Les effets du subconscient, une nouvelle de François Ucedo
Les effets du subconscient
Le subconscient nous parle, c’est certain, mais, soit nous ne nous en rendons pas compte, soit nous ne le comprenons pas. Il y a des gens qui pensent que lorsque leur subconscient leur chuchote quelque chose, ils sont en proie à un phénomène paranormal, sont visités par leur ange gardien ou sont victimes d’un poltergeist. Pire, pensent recevoir un message divin. Combien d’illuminés n’ont-ils pas fait chier la planète à cause d’un effet de leur subconscient qu’ils n’ont pas compris ? Et je ne parlerai pas des rêves, responsables de la mégalomanie des rois de l’antiquité, de la soif de conquête des seigneurs de guerre maîtres du lance-roquette et de l’intronisation auto-proclamée des dictateurs de républiques bananières.
Au début des années ‘80, peu de gens possédaient un ordinateur personnel. Cet instrument avec lequel s’isolent aujourd’hui bien des esprits, était, à l’époque, orienté vers la comptabilité et, dû à son coût prohibitif, plutôt destiné aux entreprises qu’aux particuliers. En revanche, 90% d’individus possédait une machine à écrire. Ah, l’ère des produits correcteurs ! (Je ne cite pas leurs noms, qui sont des marques déposées.) Cette couleur blanche infâme et toxique qui séchait trop lentement sur le papier et trop vite dans le flacon, ces petits papiers recouverts de craie... Combien de fois avons-nous, à cette époque, arraché rageusement la feuille de papier de notre machine à écrire, et recommencé notre paragraphe ! Le traitement de texte est moins pittoresque mais a finalement du bon ; ça reste propre et on gaspille moins de papier.
J’avais recopié un texte de 18 pages à l’aide d’une petite machine à écrire portative. (On refermait le couvercle et cela devenait une valisette. — Je dis ça pour les moins de trente ans.) Il faisait chaud, ce jour-là. La fenêtre de ma chambre était grande ouverte, et pour me protéger d’un rayon de soleil brûlant qui traversait mon bureau en diagonale, j’avais tiré un rideau, laissant le deuxième largement ouvert. J’avais rassemblé mes dix-huit feuilles que j’empilai sur mon bureau. Là, le vent s’en mêla, alors que je ne lui avais rien demandé. La rafale profita du rideau tiré pour aider à balayer tout ce qui se trouvait sur le bureau. Après une série de jurons où je priai le vent d’aller découvrir du plaisir ailleurs, je ramassai mes feuilles, les comptai, les rassemblai et me disposai à agrafer le tout. Je plaçai le bord supérieur gauche de la pile sous l’agrafeuse et, me tenant debout, je m’apprêtai, des deux mains, à appuyer bien fort sur cette saloperie qui ratait son coup trois fois sur deux. Et là, mystère. Quelque chose d’inexplicable se produisit. Impossible d’appuyer. Je voulais appuyer. Je rassemblai toute ma volonté pour accomplir ce geste banal, mais je n’y parvins pas. Je transpirais, reprenais mon souffle. J’essayai encore une fois. Pas moyen. Mes deux mains se figèrent à l’instant où elle s’apprêtèrent à appuyer sur l’agrafeuse. Je me demandais ce qui m’arrivait, si je devenais marteau...
Je quittai ma chambre, perplexe. Je vins à la cuisine où je me préparai une tasse de thé. J’adore le thé. Surtout l’Earl Grey. Tout en touillant dans la tasse, je ne cessai de penser au phénomène qui venait de se produire dans ma chambre. Cela n’avait, pour moi, aucun sens. Je bus quelques gorgées de thé, puis, déterminé, je déposai la tasse sur la table de la cuisine et retournai dans ma chambre. Mon texte, adroitement empilé sur mon bureau, attendait toujours d’être agrafé. Ce que j’essayai une nouvelle fois de faire. En vain. Impossible d’appuyer sur la maudite agrafeuse avec, en outre, un sentiment d’angoisse chaque fois que je tentais le coup. Je repris la pile de feuilles et recomptai le tout. 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 16… Merde ! Je regardai en-dessous de la table. Rien. Je regardai autour, derrière... Enfin, dans un coin de la chambre, la feuille numéro 15, le recto contre le sol. Je la ramassai, l’ajoutai à sa place dans la pile. J’appuyai de toutes mes forces sur l’agrafeuse, cette fois sans aucune retenue inexplicable et sans éprouver la moindre angoisse.
Je ne crois pas au surnaturel. Encore moins au divin. Je ne crois pas aux rêves prémonitoires non plus. Je crois que nous devrions étudier davantage nos propres facultés afin de mieux comprendre ce que notre cerveau essaie parfois de nous dire.
François Ucedo
manissa.weebly.com