Peut-être que... Une nouvelle de Josy MALET-PRAUD
Peut-être que…
Josy Malet-Praud©Septembre 2010
Josy Malet-Praud©Septembre 2010
Il était tôt. Six, sept heures, peut-être. Debout sur le seuil de la maison, il fumait sa première cigarette, la dernière du paquet entamé dans la nuit. Fœtus assoupi dans sa matrice de verdure, le quartier se taisait. Les chiens s’ébrouaient sans conviction, nostalgiques d’un sommeil écourté par le réveil précoce du jeune homme.
Le regard fasciné par une flottille de cumulus naviguant sur l’azur, il observait au premier plan les ébats des grands pins maritimes. Les faîtes se hissaient pour toucher l’infini. Balancés par un vent de noroît, on aurait dit des bras de géants ondulant pour offrir la ola aux musiciens d’un concert.
Elle longeait la haie. Une ombre en pointillés, presque en lévitation par la grâce d’une allure éthérée. Sa silhouette apparut dans l’espace du portail ouvert. Hasard ? Ce fut là, nulle part ailleurs sur la route déserte, qu’elle reprit son souffle. Le sort jetait les dés pour faire d’Il et d’Elle, en cet instant précis, d’intimes étrangers. Il ne l’avait jamais vue, elle non plus ; pourtant, ils se rencontreraient. Peut-être.
Le dos rond, les mains crispées sur des cuisses moulées par un corsaire en latex noir, la tête basculée vers l’avant, comme trop lourde à porter sous une queue de cheval brune, elle haletait. Elle se croyait seule. Il ne bougea pas. Il prévoyait qu’elle sentirait la tension de son regard fixé sur elle. Un picotement escalada l’échine féminine. Elle sursauta et tourna la tête vers l’entrée de la propriété, Elle le vit. Il grimaça un sourire timide, les yeux irrités par la fumée épaisse de la Camel. Il resta immobile, debout, appuyé contre le mur de la villa. Rien. Il ne se passait rien. Le silence pesait lourd du poids de la gêne.
Pour s’en libérer, par réflexe sans doute, il prit l’initiative.
- Elle est rude, n’est-ce pas ?
- Pardon ? fit-elle en replaçant un peigne doré, bijou-barrage à sa cascade de cheveux ténébreux.
- Elle est rude, n’est-ce pas ?
- Pardon ? fit-elle en replaçant un peigne doré, bijou-barrage à sa cascade de cheveux ténébreux.
Des yeux vifs, un visage qui capture l’attention. Pas belle, non. Expressive, animée. Vivante. Grande, plus que lui, un corps gainé par l’exercice physique, une sportive.
- Je parle de la côte que vous venez de gravir en courant. Il faut du souffle et des jambes…
- Pas tant que ça…enfin, quand on a l’habitude, rétorqua-t-elle d’une voix rauque.
Une onde d’hésitation virevolta dans l’air frais.
- Je ne vous ai jamais vue passer par ici…
- Non. C’est la première fois que j’emprunte cet itinéraire.
Elle s’était détendue. Elle souriait presque. Il respirait enfin.
Une voix comme il les aimait, chaude et cassée. Epicée, comme devait l’être sa peau ambrée par le soleil. Une promesse de chaleur. Une jeune femme réservée. Pas de celles qu’on apprivoise sans se donner quelque peine. Elle hocha la tête, comme un signal de départ et se détourna. Il se traita d’imbécile, ou de sage, de ne pas chercher à la retenir.
Elle se ravisa. Alea jacta est.
- Vous avez l’heure, s’il vous plait ?
- C’est l’heure de prendre le café… Il se mordit la lèvre. Trop tard…Lapsus linguae.
- Merci…mais je n’ai pas le temps aujourd’hui. Demain ?
- Oui, peut-être...
- Vous courez aussi ? C’est bon, le matin, c’est comme prendre un grand bol de liberté…
- C’est l’heure de prendre le café… Il se mordit la lèvre. Trop tard…Lapsus linguae.
- Merci…mais je n’ai pas le temps aujourd’hui. Demain ?
- Oui, peut-être...
- Vous courez aussi ? C’est bon, le matin, c’est comme prendre un grand bol de liberté…
Elle attendait une réponse. Son cœur à lui fit un saut de carpe douloureux entre ses côtes. Le regard féminin s’imprégnait de confiance. Il s’imposa de ne pas baisser le sien. Le mégot consumé lui brula les doigts. Il le sentit trop tard. Et si peu…
- Non, je ne cours pas. Mais je garde la forme autrement : tournez vous…levez la tête. Vous voyez, là-bas, les grands arbres ? Ce sont des pins maritimes. J’y grimpe pour la taille des branches. C’est mon métier…
- Vous êtes bûcheron ?
- Mon père et mon grand-père étaient gemmeurs : ils recueillaient la sève des pins…le métier a disparu. Je suis resté près de leurs arbres… dans la même branche, si vous préférez.
Elle rit de bon cœur. Une cascatelle d’eau pure qui caracole entre deux roches. Il se sentit vivant.
- Je dois partir, mais demain, si vous me proposez le café, je ne dirai pas non… Le parcours et la côte me conviennent…Vous me parlerez des pins maritimes ? Ah… Je m’appelle Sue.
- Moi, c’est Raphaël…
Elle reprit sa course à petites foulées. Il ferma les yeux. Le silence s’effondra comme un chapiteau de solitude sur le paysage désolé. Les pins maritimes se battaient en duel. Les nuages refermaient l’horizon. Les chiens s’approchèrent à pas comptés. Ils refrénaient leurs élans, comme s’ils savaient.
- Raphaël ? La mère s’était levée. Il entendit les mules maternelles claquer sur la tomette. Raphaël, tu n’as pas déjeuné !… Où es-tu ? Qui était-ce ?
- Je suis là, maman, j’arrive... Elle s’appelle Sue.
- Je suis là, maman, j’arrive... Elle s’appelle Sue.
La mère s’affaira à la préparation du petit-déjeuner. La gorge nouée, elle se contraignit à le laisser se débrouiller seul. Elle savait bien qu’il n’aurait pas supporté son aide. Elle s’interdit aussi de lui répéter qu’il avait eu de la chance, que d’autres n’auraient pas seulement laissé une jambe, broyée sous le tronc du grand pin lorsqu’il était tombé. Un accident. Comme les autres fois, quand elle tentait de le consoler, il aurait détourné la tête pour pleurer sans elle. Il aurait maudit la prothèse à laquelle elle espérait tellement qu’il s’habituerait. Et pire, c’est elle qu’il finirait par détester si elle affirmait une fois encore qu’il valait mieux ça que d’être mort. Il aurait crié qu’il l’était pourtant, mort. Elle soupira. Elle se tut.
- Elle reviendra demain matin. Prendre un café avec un garçon que je ne suis plus …Tu lui diras qu’il a oublié, ou qu’il n’a pas pu l’attendre. Qu’il y avait des travaux urgents dans la pinède, ou que…enfin, comme tu voudras. Elle n’est pas d’ici. Elle ne reviendra certainement pas deux fois.
Au fond des yeux voilés par une tristesse chargée de déception, il lut les interrogations de sa mère «Qu’en sais-tu, mon garçon ? Peut-être que cette fois-ci…». Il fit non de la tête et se réfugia dans son bol de café au lait. Le poids de l’espérance pesait encore trop lourd. Plus tard, peut-être…
Josy MALET-PRAUD
www.lascavia.com