Joyeux Noël, une nouvelle de Philippe Wolfenberg
Joyeux Noël
Je suis un voyageur astral. L’espace et le temps ne m’imposent leurs limites que partiellement. Je peux aller où bon me semble et à l’époque de mon choix. Et, détail aussi pittoresque qu’agréable, la séparation du corps et de l’esprit survient lors de l’acte sexuel.
De cette particularité qui ne concerne que très peu d’humains, j’ai fait mon métier : chasseur de prime employé par une société ésotérique dont le conseil d’administration se compose de quelques milliardaires férus de paranormal.
J’ai longtemps œuvré seul avant de rencontrer une femme dotée, elle aussi, de cette étrange faculté. Elle est devenue mon associée et ma compagne. Puis, un jour… Mais je préfère ne pas en parler. J’ai cru qu’il n’y en aurait pas d’autre jusqu’à ce que la superbe créature qui vient de me rejoindre dans la chambre n’apparaisse, à point nommé, dans une vie que je commençais à trouver insipide. De taille moyenne, elle a des courbes à me faire ressembler au loup libidineux des cartoons de Tex Avery. Le teint hâlé, les cheveux mi-longs noirs et les yeux noisette confirment des origines méridionales. Elle m’observe, un sourire à la fois tendre et ironique plaqué sur ses lèvres pulpeuses.
* Nom de code : « Père Noël » ! Guère original… Même si nous sommes un 24 décembre…
* Et toi ? D’où sors-tu ce « Vilain Petit Chaperon rouge » ?
* J’ai l’âme innocente d’une enfant qui, pourtant, adore s’assoir, la tête pleine d’idées inconvenantes, sur les genoux d’un vieux bonhomme à la barbe blanche…
Je préfère ne pas en entendre davantage et lui coupe la parole d’un baiser auquel elle répond avec passion.
*
Terra Nova en l’an de grâce 3691. Anticipant de peu la destruction de la planète bleue, une partie de sa population a trouvé refuge sur cette copie quasi conforme à l’originale mais distante de quelques années lumières.
*
« Vilain Petit Chaperon rouge » pose sa main sur mon bras et plonge son magnifique regard dans le mien.
* A propos, mon amour, en quoi consiste notre mission ?
* L’Homme n’apprend décidément rien de ses erreurs… A peine avait-il colonisé ces terres qu’il s’est mis à se multiplier de façon inconsidérée. Et, qui plus est, une organisation extrémiste a décidé d’éliminer la Mort…
* Pardon ?
* L’Humanité a finit par découvrir que La Vie et La Mort sont deux sœurs jumelles. Dans quelques heures, elles assisteront à la messe de minuit… Et là…
* C’est dément ! Et comment sais-tu tout cela ?
* Ceux pour qui nous travaillons ont des descendants, ici… Ce sont ces derniers qui les ont prévenus…
* Absolument dément !
* Je sais… Mais nous disserterons sur les surprises que nous réservent nos aventures plus tard... Pour l’heure, nous avons du pain sur la planche…
*
La discothèque est calfeutrée au milieu d’une ancienne usine réhabilitée. Parmi les lasers multicolores et les rythmes martiaux de l’« electro body », une foule bigarrée, inconsciente de ce qui se trame, se déhanche joyeusement.
Nous montons au sommet du bâtiment, dans une partie déserte ; du moins, à première vue car, tapie dans l’ombre, une silhouette manipule une sorte de télescope relié à un PC portable.
* « L-N-A » ! J’aurais dû m’en douter…
D’un bond de félin, celle qui m’accompagnait, naguère, avant de se lasser de moi, s’est redressée et nous fixe avec un aplomb rapidement retrouvé.
* Comment m’as-tu reconnue dans cette obscurité ?
* Ton parfum… Mais je manque de la plus élémentaire des politesses : « L-N-A », je te présente « Vilain Petit Chaperon rouge »…
* Tu as toujours eu un goût très sûr…
* Un amplificateur d’ondes cérébrales… Suffisant pour se débarrasser de la Mort ?
* A cause de vous deux, on ne le saura jamais… A moins que…
* Attention !
* Merci, mon ange !
L’intervention de ma nouvelle partenaire – qui, d’un geste vif, a déconnecté les éléments de la machine infernale - désarçonne « L-N-A » et me donne le temps de synchroniser ma fréquence mentale avec la sienne. Assez rapidement, le lien qui relie le corps virtuel de mon adversaire à sa source (son corps physique) s’effiloche… Quand il n’en restera rien, le contact sera rompu, rendant tout retour impossible…
* Mon amour… Non ! Laisse-la… S’il te plaît…
*
Nous avons regagné notre monde. Je me penche vers elle et l’embrasse tandis que mes mains caressent ses seins avec une infinie douceur. Je ne peux m’empêcher de la questionner.
* Pourquoi ?
* Parce que vous vous êtes aimés… Elle fait partie de ton passé… Ton histoire avec elle a modelé, en partie, ce que tu es aujourd’hui : l’homme dont je suis amoureuse…
* Mais le passé n’est plus…
* C’est faux ! Il est juste endormi… Il faut respecter son sommeil… Mais pas le tuer…
* Parfois, j’ai du mal à te comprendre…
* Ce n’est pas important… Souhaite-moi plutôt un joyeux Noël…
Philippe Wolfenberg
philippewolfenberg.skynetblogs.be