait d’eux et en retirent un sentiment de plénitude.

 

Son bras se glisse sous le mien et, serrés l’un contre l’autre, sans plus rien dire, tant le silence fusionne nos âmes damnées, nous nous enfonçons dans la forêt.

 

 

Philippe Wolfenberg

wolfenbergtete

Publié dans Nouvelle

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P
<br /> Merci pour vos commentaires.<br /> <br /> <br /> Cette nouvelle est un hommage à la mémoire de la panthère exécutée au "Monde sauvage d'Aywaille" (là où les chasseurs sont plus féroces que les fauves)...<br />
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C
<br /> J'ai toujours pensé que la chasse serait un sport le jour où les lapins auraient des fusils ! <br />
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A
<br /> Eh! oui, en toute Vénus sommeille une Artémis. Philippe le raconte bien. Indispensable à sa survie peut-être? Je m'attendais à pire: le carreau d'arbalète qui sans tuer reste fiché dans le<br /> sternum pour une longue souffrance.<br /> <br /> <br />  <br />
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E
<br /> Alors là... on est surpris! Mais agréablement, par tous les éléments!<br />
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M
<br /> Bien écrit, bien décrit et, enfin, une chasse que je cautionne. Bravo pour le tout !<br />
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C
<br /> Un texte qui nous met face à face avec  un écrivain qui, on le devine, n'en restera pas là. Il continuera à chasser dans le monde de la littérature..<br />
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