Mon amie Utako, une nouvelle de Kate Milie
Mon amie Utako
C’était l’automne 2004, j’avais décidé que l’Angleterre serait ma patrie pendant un an.
Le prénom de ma toute première Amie ? Utako.
Notre tout premier contact ? J’en ris encore. T’as rien pigé à mon anglais du premier soir et j’ai rien pigé au tien. Miss Smith a dû traduire: Kate says « blablabla », Taco says « blalabla ». Miss Smith n’a jamais réussi à t’appeler correctement, tous les matins, ce fut : « Good morning Kate, Good morning Taco ». Mais dès le premier breakfast, nous avons su que nous deviendrons les meilleures amies du monde. On s’est très vite, très bien, comprises. Tu étais fleuriste et bossais pour une grosse boîte en plein cœur de Tokyo. Tu m’as raconté des horaires démentiels, des trajets monstrueux. Stop !!! Breaaak !!!! Tu étais venue en UK suivre une formation en anglais et en art floral. Tous les jours, tu ramenais à Miss Smith une magnifique composition qui donnait un air de grande fête au cosy petit intérieur. Dans un premier temps, Miss Smith fut enchantée de ces montages « Mariage Princier à Windsor », mais il est vrai que sa bonbonnière de maison prit rapidement l’allure d’une serre de jardin botanique. Utako, tu accueillis ses airs exaspérés avec classe et élégance.
Il faut vous dire qu’une Utako, c’est 1 mètre 60 de grâce, 42 kg de douceur, des cheveux mi-longs joliment colorés auburn, des yeux délicatement maquillés de vert tendre, des lèvres qui avaient tout le temps l’air de chanter, une voix de colibri et une garde-robe aérienne de princesse de manga de bon goût. Mon amie japonaise avait une passion : goûter avec un air d’exploratrice la nourriture anglaise et l’immortaliser avec son p’tit Nikon de poche. Tout y est passé, l’English breakfast, bacon, œufs, haricots à la sauce tomate, champignons, les toasts pain de mie, le truc « marmite », et, les Jack potatoes, et, le Sunday lunch avec le yorkshire pudding, la sauce à la menthe, et, les pies and mash, le Ploughman lunch, les crumbles, les cheesecakes… Hé, Utako, merci d’avoir été solidaire le jour où je me suis révoltée contre la Jelly rose et verte et l’excès de crème custard.
Dis, tu te souviens de cette virée à Brighton ? On voulait voir la mer, entendre crier les mouettes, manger en terrasse des Fish et Chips graisseux et regarder les bateaux danser. Ah ! Le Cream Tea gourmand qu’on s’est offert dans le plus vieux tea room de la ville, même que les serveuses portaient des tabliers blancs ornés de dentelles comme à l’époque de Dickens. Et Londres, tu te souviens, chacune s’en est allée faire ce qu’elle avait à faire, toi, stage de danse orientale, moi, expo à la Tate, virée chez Fortnum and Mason et balade sur Picadilly. Rendez-vous à Charing Cross et retour en train en papotant comme si on s’était quittées pendant 10 ans. Et cette soirée pub, Utako, haha, minuit, impossible de trouver un taxi, on est rentrées à pied chez Miss Smith, quatre kilomètres et un sous-bois à traverser serrées l’une contre l’autre, marchant sur la pointe des pieds pour ne pas nous faire remarquer par les monstres de la nuit. Nous avons été tellement silencieuses et transparentes qu’un bébé chauve souris nous a heurtées de plein fouet. Ce qu’on a hurlééééééé !
Mon amie, alors que le monde abasourdi ne cesse de mentionner des noms fous de tsunami et de centrales nucléaires, je fais des fouilles archéologiques pour essayer de retrouver, mais en vain, ton adresse. Alors, à défaut de t’envoyer un mail : « Utako, are you OK ? », je puise dans mes souvenirs et me rappelle avec une énorme pointe de nostalgie que le tout premier mois de ma vie anglaise fut marqué par la gentillesse nippone.
Kate Milie
Juin 2011
kate-milie.skynetblogs.be