Il... Une nouvelle de Philippe Desterbecq
Il...
Un jour, il faudra que je vous explique comment j'écris. En deux mots, je vous dirais qu'un personnage s'impose à moi, il me secoue et me dit : "Ecris mon histoire".
Voilà plusieurs jours, qu'il frappe à ma porte. J'essaie de l'ignorer mais il revient toujours. Je lui dis qu'il va encore me raconter une histoire triste, qui finit mal, que les gens veulent du rêve, des histoires qui finissent bien et je le repousse.
Finalement, je l'ai écouté et j'ai retranscrit ici ce qu'il m'a dit. J'ai hésité avant de vous faire part de son histoire. J'ai lu vos commentaires précédents. Vous êtes formidables mais vous le saviez déjà. Vos commentaires ont beaucoup d'importance pour moi, je vous lis avec attention. Vous m'avez incité à écrire et j'ai écrit. Si vous avez envie de rêver, passez votre chemin, revenez un autre jour, je ne vous en voudrai pas.
Mon personnage ne m'a pas donné son nom. Je l'ai donc appelé "il". Ca me semblait couler de source après l'histoire que je vous ai racontée au sujet d'"elle".
Il regarde par la fenêtre. La neige tombe à gros flocons. C'est devenu son occupation favorite de regarder par la fenêtre. Depuis que ses pas ne le portent plus jusqu'au bout du jardin. Depuis que ses jambes le font souffrir. Depuis qu'il attend dans son fauteuil que les heures passent, que le temps s'écoule, que la vie s'arrête...
Pourtant, il en était fier de son potager. Il avait les plus beaux légumes de tout le quartier. Ses voisins l'enviaient mais il refusait de livrer ses secrets de jardinage. C'est son grand-père qui lui a donné le goût du jardinage. C'était quelqu'un son grand-père!
Maintenant, c'est tout juste s'il arrive à se relever pour arroser le pot de thym qu'il a placé sur le rebord de la fenêtre. Il aime l'odeur du thym, elle lui rappelle ses vacances en Provence avec Adeline.
Dix ans qu'elle est partie Adeline, dix ans qu'elle l'a laissé seul ! Il lui en veut encore aujourd'hui! Qu'est-ce qu'ils ont pu se disputer tous les deux. Il n'a pas très bon caractère, il le sait mais Adeline, elle, elle avait DU caractère et il ne s'agissait pas qu'il lui marche sur les pieds.
Lors des grosses disputes, il se réfugiait dans le jardin. Il y passait des heures pourchassant le moindre brin d'herbe indésirable. C'est pour ça qu'il avait un si beau potager.
L'hiver, c'était plus difficile. Il était bien obligé de rester à l'intérieur et d'essuyer les reproches incessants d'Adeline. Il n'aime pas l'hiver sauf la neige. Il regarde tourbillonner les flocons dans le ciel sombre. Il regarde sa pelouse se couvrir d'un manteau blanc . Seul le chat du voisin se permet de salir le tapis immaculé. Son potager s'est transformé en pelouse, un jardinier vient la tondre une fois par semaine, en été. Ca lui fait une visite. En hiver, il ne voit personne...à part le médecin, de temps en temps.
Il n'a pas eu d'enfants. Adeline en voulait, lui pas. Il le regrette bien maintenant. Il aurait peut-être été moins seul...quoique...les enfants ne viennent pas toujours voir leurs parents. Ils ont leur vie, leur travail, leurs occupations,... Ca a été leur sujet de dispute le plus important à Adeline et à lui. Mais il a tenu bon! Adeline a fini par y renoncer. Il croit qu'elle lui en a toujours voulu...
Alors, pour passer le temps, il regarde par la fenêtre. Les saisons passent, il s'ennuie. Il voudrait bien rejoindre Adeline. Leurs disputes lui manquent. En fait, ce ne sont pas les disputes qui lui manquent mais la présence de celle qu'il a épousée à 18 ans, malgré les réticences de son père. C'est qu'elle était belle Adeline à cette époque. Après, les choses ont changé...elle a pris du poids, lui aussi d'ailleurs.
Il se retourne vers la photo jaunie dans le cadre sur la cheminée.
C'est vrai qu'elle était belle Adeline!
"J'arrive, murmure-t-il, j'arrive Adeline, sois patiente, je ne vais plus tarder...".
Philippe Desterbecq